Prologue : "Vous n'êtes pas seule."

269 15 7
                                    


   Elle attendait, seule, ses orteils s'enfonçant dans la mousse humide. Elle tremblait de tous ses membres, le froid de cette nuit automnale s'infiltrant entre les tissus de sa cape de satin pourpre. Une large capuche masquait la moitié de son visage, ne laissant apparaître que ses fines lèvres violacées. Bientôt, un nuage fit disparaître la lune, emmenant sa lueur blafarde avec elle.

   Une branche craqua derrière le dos de la jeune fille, la faisant sursauter. Enfin, une voix réconfortante retentit en même temps qu'une flamme venait éclairer la petite clairière.

"- Morgane ? Est-ce toi ?

- Merlin."

Elle sourit et découvrit son visage. Un éclat de bonheur vint transpercer ses yeux orageux lorsqu'elle croisa le regard noir du jeune homme en face d'elle. Il la dépassait de quelques années à peine et faisait vivre au creux de sa main une vive flamme qui dansait devant son visage, dévoilant ses fossettes prononcées. Il avait les oreilles un peu décollées et des cheveux châtains en bataille comme à leur habitude.

   Elle approcha doucement sa main du brasier et le recueillit à son tour. Aussitôt, une vague de chaleur la submergea. Merlin la fixa un moment puis claqua des doigts. La flamme se dispersa en poussière de braise et entama un ballet autour des deux êtres. Morgane riait, contemplant le spectacle, émerveillée. Depuis sa plus jeune enfance, elle avait été éduquée dans la haine de la magie. Uther n'aurait d'ailleurs pas apprécié cette escapade, qui plus est, pour rencontrer un jeune magicien. Si seulement son tuteur connaissait la beauté de ce don, peut-être reviendrait-il sur cette loi d'une sévérité sans égale puisque, toute personne usant de magie était condamnée à mort sur le champ dans le royaume.

Merlin prit son menton entre ses doigts et releva son visage vers lui.

- Je sais à quoi vous pensez Morgane... Hélas, Uther a été très abîmé par les abus de la magie. Il est consumé par la peur. Il ne ferait que vous envoyer au bûcher si vous essayiez ne serait-ce que de le convaincre de revenir sur ses préjugés.

- Je le sais. Cela m'attriste plus que ce que je ne voudrais l'admettre. Comment vivre sous un toit où l'on ne peut être soi-même ?

- Vous avez Arthur qui vous soutient. Ne soyez pas triste chère amie. Vous n'êtes pas seule."

Puis, après un tendre regard, il l'embrassa. Elle le repoussa d'abord, indignée qu'il ose un tel geste. Ce n'était pas convenable. Elle était la pupille du roi et lui un simple serviteur. Même un chevalier ne se serait jamais avisé ne serait-ce que de penser à un tel affront.

   Or, à son grand malheur, une force plus puissante balaya ses valeurs. La passion revint la consumer et elle lui rendit son affectueux baiser. Les braises voletant autour d'eux s'éteignirent au fur et à mesure. Même la lune décida de demeurer cachée afin de leurs laisser cet instant d'intimité.

   Leurs corps brûlants s'entremêlaient en une étreinte passionnée. Un feu se déclara près d'eux. Ils n'y firent pas attention. La fougue prenait le dessus, contrôlant à peine ce que Merlin aimait tant appeler des dons tandis que Morgane en parlait comme d'une malédiction. Il se voyait en dieu, elle en démon. La magie l'exaltait alors qu'elle l'effrayait. Mais, cette nuit, elle était sereine. Elle n'était pas seule. Et alors qu'il lui enlevait son enfance, encouragée par ses soupirs, elle voyait naître un destin heureux avec lui. Elle l'avait attendu espérant qu'un jour la dame du Lac ne serait plus qu'un lointain souvenir. Ce moment confirmait ses espérances. Elle se laissa aller à l'élan de passion qui les habitaient puis finit par s'endormir contre lui, le rose aux joues, un petit sourire attestant d'un grand bonheur aux lèvres.

   Un courant d'air glacial la réveilla brusquement. On avait déposé sur son corps nu sa cape de la veille. Sa robe de tissus bleus était étendue sur une branche non loin de là. Chiffonné entre ses doigts, elle serra un morceau de parchemin avant de le déplier. Avant même le premier mot un mauvais pressentiment l'envahit.

Morgane, douce et tendre enfant,

Cette nuit a été exquise à mes yeux, et j'espère aux vôtres aussi. Or, cette nuit était aussi une erreur monstrueuse de ma part. J'ai profité de vous, de vos sentiments et, emporté par l'instant présent, la beauté de vos traits face aux flammes, j'ai commis l'irréparable. C'est un bien doux crime que j'ai commis. Jamais je n'ai souhaité vous faire souffrir comme je le fais aujourd'hui. Je sais qu'il est déjà trop tard, mais me voilà parti et je suis désolé de la peine que je vous cause. J'aurais voulu être meilleur mentor pour vous. Mais Viviane m'attend, je ne puis l'abandonner. La Dame du Lac m'a ensorcelé dès notre tendre enfance et je garde espoir que vous retrouviez l'amour car vous êtes bien jeune, douce étoile.

Une fois encore, veuillez pardonner mes agissements égoïstes de la nuit passée.

Adieu

Merlin

   Une larmes vint s'écraser sur le message, effaçant légèrement l'encre de son prénom. Il était parti. Elle se sentait faible, abandonnée. Elle voulut se relever mais retomba lourdement sur le sol. L'air lui semblait plus glacial encore que la veille. Un hurlement déchirant sortit de sa bouche alors que ses ongles s'enfonçait dans la terre où ses larmes s'engouffraient. Elle resta un long moment ici, recroquevillée sur elle-même, de violents sanglots secouant son corps souillé par les mains d'un homme qui ne l'aimait pas. Au bout de quelques heures, transit de froid, elle finit par plonger dans un sommeil agité.

Elle discerna au loin le galop d'un cheval, puis le bruit d'une course puis une voix masculine.

- Morgane ! Morgane de grâce revenez.

Un jeune homme blond prit son visage entre ses mains. C'était la première fois que la jeune femme l'entendait si inquiet. Elle laissa échapper dans un souffle.

- Arthur...

- Je vous ramène Morgane, ne vous en faites pas. Tout ira bien. Vous n'êtes pas seule.

Elle sentie deux puissants bras la soulever de terre et la poser sur le dos d'un cheval. Elle finit par murmurer au jeune prince.

- Je me sens si petite, si insignifiante si vous saviez...

- Je sais Morgane. Je sais.

CrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant