Chapitre 11

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Il reste toujours quelque chose de l'enfance.

                                                                               -Marguerite Duras

Il était environ quatre heure du matin et aucun de nous n'osait bouger de ce canapé. Nos respirations étaient calmes, tout allait bien. Toujours le même programme tournait en boucle, mais nous étions trop perdus dans nos pensées pour nous en soucier.

Sa main avait quittée mon épaule depuis longtemps, mais je sentais toujours sa présence chaude à mes côtés. Il gigota quelque peu et s'enfonça un peu plus dans le canapé. Je me tournais doucement vers lui, essayant de voir s'il dormait. Il avait l'air paisiblement perdu dans ses rêves. Malgré le si peu de lumière, je voyais ses pupilles bouger à travers ses paupières. Il rêvait ou cauchemardait, mais ses traits tendus me firent penser à la deuxième option. Il ouvrit les yeux d'un coup, me faisant presque peur. Il se rassit correctement en grognant, posa sa tête sur l'accoudoir tandis que je luis demandais:

-Quel était votre cauchemar ?

Il prit son temps avant de répondre.

-Mon futur.

Sa réponse me fit froid dans le dos.

-Je vais finir comme mon père: vieux, pauvre et dépressif.

C'était la première fois qu'il me parlait de lui. Peut-être était-ce la fatigue qui le faisait dire n'importe quoi, mais sa voix claire me montrait qu'il était bien conscient.

-J'espère qu'il brûle en enfer.

Je ne posais aucune question et le laissait s'exprimer, l'écoutant simplement.

-Lara ?
-Oui ?
-Où sont vos parents ?

Sa voix d'enfant me gêna. Je me raclais la gorge, gigotais dans le canapé et lui répondis:

-Mon père est mort, ma mère est en Australie.

Au point où j'en étais, lui dire la vérité ne serait que continuer sur ma lancé.

-Comment ?
-Accident de voiture.

Toutes les images me revenaient en tête et je revoyais la voiture tourner dans les airs avant de s'écraser dans un arbre à pleine vitesse.

-Il était seul ?
-Nous étions trois, j'ai été la seule survivante.

Des flash-backs et autres sensations vinrent m'exploser à la figure. J'eus un mal de crâne si important que je crus saigner du nez.

-Trois ?
-Moi, mon père et mon frère, répondis-je. Nous allions voir une course de voiture.

Je me prise à rire, trouvant les faits ironiques. Je sentis son regard se poser sur moi. Mes yeux cachés dans le vide, mon coude sur le bras du canapé, mes pieds sur la table basse, j'avais l'air détendue pour parler de décès.

-Comment s'appelaient-ils ?
-Jason, mais je l'appelais Jasou, parce qu'il détestait ce surnom, riais-je. Il avait fêté ses dix sept ans la semaine précédant l'accident. Mon père s'appelait Mark, il aimait la boxe et sa famille, il serait mort pour nous.

Ce fut difficile de respirer. J'avais passé les dix années qui suivirent l'accident à l'oublier, et voilà que j'en parlais de moi même, sans y être obligée.

-Vous vous en souvenez ?
-Je me souviens de tous les détails, fis-je en riant, du moment où il annonce que nous allons voir une course jusqu'à celui où les pompiers arrivent.

Je sentais son regard brûlant sur mon profil, m'incitant à lui raconter. Ma mère m'a toujours dit que ça me ferrait du bien d'en parler, et j'espérais que ce soit vrai.

-Mon père conduisait, mon frère était côté passager et j'étais derrière. Il faisait beau, c'était un mercredi de juin, alors la surprise de l'après midi était une course de voitures. Je n'avais que quinze ans et j'étais heureuse de voir un spectacle dangereux avec permission. J'étais une enfant couvée, je n'avais le droit de rien faire à part aller à la messe, riais-je. Nous étions à quelques minutes de la destination quand un conducteur s'est endormie au volant, a percuté le côté de notre voiture et nous a fait quitter la route. La voiture a fait des tonneaux dans les airs avant de retomber au sol dans un fracas dont je me souviendrai toujours. Alors, continuais-je, la gorge serrée, on a roulé dans tous les sens avant de se stopper durement contre un arbre. Je me souviens de mes cris affolés et de mon père me tenant la jambe tout en me disant que tout ira bien, fis-je, la respiration lourde. J'ai réussi, je ne sais comment, à sortir de la voiture. J'ai essayé d'en sortir mon frère, car pour mon père, c'était déjà trop tard: il saignait abondement du crâne. La porte passagère était bloquée contre l'arbre, alors j'ai essayé de le faire sortir par derrière. Mais il m'a dit de vite courir car je n'avais que quelques secondes avant que la voiture n'explose. Il... il m'a dit que je devais réussir ma vie pour maman et qu'il m'aimait plus que tout au monde. Le sentiment de savoir que la personne qui vous fait sourire va mourir dans la minute, mais que vous ne pouvez rien y faire est sûrement l'un des pires. Je fis une courte pause. J'ai alors couru loin de la voiture qui a explosée rapidement, me projetant quelques mètres plus loin. Après ça, les pompiers sont arrivés et je me suis évanouie dans l'ambulance. Puis je me suis retrouvée à l'hôpital, ma mère pleurant sur mes jambes, des médecins tout autour de moi, soufflais-je. Mon cerveau avait effacé toutes traces de souvenirs, mais le soir, je suis en proie à des cauchemars qui ne sont autres que des bribes de souvenirs qui forment cette histoire.

Il resta bouche bée devant mon récit. Ses lèvres fermées en une ligne droite, sa mâchoire contractée, ses yeux perdus et ses tremblements me faisaient comprendre son malaise.

-C'est bon, ça va, fis-je.

Le pire de tout ça était que j'allais bien. Un poids énorme venait de quitter mes épaules, me laissant maintenant avancer dans le futur. Ma mère avait raison: "parler guérit les blessures de l'âme."

-Je présume que vous êtes ici pour réussir pour elle, votre mère, me dit-il.
-J'essaye de faire ce que je peux pour lui apporter ce dont elle a besoin.
-Alors vous ne cherchez pas la puissance, mais la stabilité et la richesse pour elle ?

Je fermais les yeux. Parler de moi commençait à me peser.

-Vous n'êtes pas la femme que vous prétendez être.
-Parce que vous êtes l'homme que vous projetez ? Vous êtes comme moi, aussi paumé et détruis.

Il se leva, me dominant de sa hauteur. Il passa une main dans ses cheveux, les dérangeant, puis me dit:

-Prenez mon lit, le canapé m'ira.
-Je ne compte pas dormir, fis-je.
-Vraiment ?
-Y a-t-il une salle de sport dans l'immeuble ?
-Oui, à cet étage même.

Je hochais la tête, me levais puis quittais le salon pour aller me changer dans la salle de bains. J'enfilais rapidement un short et une brassière de sport ainsi que des chaussures et attrapais une gourde que je remplis d'eau. Je sortis de l'appartement, mais, avant de fermer la porte, je lançais:

-Je reviens dans une heure, essayez de ne pas vous foutre en l'air.
-Je vous emmerde !

Je sortis en riant, le laissant dans son appartement, en proie à lui même. Je ne cherchais pas la salle pendant longtemps, elle était juste à ma droite. J'étais seule dans cette grande pièce. En même temps, quelle personne rationnelle irait faire du sport à quatre heure trente du matin ?

Je commençais par une demie heure de course rapide, mes écouteurs dans les oreilles. Puis par des abdos. J'aimais le sport, j'aimais sculpter mon corps et le voir prendre en muscles. J'aimais aussi le sport pour la sensation qu'il procure: j'oubliais tout le reste et me contentais de penser à moi. J'avais repéré un punching-ball du coin de l'œil dés mon entrée, alors, j'enfilais des gants, fermais les yeux, inspirais un grand coup et changeais d'attitude en un rien de temps. Je ne vis rapidement que le négatif et frappais aussi fort que possible. Le sac allait d'avant en arrière, encaissant tous mes coups.

Coup droit pour leur mort. Coup gauche pour mes années lycées. Coup de genoux pour la dépression de ma mère. Coup gauche pour mes années d'emmerdes. Coup droit pour mon changement. Coup de coude pour ma sociabilité. Coup de genoux pour Harrington. Coup gauche pour mon boss. Coup droit pour son sourire, ses yeux, ses lèvres. Coup de pied pour sa similarité. Coup droit pour sa compréhension.

Le sac ne suivait plus rien, mais un poids vint le maintenir en place. Je n'y prêtais pas attention et continuais de frapper, la colère prenant contrôle de moi. Je ne sentais plus mon corps, la seule chose que j'entendais était mon cœur résonner dans la pièce, m'oppressant. Je commençais à trembler. Un dernier coup et me voilà à terre, à bout de souffle, mes forces m'ayant quittées. Je tremblais de rage tandis que des larmes silencieuses et incontrôlées coulaient le long de mes joues.

Je le sentis m'attraper par les hanches puis son buste se coller contre mon dos. Il m'enferma dans ses gros bras, essayant de contrôler mes pulsions. Il posa son menton sur mon crâne et enlaça ses mains avec les miennes. Des cris de douleur sortirent de ma cavité sans que je ne puisse le contrôler. Je gigotais, essayant de me libérer de son étreinte. C'était déjà trop tard, il me tenait fermement. Je ne comprenais pas ce qu'il me prenait, ce n'était jamais arrivé.

J'essayais de me contrôler en bloquant mes larmes, en arrêtant de crier et de gigoter. Mais c'était trop tard, il m'avait vu dans un état encore inconnu. C'était peut-être ça le problème: il était le premier à le voir. Je mis une bonne dizaine de minutes avant de totalement me calmer. Il caressa mes bras de ses pouces en me susurrant des mots doux à l'oreille, comme je l'avais fait pour lui quelques jours plus tôt. Il faisait attention à moi, et moi à lui. C'était donc ça, une relation humaine ?

Il me lâcha et je pus enlever mes gants et reprendre entièrement conscience de mon corps. Je me relevais difficilement avec son aide. Je ne sentais plus mes jambes, mes bras, mon corps. J'étais dans un état second, je ne savais pas ce qu'il c'était passé. Ses mains tenant mes épaules, ses yeux dans les miens. Je pus y lire de l'incompréhension, mais aucun jugement. Il regardait simplement. Je vis aussi de l'inquiétude, et c'est ça qui me fit pencher la tête sur le côté. Il frictionna mes épaules avant de me ramener à son appartement, mon bras sur ses épaules, le sien autour de mes hanches, faisant la béquille.

Une fois dans l'appartement, il m'allongea sur son lit. Je restais fixer le plafond, toujours à la recherche d'une quelconque force. J'étais gênée que cette crise me soit arrivée devant lui. Il s'assit à côté de moi, s'adossant à la tête du lit. Il attendait simplement que je dise quelque chose. Il tourna la tête vers moi et dit:

-Vous en faites pas, je-
-Faites comme si vous n'aviez rien vu, le coupais-je, s'il vous plaît.

Il rit.

-C'est trop tard, je vous ai vu.

Je fermais fortement les yeux. Ma forteresse se brisait sous ses mots doux et ses jolies yeux. Il était un problème que je n'avais pas envie de régler, alors je le laissais me changer sans rien dire.

             Ellipse

Le lendemain, je me réveillais sur son lit, toujours dans mes vêtements poisseux de la veille. Il était à mes côtés, dos à moi. Je voyais son buste se lever doucement, me laissant croire qu'il dormait toujours. Je m'assise, regardant par la baie vitrée. Il devait être midi, voir un peu plus. Nous devions être vendredi, quelque chose comme ça. La chance de vivre avec votre patron est que, pour les heures de retard, il n'y a pas de problème.

Je me levais doucement, ne voulant pas le réveiller. J'enlevais mes chaussures de sport pour me retrouver en chaussettes et parcourus l'appartement. J'allais dans la cuisine et sortais une poelle d'un placard ainsi que des œufs du frigo. Oeufs au plat, tomates et fromages, ça fera l'affaire. Je ne suis pas une grande cuisinière, je pensais même que les pattes se cuisaient sans eau. Ma mère ne voulait jamais que je l'aide en cuisine, et tant mieux, je détestais ça. Alors à la place, j'allais jouer au base ball avec mon frère et les voisins.

Je devais arrêter de penser à eux.

Quelques minutes plus tard, je sentis une main se poser sur mon épaule. Je tournais la tête et vis mon boss, me regardant faire le breakfast. Il me sourit rapidement et me demanda:

-Vous cuisinez ?
-J'essaye, répondis-je, si vous mourrez d'intoxication alimentaire, ça sera de ma faute.
-Ça sera toujours plus glorieux qu'un suicide.

Je ris en déposant les œufs dans deux assiettes. Il s'assit d'un côté de l'ilot et moi de l'autre. Les assiettes garnies de tomates, de fromage, d'œufs au plat et de pain étaient plutôt jolies. J'étais fière de moi. Je m'assise en face de lui et commençais à manger sous son regard chaud. Je relevais les yeux vers lui et fronçais les sourcils.

-Quoi ?
-Pourquoi m'avoir appelé par mon prénom seulement quand j'étais au bord de la mort ?

Je serrais la mâchoire et sentais mes yeux s'ouvrirent grandement. Il s'en souvenait ?

-Pour... vous mettre en confiance ?
-Non, fit-il, catégorique. Appeler quelqu'un par son prénom, pour vous, ça signifie qu'il existe, que vous vous souciez de lui. Alors, je vous repose la question: pourquoi m'avoir appelé par mon prénom ?

Sans réfléchir, je lui dis:

-Parce que je m'inquiétais pour vous, et que si vous mouriez, vous n'auriez jamais entendu ma voix susurrer ce mot.

Il se lécha les lèvres, ce qui eut le don de me les faire fixer. Je vis qu'il fixa les miennes, et j'eus une irrésistible envie de l'embrasser. Par réflexe, je penchais la tête sur le côté et haussais un sourcil. Je le faisais tout le temps quand je voulais jouer. Je le mettais au défis, mais il fit quelque chose qui m'étonna: il pencha la tête et haussa un sourcil. Nous étions beaucoup trop similaires pour jouer contre, alors on jouais ensemble.

-Ça vous dirait de sécher le travail aujourd'hui ?
-Si mon patron le propose, répondis-je.
-Qu'aimeriez-vous faire ?

Je n'eus pas à réfléchir longtemps pour lui répondre.

-Voir une course de voitures.

            Ellipse

Alors il m'a emmené voir une course de voitures à l'autodrome de New York. Il faisait beau, il y avait du monde et l'ambiance était énorme. L'odeur de la bière et du bitume chaud me faisaient sourire. J'avais l'impression de régler mes soucis en voyant des voitures faire des tours à vive allure. Il y avait des accidents, ce qui me provoquait des flash-backs de moins en moins douloureux.

Confident Où les histoires vivent. Découvrez maintenant