Chapitre 9

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Demain n'est promit à personne.

                                                                         -Walter Payton



-Merci infiniment.

Je déglutis durement. Dans quoi me laissais-je embarquer? Je n'eus pas le temps de réfléchir plus longtemps que je me retrouvais dans une chambre ou se trouvait un lit, une télé, et un tas de bouquets de fleurs. La patiente devait être beaucoup appréciée. Comme on dit, les bonnes personnes partent toujours les premières.

-Mon garçon !

Fit une voix fatiguée. J'accrochais longuement mon regard sur cette personne. C'était une femme, mis assise, mis allongée dans ce lit aux draps blancs. Son crâne était voilé d'un foulard en soie noire qui faisait ressorti, ses yeux bleus qui gagnèrent en lueur à la vue de mon patron, son fils.

Elle le prit dans ses bras alors que je restais en retrait, apeurée par cette proximitée. Je m'en voulais toujours d'être ici. Elle me remarqua. Dans ses yeux passa de l'incompréhension, puis de la joie. Elle me sourit grandement et me fit signe d'approcher.

-Ce n'est pas moi qui vais vous faire du mal, ma jolie.

Rien que ces deux mots en fin de phrase suffirent pour m'apaiser. Je m'approchais d'elle et me présentais rapidement.

-Bonjour, je suis Lara, je travaille pour votre fils.

Je ne pouvais que sourire en voyant le sien. Elle était si heureuse en ce moment même, on en oublierait presque qu'elle était condamnée à mort.

-Et moi c'est Pattie !

Sa voix était si enjouée... Mon coeur en vibra.

-Je suis si ravie de voir qu'il me raméne une femme! Fit-elle. Justin n'a jamais été très sentimental...
-Je ne fais que travailler pour lui, madame.
-Pour l'instant.

Il roula des yeux.

-Appelez moi par mon prénom, continua-t-elle. C'est moi ou vous avez un petit accent ?

Mon accent revenait quand j'étais mal à l'aise.

-C'en est un, répondis-je en souriant.
-D'où venez-vous ma belle ?
-D'Australie.

Encore un "secret" dévoilé. Si ça continuait, j'allais devenir accessible.

-C'est tellement beau là-bas! S'exclama-t-elle. J'y suis allée deux fois, avec Justin, c'était incroyable. Vous avez de la famille là-bas ?
-Non.

Ils me fixèrent après cette réponse. J'avais de la famille, enfin, un membre de ma famille là-bas, mais ils n'avaient pas besoin de le savoir.

-Où sont-ils dans ce cas ?
-Je n'ai pas de famille.

Elle vira au blanc puis lança un regard à son fils.

-Je-
-Ne vous en faites pas, il n'y a pas de problèmes.

Elle me sourit à nouveau. Elle était gentille, je comprenais qu'elle ait autant de fleurs dans sa chambre.

-Depuis quand travaillez-vous pour mon fils? Demanda-t-elle.
-Quelques mois.
-Si jamais il vous embête ou s'il fait le gros bras, vous avez le droit de lui en mettre une. Enfin, pas dans le visage, n'allez pas abîmer mon garçon.

Moi et "son garçon" rimes. Quand je me tournais vers lui, je le voyais distant, fixant sa génitrice. Il avait l'air atteint, perdu, triste, mort. Mon cœur se brisa à la vue d'un fils regardant sa mère mourir.

-Je vais... faire un tour.

Il s'en alla, pâle et désorienté. La porte claqua faiblement derrière nous, laissant Pattie me regarder, me prendre la main, et me dire:

-Mon fils fait les gros dur, et il en est un. Je n'ai jamais rien su de ce qu'il pouvait penser ou encore ressentir. Mais je vous en prie, me supplia-t-elle, ne le laissez pas tout seul.

Je restais de marbre, bien que ma respiration se faisant lente et difficile.

-Il ne va pas le supporter. Si vous voulez bien exaucer le souhait du femme mourante, restez avec lui. Je vous en supplie.

Une goutte salée silencieuse perla le long de sa joue.

-Il va vous en faire baver, mais c'est sa façon à lui de se protéger. Ne l'abandonnez pas, pas maintenant.

Sa main froide vint se poser sur ma joue, ses yeux bleus me retournant l'estomac.

-Je... je ne suis pas comme ça.
-Je sais, Lara, vous êtes comme lui, c'est pour ça que vous ne partirez pas.

Elle me sourit alors que la porte s'ouvrit.

-Lara, nous partons.

Elle se ferma directement après ça. Pas un au revoir, ni de: "je t'aime maman". Pattie embrassa ma joue, me perturbant un peu plus.

-Prenez soin de vous.
-Vous plus encore.

Elle sourit alors que j'ouvrais la porte, m'en allant. Je retrouvais mon patron à l'extérieur du bâtiment, une cigarette entre les lèvres, le mauvais temps lui tombant dessus. Il faisait froid, les nuages commencèrent à pleurer et le soleil s'en alla. Qu'elle coïncidence...

Quand il m'entendit arriver, il monta en voiture. Une fois que je fus à l'intérieur, il démarra. Dans un silence de mort, seul le bruit de sa respiration saccadée et du moteur grondant se faisaient entendre. Je ne faisais que le fixer, voyant très bien qu'il était au bord de la crise de nerfs. Il allait tellement vite que le paysage se faisait flou. Ses mains agrippaient le volant tellement fort qu'il aurait pût l'arracher du tableau de bord. Mais, malgré tout, je n'avais pas peur.

Nous faisions du deux cent kilomètre à l'heure sur la voie expresse. Les voitures nous clacksonnaient sur le passage. La respiration de Justin se faisait de plus en plus entendre. Un automobiliste tourna à gauche, ne nous voyant sûrement pas arriver. J'eus un haut le coeur alors que Justin freina un bon coup, tourna à gauche, dépassa ce type et s'arrêta devant sa voiture. Il fut obligé de s'arrêter à son tour. Mon boss sortit de l'habitacle, je fis alors de même. Le conducteur qu'il avait arrêté criait à l'intérieur de sa voiture. Je regardais la scène, proche de mon patron. Il allait partir en vrille.

Monsieur Bieber tapa plusieurs fois sur la vitre, criant des: "sors de là, enculé!" ou encore des "viens que je te casse la gueule, connard!". Il attrapa la poignée de la portière et tira dessus à plusieurs reprises. J'intervins quand il cassa la vitre d'un coup de poing. Apparemment, le mite du "la colère décuple la force" était vrai. Je le tirais par le t-shirt et le poussais loin. Je fis signe à l'autre conducteur de s'en aller, et vite, et que je lui enverrai de quoi réparer sa vitre.

Je me retrouvais alors au milieu de la voie rapide avec mon patron en trance. Il allait tout casser mais il monta en voiture. D'un coup je ne fus plus confiante de monter à ses côtés. Je le fis tout de même, m'abritant de la pluie qui venait de s'abattre sur la ville. Il démarra en trombe, oubliant les automobilistes qui clacksonnaient.

Nous fîmes à l'autre bout de la ville en quelques minutes, à la place d'une bonne heure. Ses yeux perdus dans les ténèbres, sont esprit retourné, il fit un dérapage. Mon coeur se balada un peu partout dans ma cage thoracique, mais je restais silencieuse. Il coupa le moteur au milieu d'une route encore inconnue. Personne n'était là, nous étions seuls sous un ciel étoilé.

Il se détacha sortit de la voiture mais ne prit même pas la peine de fermer la porte. Je soufflais et fis les mêmes opérations que lui. Il se mit à courir vers je ne sais où, alors j'enlevais mes chaussures et le suivis. Nous sprintâmes pendant une bonne dizaine de minutes. Je fus heureuse d'être endurante. Il s'arrêta, se laissant tomber mollement sur le bitume. J'entendis sa respiration sifflante alors que je m'arrêtais, au bord de l'asphyxie.

Il était maintenant allongé par terre. Moi j'étais agenouillée à ses côtés. Un bras sur les yeux, il essayait de reprendre son souffle. Il lui suffit de quelques minutes pour se redresser et me fixer. La lune éclairait nos visages, et je pus voir ses joues mouillées. Avait-il pleuré ?

-Pourquoi ?

Je haussais un sourcil.

-Pourquoi ma mère et pas quelqu'un d'autre ?

C'était une question à laquelle je ne pouvais répondre.

-Elle est la meilleure personne vivant sur cette planète, elle... elle ne peut pas partir.

Des larmes solitaires dévalèrent ses joues. Je me sentais si impuissante, si inutile...

-Dites moi qu'on peut la sauver, dites le moi.

Qu'est-ce que j'en savais ? Il attrapa mes mains et les serra dans les siennes.

-Je vous en prie, dites moi qu'on peut la sauver.

Sa voie suppliante, ses lourdes larmes, ses tremblements, ses lèvres grelottantes, son regard dévasté. La seule chose que je pouvais faire fut de le serrer fort dans mes bras. Mes mains enroulés autour de son dos, les siennes perdues dans le vide, je sentais ses épaules se lever dans des mouvements saccadés.

Il s'accrochait à mon chemisier comme si sa vie en dépendait, ou que j'étais la dernière chose qui lui restait. Je le berçais dans mes bras, et quand il se calma quelques minutes plus tard, il se redressa. Il n'osa pas me regarder et se tourna dos à moi.

-Monsieur, je-
-Taisez-vous, me dicta sa voix craquante.
-Non, répondis-je, n'essayez pas de vous cacher derrière cette carapace. C'est trop tard, je vous ai vu.

Il se leva, me faisant anticiper son mouvement.

-Je ne vous jugerai pas, chuchotais-je. C'est normal, humain. Je vous admire pour ressentir des choses, bonnes ou mauvaises, car c'est quelque chose que je ne supporte pas.

Il se tourna vers moi, le regard embué.

-Je ne vous en dirai pas plus, je ne vous dirai rien de moi, mais vous pouvez me parler de vous. Je vais essayer de... ne pas faire comme avant.
-Comme avant ?
-Rejeter les personnes qui s'ouvrent à moi.
-Pou... Pourquoi faisiez-vous ça ?
-Parce que, après ça, je pensais à ces personnes, je m'inquiétais pour elles. Ça me bouffe du temps et de l'énergie et j'ai appris à ne plus rien ressentir et encore moi m'intéresser aux autres... Mais, pour vous, je ferrai un effort, si vous le souhaitez.

Il eut un temps de battement, comme s'il essayait de reconstituer mon histoire dans sa tête. Le fait que je lui ai raconté mon fonctionnement me gênait, car maintenant, il pourra me cerner plus qu'hier et moi que demain. Mais je savais beaucoup trop de choses sur lui, il ne pourra pas s'en servir contre moi.

-Je ne veux pas de votre empathie et encore de votre oreille bienveillante. Je n'ai pas besoin de ça, je n'ai pas besoin de vous.

Je ris, ce qui le fit s'arrêter dans sa marche vers notre point de départ.

-Vous avez besoin de moi, sinon vous ne m'auriez jamais demandé de vous accompagner dans ce bar, à vous aider à faire des choix, à venir chez vous, à voir votre mère. Vous avez besoin de moi.
-Et vous avez besoin de moi, sinon vous ne seriez jamais venue, vous ne m'auriez jamais répondu, vous ne seriez pas là.

Le pire dans tout ça était que nous avions tous les deux raisons. Il continua, me laissant derrière lui. Nous marchâmes plusieurs kilomètres, lui devant moi, mon regard perdu dans le vide. Tout partait en vrille, c'était mauvais signe. Je ne savais plus quoi faire, comment réagir, comment réfléchir, ni fonctionner.

Il allait chambouler ma vision de la vie, et j'étais certaine de le vouloir.

            Ellipse

Un mois c'était écoulé depuis ma viré à l'hôpital. Il ne m'avait presque pas parlé et avait tout fait pour que je me retrouve en extérieur. Je ne l'avais alors vu que très rarement, mais son état s'était dégradé de jour en jour: il portait des vêtements sales, ne se coiffait plus, ne faisait plus attention à rien, n'était jamais sobre. Il partait en vrille, et pour une fois, je m'inquiétais de la santé d'autrui.

Je n'avais plus eu de nouvelles de sa famille, Pattie y compris. Maintenant que je la connaissais, que je pouvais mettre un visage sur son nom, j'avais peur qu'elle s'en aille. Pour mon patron, pour sa famille, et peut-être pour moi. Que ce passera-t-il pour son fils après sa disparition? Il pourrait ne pas le supporter et se suicider, se noyer dans l'alcool, ne plus jamais revenir. J'avais peur pour lui, j'avais peur pour mon futur et le sien.

Fumant cigarette sur cigarette, j'essayais d'éliminer mon stress comme je le pouvais. Je me répète, mais m'inquiéter pour les autres me tue. Ça me bouffe de l'intérieur. J'ai été une fille sensible et très tournée relations humaines, une fois. Comme quoi, la Lara d'autre fois n'était pas totalement morte. Je ne savais comment le prendre, mais une chose était sûre, je devais m'inquiéter.

Il était cinq heures du matin, je fumais, allongée sur mon balcon, dans un froid New Yorkais insoutenable. Et pourtant, je ne pensais pas au vent qui mordait la peau dénudée de mes jambes. J'étais en short et t-shirt, et je ne sentais plus le froid. Moi qui était toujours centrée sur moi-même, je n'arrivais même plus à penser à ma santé. Un appel nocturne me fit quitter le balcon en traînant des pieds. J'attrapais mon téléphone et décrochais, la gorge serrée.

-Oui ?
-Lara ?

Demanda mon patron. Sa voix vibrante confirma mes doutes. Je ne répondis pas et me contentais de me concentrer sur les bruits qu'il faisait. Il avait comme bouché le téléphone de sa main pour ne pas que l'on puisse l'entendre. Il revint à moi rapidement et se contenta de me dire:

-Vous viendrez à l'enterrement ?

         Ellipse

Habillée d'une robe noir cintrée et de Louboutins, je descendais de ma voiture. J'avais quelques minutes de retard, et de là où je me tenais, je pouvais apercevoir les convives assis sur des chaises et Hailey faire son discours. Elle me vit de loin et je sentis son regard interloqué sur mes épaules.

-Lara ?

Il vint à moi, la mine perdue. Ses yeux étaient vides, son teint pâle, ses cernes énormes. Il sentait l'alcool à plein nez, mais pour la première fois depuis des mois, il était sobre et bien habillé. Il sourit en me voyant et retenu des larmes. Je me tenus droites sur mes chaussures, le regardant dans les yeux.

-Vous n'êtes pas là-bas ?
-J'ai même hésité à venir.

Je lui lançais un sourire compatissant. Je lui fis un signe de tête et il me suivit sous les nuages gris. Nous nous assîmes silencieusement au dernier rang, écoutant sagement sa grande soeur. Je le voyais trembler, gigoter, comme s'il allait craquer à n'importe quel moment. Une pulsion me prit et je posais ma main sur son avant bras, lui montrant que j'étais là. Il se calma quelque peu, mais je ne pourrais jamais lui faire oublier la mort de sa mère.

-Parce qu'elle était ma maman, ma meilleure amie, mon model, la femme la plus importante de ma vie, la grand mère de mes enfants, la sœur de mon oncle, le marie de mon père. Parce qu'elle était tout pour beaucoup de gens et qu'elle le restera à jamais. On t'aime.
-On t'aime, fit l'assemblée.

Tout le monde pleurait, et je me sentis coupable de ne pas le faire. Je ressentais seulement de la peine qui me pinçait le coeur. Elle céda sa place à quelqu'un d'autre et fit son chemin vers nous. Ses cheveux blonds coupés au carré lui revenaient dans la figure à cause du vent, ce qui la faisait froncer des sourcils, ou alors c'était ma présence. Elle s'assit à mes côtés, me faisant lâcher l'avant bras de son frère.

-Lara, c'est ça.

Je me contentais de hocher la tête, ne voulant pas parler pendant un enterrement. Elle le comprit et se tut rapidement. Les personnes défilèrent sur l'estrade, des frères, des enfants, des amis, un prêtre... Tout le monde était passé, sauf mon patron. Il ne voulait pas y aller et tout le monde l'avait compris. Personne n'allait le forcer.

La suite passa très vite: des défilés devant le cercueil, des recueillements et la cérémonie était finie. La fin d'une vie se résume en si peu de temps. Je me retrouvais avec mon patron, marchant vers ma voiture, mais Hailey nous interpella. Elle enlaça son frère et fit de même avec moi. Je ne la serrais pas en retour, je n'étais le genre de personne à donner de l'amour.

-Merci d'être venue Lara.

Elle me sourit et prit son frère à part après s'être excusée. Je me retrouvais adossée contre ma Rolls Royce, une cigarette entre les lèvres, le regard perdu sur le bitume foncé. Je me fis accoster par un jeune d'environ seize ans. Ses cheveux longs me rappelaient ceux du boss et ses yeux ceux d'Hailey.

-T'es qui ?

Je souris à sa franchise.

-Lara, je travaille pour lui, dis-je en pointant mon patron du doigt.
-Depuis quand on invite une salarié à l'enterrement d'sa mère ?
-OK, tu m'as eu. Je suis peut-être plus qu'une collègue.
-Vous baisez ensemble ?

Il était détaché, il n'avait peur de rien.

-Non.
-Pas encore, fit-il, me lançant un clin d'oeil.
-Et toi, t'es qui ?
-Le fils de sa soeur, répondit-il, j'm'appel Kyle.
-Tu vis ici ?
-Ouais, je suis au lycée public de la ville.
-Ça se passe bien pour toi ? Demandais-je.

Normalement, je ne m'y serais pas intéressée, mais ce gamin était attachant et intéressant.

-Je déteste ça.
-T'inquiète, je sais ce que c'est.
-J'suis pas sûr, fit-il en riant.
-Dis moi, répondis-je.
-Tu sais ce que c'est que de s'en prendre plein la gueule à longueur de journée parce que t'es pas le même ? Parce que tu penses pas comme tout le monde? Parce que t'es nul est cours et que tes parents sont pétés de tune ?
-À peu près.

Il fut interpellé par ma réponse. Je vis mon patron revenir du coin de l'œil, ce qui me fit réagir.

-Écoute, si tu veux en parler, tu m'appelles, fis-je en lui écrivant mon numéro sur la paume de sa main.
-Euh, bah... merci, Lara.
-Quand tu veux.

J'écrasais ma cigarette de ma chaussure, montais en voiture, m'attachais et démarrais. Aujourd'hui, j'avais assisté à un enterrement, aidé un "ami" et soutenu un gamin inconnu. Je devenais sociable, et j'aimais bien.

Confident Où les histoires vivent. Découvrez maintenant