Chapitre 1 : La cérémonie des miracles

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L'adolescente dévalait à toute allure le chemin qui descendait depuis le château féodal au centre de son village, en direction du temple de Cyvid situé en contrebas. Niché contre la muraille entourant le fief, la bâtisse bénéficiait d'une copieuse affluence lors des sermons prononcés par le prêtre de la cité. La jeune fille se hâtait, car elle risquait de ne pas arriver à temps pour la conclusion de cette messe dirigée par son père.

Agéede seize ans, les cheveux bruns coupés au carré de façon à ce qu'ils ne puissent pas s'emmêler aux divers foulards blancs qu'elle portait en permanence, l'adolescente aux yeux de couleurs de terre soulevait à hauteur de genoux sa robe immaculée, sans perdre le chemin du regard. Une chute malencontreuse dans sa course aurait des conséquences catastrophiques, d'autant plus que l'averse de la veille avait transformé le terrain en boue.

Candice profita de la cohue devant le temple aux pierres écarlates pour se faufiler discrètement par une porte située à l'arrière de celui-ci. Les occasions de respirer l'air extérieur étaient rares pour elle, son père lui ayant proscrit à de maintes reprises de se rendre aux alentours du château. L'adolescente comprenait parfaitement ces restrictions imposées sur ses libertés et son quotidien, elle avait un travail à faire, un rôle à jouer, un devoir à accomplir. Son père lui répétait souvent : "Tu dois guider les villageois de Corseit en ces temps troublés".

Elle trouvait regrettable que son foyer jure autant avec le reste de Corseit, dont la plupart des habitations se composaient de pierres grises. Même le château féodal semblait très terne par rapport au temple. Candice comprenait bien l'importance pour le lieu de culte de se démarquer du reste de la cité pour marquer son aspect symbolique. Néanmoins, elle sentait la distance entre elle et les autres villageois qui n'osaient pas l'approcher comme ils le feraient avec leurs autres voisins.

Candice tirait une grande fierté de ses responsabilités, devoir inspirer l'espoir aux habitants l'emplissait chaque jour de joie. Leur village était l'un des derniers bastions humains au sud de Vernor face à l'invasion persistante des orcs. Corseit jouissait d'une telle liberté grâce aux efforts conjugués de son père, et du seigneur Pajot.

Devant la soif de conquête et de violence du peuple barbare et hérétique venu du sud, le noble avait fait dresser des murailles autour du village, rassemblé des héros de tout horizon et mené courageusement l'assaut contre l'envahisseur. Usant de son intelligence, il avait déployé nombres de tactiques pour repousser les vagues orcs loin de Corseit, jusqu'aux frontières de Vernor.

Candice ne manquait jamais de prier Cyvid pour les braves tombés au combat lors de ces grandes batailles. La dernière remontait déjà à quinze ans en arrière et pourtant, l'adolescente continuait d'implorer la divinité d'accueillir leurs défunts dans ses flammes bienveillantes. C'est au prix de leurs vies que ces soldats avaient sauvé Corseit de la menace qui s'était alors emparé de plusieurs villages voisins. Chanter leurs louanges permettait de ne pas les oublier, et rappeler au villageois que la cité se trouvait sous la protection du dieu Cyvid.

Là était le rôle de Candice, une enfant du champ de bataille. Celui qu'elle appelle son père, le prêtre Astaro, l'avait trouvé au cœur des affrontements. Tenant encore enfant dans ses bras, il avait combattu aux côtés des soldats de Corseit lors d'un assaut décisif où il avait pourfendu nombre d'ennemis. Sa lame brillant de mille flammes avait déchaîné la colère de Cyvid, provoquant de véritables carnages dans les rangs orcs. Astaro seul était ainsi plus redouté qu'une armée de chevalier, ou que l'oracle de Cyvid lui-même, dirigeant le pays depuis la capitale, loin de la menace.

Le courage de Pajot combiné à la force du prêtre fut le pilier qui maintint la paix à Corseit. Reconnu dans l'ensemble de Vernor, Pajot bénéficiait de l'admiration méritée du peuple. Candice n'avait jamais pu rencontrer le seigneur féodal elle-même, consigne de son père. Pourtant,Astaro servait Pajot comme conseiller, et se rendait régulièrement au château dans ce but. Candice captait parfois les conversations des femmes du village, faisant d'Astaro l'égal Pajot malgré qu'il soit reconnu comme une légende vivante à l'échelle de la nation. Leurs réputations suffisaient à tenir à l'écart les créatures maléfiques telles que les dhampires. Si on y ajoutait la protection du dieu Cyvid, pas même un dragon oserait s'approcher de Corseit.

L'éternelle flammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant