Retour en arrière

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Point de vue de Jace

Il est cinq heures du matin, peut-être un peu plus, mais avec cette pluie qui nous tombe sur la gueule, j'en sais trop rien en fait. Quand cette grosse averse s'est intensifiée en début d'après-midi, je me suis contenté de trouver refuge sous une sorte de tonnelle, presque à contre coeur. Marcher me faisait du bien, mais maintenant que je suis immobile et trempé jusqu'aux os, je ne peux m'occuper qu'à penser et ressasser, et le sujet principal de mes pensées, c'est cette vision si réelle qui m'a complètement désemparé alors que j'étais au cimetière. J'avais l'impression de vivre en plein cauchemar, et pourtant, tout était si réel. Je n'arrête pas de me blâmer pour cette vision horrible, et le fait que ça me touche autant, ça n'aide pas. J'ai l'impression d'avoir fait un bond en arrière de trois ans, et pour ce résultat catastrophique, il n'aura fallut qu'un simple moment d'inattention, qu'une simple image créée par mon cerveau merdique. Je me rends alors compte que je suis toujours naïf, beaucoup trop naïf. Je me laisse croire sans cesse que je vais mieux, que je construis chaque jour une vie solide, mais je me berne moi-même ; et chaque événement, chaque souvenir heureux que je peux avoir en tête ne réveille en moi qu'une profonde douleur, une douleur qui, lorsque je perdais tout, était tout ce que j'avais. C'était mon bonheur à moi, en quelque sorte, ce qui me prouvait que j'étais encore là malgré le poids de la haine qui m'écrasait. Maintenant, cette douleur, c'est elle mon fardeau. Ce n'est plus ce qui me fait vibrer, c'est simplement ce qui me prouve que j'ai beaucoup à perdre, et que si ça devait arriver, je ne m'en relèverai jamais.

Cette nuit donc, je ne suis accompagné que de ma morosité, et accessoirement de ce mec bourré qui, son whisky toujours à la main, ronfle comme un porc, à moitié debout.

Énième vision du passé.

J'ai déjà vu un mec dormir debout, mais c'était pas l'alcool qui le faisait tenir sur ses jambes, c'était une substance bien plus forte, quelque chose qui, une fois dans tes veines, ne peut plus se faire oublier. Je regrettais ma période de consommateur de drogue compulsif aussi bien que qu'elle me manquait parfois. Ne plus rien avoir en tête, la sérénité qui étouffe notre malheur...

Je me redresse et resserre un peu plus fort mes bras autour de moi. Tout ça c'était derrière moi, il fallait que ça le soit. Je ne peux pas laisser cette tombe tout faire voler en éclats, ça serait injuste, ça serait mal. Des gens comptent sur moi, Iliana a besoin de moi...

« Et si cette vision était réelle ? Et si elle était... »

Même dans ma tête, je ne peux pas prononcer ce mot qui a dicté mes mauvaises actions pendant trop longtemps. Iliana va bien, si c'était le contraire je l'aurais senti, comme lorsque ce poignard a lacéré mon cœur meurtri à la mort d'Anna. Quand on est lié à quelqu'un par des sentiments aussi forts, on est obligé de le sentir.

Une bourrasque de vent fait voler mes cheveux dans tous les sens et toute l'eau qui jusque-là se tenait à distance raisonnable se retrouve dans mon abri de fortune, et au passage, réveille l'alcoolique qui me sert de voisin. Je ne suis pas du genre à mal me comporter avec les SDF - j'avais bien retenu la leçon avec celui qui avait habité sous ma fenêtre pendant tant d'années - mais ce soir, je n'ai pas envie qu'on me parle, ni ce mec, ni personne. Mais je sais que ce mec le fera. J'en ai connu des tas comme lui, le genre qui a tout perdu et qui pour tenir s'en remet à l'alcool ou à la drogue, alors dès qu'ils ouvrent la bouche, ce ne sont que des plaintes et des mots vides de sens. Plus lourd, tu meurs.

- Brrrrrr... Ça caille hein ?

Je ne détourne pas le regard, détaillant chaque entrée de building, chaque magasin à l'enseigne lumineuse. Le vieil homme tousse et se racle la gorge pour cracher son molard en plein milieu du trottoir d'en face.

Promesse d'un Avenir (T3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant