Chapitre 44

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Dans la plus fastueuse des salles de réception, un concours de charivari levait son voile. Dehors, d'autres invités entraient encore, après avoir été fouillés par des mains délicates sous le regard méfiant de la gente féminine. Les nobles à table interrompaient de temps en temps leurs conversations bruyantes pour laisser place aux bruits de couverts et de verres à pieds vertigineux qui s'entrechoquaient avec les assiettes, ou bien étouffés par l'épaisse nappe rouge.

Des serveuses vêtues de fourrures et d'une robe bordeaux qui tombait sur leurs cuises animaient la soirée d'un pas de danse uniforme.

-A bas les trouillards ! Hurlait de temps en temps les natures les plus fortes, en faisait tourbillonner le sang de la vigne, et par occasion, leurs têtes.

Soudain, les flammes orangées des énormes bougies laiteuses vacillèrent, disparurent, avant de devenir bleuâtres. Tout cri se tut, même Weskovin, qui conversait avec obligeance au bout de la table.

-Ah ! Hurla soudain une danseuse, qui donna le signal de départ aux autres.

L'ambiance devint glaciale. Weskovin fronça légèrement les sourcils, et ordonna :

-Du calme, du calme !

Mais il se raidit soudain, car il ne se répétait jamais. Jamais. Or, il venait d'entendre deux « du calme », dont l'un ne venait pas de lui. La famille royale leva soudain la tête d'un mouvement uniforme. Une personne était assise sur une poutre, sous leur plafond !

-Bonjour, Weskovin ! T'aurais-je donc manqué ? Plaisanta Krusla, qui sauta sur une poutre plus basse.

-Assurément, répondit le nouveau roi de Liore, avec un sourire chaleureux qui ne dégelait pas son regard.

-Oh, pardon, j'ai omis involontairement un détail. C'est mon œil qui t'a manqué, pas moi...

-Mes chers convives, déclara Weskovin en l'ignorant, nos saluons ici le second prince de Roënster. Il est en notre devoir de l'inviter à rester un temps dans le palais...

Il n'eut pas besoin de terminer sa phrase pour que les Estres les plus audacieux s'attaquent à Krusla. Dans un pays ou trônait la force, un jouvenceau aussi frêle ne tiendrait pas longtemps... surtout seul contre des centaines d'Estres ! Quel effronté !

Krusla, qi semblait lire dans leurs pensées, s'expliqua :

-Mais je n'ai pas besoin de m'affairer à vous...

Il claqua des doigts.

Les Estres brandirent leurs armes, mais soudain, ils se raidirent dans leur élan, et s'écroulèrent sur les pavés marbrés.

...

-Et que ferons-nous de tous les convives ? Interrogea Krusla. Il est bien beau de se fondre parmi eux, mais...

-J'ai ce qu'il faut pour contrôler une grande population, mais... hésita Wensraël, qui s'assura que l'attention se portait sur lui pour continuer. Voilà.

Floralyn approcha sa tête des mains du blond, et vit des petites larves translucides.

-Elles entrent dans le sang et rongent le cerveau... mais il y a un problème : elles ne sont pas contagieuses, et il faut les poser sur ou à proximité de la peau.

La jeune fille frappa fièrement sur la table, avant de souffler sur sa main rougie :

-Comptez sur moi ! Vu le temps dont j'ai séjourné à Liore, j'ai bien acquis quelques relations...

Dans sa tête se dessina une jeune femme aux yeux de jais, qui avait décidé de vouer sa vie à son service. Merzya.

...

Weskovin haussa les sourcils, d'un air surpris, et dégaina son épée. Il se déplaça en une vitesse éclair, n'hésitant pas à décapiter les hommes qui avaient le malheur de se trouver sur son passage.

-Puisque tu me cherches, mon cher petit ami... lança-t-il sans perdre son sourire faussement tolèrent.

Leurs épées s'entrechoquèrent en une pluie d'étincelles. Les larmes se glissèrent l'ne sur l'autre. Le cœur de Krusla manqua un bond. Ce qui venait de se passer était tout à fait normal, mais... Ténèbres, son épée, pouvait tailler la pierre comme de l'eau ! Pourtant, il n'avait pas la puissance de ne serait-ce que laisser une trace sur la fine lame de Weskovin. Les coups s'échangèrent en un éclair devant ses yeux. Il comprit alors pourquoi : les coups de Krusla gagnaient en puissance en entrant en contact avec l'adversaire, qui, dès qu'il commençait à ajouter de la force, retirait son arme avec aisance et le déséquilibrait avec sa propre force... tel un débutant.

« Zelriasfer... j'ai besoin de toi. »

Rien.

Krusla sentit une sueur froide glisser sur sa nuque, mais il se força à être attentif. Son corps devint soudain plus léger, et une tornade de lettres l'enroba, telle une armure. Elles se muèrent en une paire d'ailes transparente qui fendirent le vent. Un épais grimoire tourna ses pages et s'arrêta sur lune d'entre elles, alors que Krusla ferma les yeux. En une fraction de secondes, des symboles dorés se glissèrent dans ses yeux, un fragment de lumière dans un monde écarlate.

D'un coup, tous les mouvements se ralentirent, tels une offrande à son œil. Il ferma l'autre, et échangea une centaine de coups plus fougueux les uns que les autres, se défoulant comme une échappatoire à sa haine et ses tourments. Mais une brume dorée l'envahit, et ses pores semblèrent s'ouvrir agréablement.

« Contrôles-toi », lui rappela Zelriasfer.

Krusla n'eut que le temps de lui transmettre une pensée amicale. Mais lui se rendit compte que Weskovin battait en retraite, alors qu'il avait le dessus sans vraiment d'effort.

« Pourquoi ? Aurait-il deviné que Flo... ? »

Un homme robuste lui barra la trajectoire avec son sabre.

-Occupes t'en, Robert, et s'il vient me déranger, ce n'est plus la peine que tu m »appelles « maître », ordonna Weskovin.

-Oui, Votre Majesté, dit-il sans broncher, même s'il prévoyait déjà le prix à payer.

Mais... qu'importe ? Pouvoir remercier son sauveur est le seul objet de sa préoccupation. Un sourire légèrement amer se traça imperceptiblement sur ses lèvres. Il n'aurait jamais imaginé pouvoir donner sa vie pour quelqu'un d'autre... mais depuis qu'il lui avait donné cette petite pièce de cuivre, maître Weskovin n'était plus quelqu'un d'autre.

Il serra le bandeau qui entourait la poignée de son sabre et redoubla de force.

...

Weskovin traversa les couloirs déserts. Les majordomes qui n'étaient pas au service ce soir devaient probablement être cachés dans les trappes secrètes du palais. Mais lui, non, car il est le roi. Et surtout car il a attend ce moment depuis beaucoup trop longtemps. Le jour où il réunira l'Écarlate !

Dans son esprit se dessina une jeune fille épanouissante d'une beauté maladive, qui le contemplait avec méfiance de ses yeux vairons. Un œil défiant le bleu de la glace, un autre tel une écarlate se fanant dans la neige immaculée.

Il poussa la porte de sa main impeccablement gantée et une de ses servantes favorites dit à voix basse :

-Tous les aliments ont été vérifiés et sont sans danger. Son Altesse ne semble pas détenir d'éléments dangereux.

-Bien, tu peux sortir.

-Oui, Votre Majesté.

Weskovin fit un sourire simplement par politesse et gagna la chambre nuptiale. Sans surprise, Floralyn était assise sur le bord du lit, et lui faisait un demi-sourire séduisant et distant. Elle était encore plus pâle, et encore plus belle...

Tout se passait comme prévu. Il n'avait fait aucun faux pas.

-Ma chère amie... vous surgissez de mes esprits nuits et jours et vous voilà que vous vous rendez ?

-Notre accord, Weskovin. Tu sais bien que tes mots ne m'atteignent guère. Tiens ta promesse, cela suffit.

Scarlet Princess Tome 2: TénèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant