III

47 1 1
                                    

De ma chambre d'hôtel je ne vois plus l'océan. Seulement la ville qui s'étend avec toutes ses lumières. Je regarde les étoiles. Je me sens calme.

J'allume une cigarette. Je ferme les yeux. Je me demande comment sa simple disparition a pu m'enlever le goût de vivre. Je donnerais tout, absolument tout pour une dernière danse avec elle, pour lui dire ce que j'ai toujours ressenti, pour essayer de la retenir, pour pouvoir l'empêcher de décrocher ce putain de portable.

Je soupire. Il faut vraiment que je l'oublie. Mais l'oublie me fait peur. Il est sombre et sans fond. C'est elle qui m'a appris à penser ainsi lorsque nous parlions le soir en regardant le ciel. Aujourd'hui, je suis seul devant cette immensité qu'est le ciel. J'ai envie de me noyer dans son immensité. Je voudrais qu'elle soit là, dans mes bras. Je voudrais que tout redevienne comme avant.

-Tu es plus déprimé que je ne le pensais.

C'est sa meilleure amie. Elle non plus n'a pas de nouvelles. Peut-on encore dire qu'elle est sa meilleure amie ? Elle, elle parle beaucoup plus que mon meilleur ami à moi. Il lui raconte tout. Ce n'est pas pour rien qu'ils sortent ensemble. Ils essaient tous les deux de me faire parler.  À deux ils sont plus fort. Maintenant, je suis seul et j'ai envie de parler alors c'est assez pratique qu'elle soit là.

-Je suis si pathétique que ça ?

-Tu n'es pas pathétique. Elle manque à tout le monde... Mais toi, c'est particulier. Tu l'aimais plus que tout. Et elle a disparu. Tu sais, elle me manque à moi aussi. Quand je pense aux moments où vous dansiez tous les deux, vous donniez l'impression d'être la musique comme si vous disparaissiez dans la musique. Que tout le monde disparaissait pour vous. Il n'y avait que vous et que rien d'autre ne comptait. Vous pouviez nous faire des chorégraphies magiques... tu sais, elle m'avait confié qu'elle t'aimait aussi et elle savait que tu l'aimais. Et toi, tu savais qu'elle t'aimait.

Je souris. Cette fille sait vraiment tout de moi.  Autant que mon meilleur ami. Je les envie d'être ensemble. Ils se sont bien trouvés.

-Nous jouions tu sais. On s'était dit que ce serait au premier qui craquerait et embrasserait l'autre. Nous nous cherchions tout le temps. Je me souviens de toutes ces fois où quand nous dansions, nous nous glissions quelques mots simplement pour perturber l'autre. C'était les moments les plus drôles.

-Vous faisiez ça ?

-Tout le temps. Ce jeu a duré pendant les trois mois avant sa disparition. J'aurais aimé que ça continue.

- Je vois... Après ça, tu n'as plus jamais été le même. Toujours seul. Tu ne danses presque plus. Tu sais, il m'a dit que tu comptais quitter le groupe. C'est vrai ?

-Oui... Tu vas essayer de m'en empêcher ?

-Non. Je respecte ton choix même si je ne suis pas convaincue que ce soit la meilleure solution.

J'entends à sa voix qu'elle sourit. Je détourne mon regard des étoiles pour le posé sur son visage. C'est quoi ce sourire malsain ?

-Tu as quelque chose en tête ?

-On va te trouver une nouvelle copine !

J'aurais dû m'en douter. Cette fille est folle mais elle me fait rire. Cela faisait longtemps que je n'avais pas ri. Quand elle est comme ça, rien ne sert de lutter. Je vais la laisser faire. Après tout, qu'est-ce que je risque ?

-Bon, je vais me coucher. Ne tarde pas trop. Tu déprimerais trop.

-Oui maman. riais-je

Elle me tire la langue de façon à me faire comprendre qu'elle m'insultait intérieurement. Je souris. Cette fille est vraiment bizarre. Je comprends pourquoi elles étaient meilleures amies. Je retourne dans la chambre, il faut vraiment que je dorme. Je pense à ma chorégraphie. Il faut que je la continue demain. Je n'en ai pas fait la moitié.

Je me réveille en sursaut, il fait déjà jour. Il est déjà 11h. Je me lève difficilement. Je fais des étirements et pars me doucher. Je n'irais pas danser aujourd'hui finalement. Je vais aller me balader dans la ville. Après tout, cela pourrait bien être ma seule chance de visiter ce pays. Nous restons deux petites semaines, le temps de faire plusieurs villes puis je rentrerais chez moi. J'ai hâte.

________________________________________________________________________________  

Je rentre avec les courses, fatiguée. Je n'ai pas beaucoup dormi. Il faut que je fasse mes devoirs aujourd'hui pour ne pas prendre de retards. Demain je dois aller voir mes grands-parents. Avant, c'était maman qui s'occupait de leur donner des nouvelles mais elle ne se souvient plus d'eux et ils l'ont tellement mal pris qu'ils refusent de lui parler tant qu'elle n'a pas retrouvé la mémoire. Les médecins disent que ce serait possible mais pas avant un certain temps encore. Ce serait le rêve. Il faudrait aussi qu'elle finisse la rééducation rapidement. En fait, j'aimerais que tout redevienne comme avant.

Je soupire. Il faut vraiment que j'arrête de fantasmer comme je le fais. Je vais ranger les courses puis je vais voir si ma mère s'en sort seule. Elle est à la douche donc tout va bien. Je peux me reposer un petit moment. Je l'aime mais j'aimerai avoir des vacances, pouvoir sortir avec mes amis et avoir du temps pour moi.

Je dois faire à manger. Je regarde les ingrédients que nous avons. Je vais faire un plat simple aujourd'hui. Je n'ai pas le cœur à la cuisine. Du riz, de la salade et des steaks feront l'affaire. Je ne pense pas à ce que je fais. J'ai tellement l'habitude de faire ces mouvements. J'ai mon casque sur la tête. Je me mets à danser seule dans ma cuisine. J'enchaîne les mouvements sans oublier de surveiller la cuisson des steaks. Je donne vie à ma musique, je lui donne une âme. J'arrête le gaz. Cela me permet de m'abandonner complètement à la danse.

Le repas est rapidement prêt. Entre le riz, la salade et les steaks, je ne pense pas avoir fait de la grande cuisine aujourd'hui. Nous nous en contenterons.

-Tu sais danser ? Tu ne m'en as jamais parler.

Je sursaute. Ma mère se trouvait dans l'encadrement de la porte. Je la regarde, c'est vrai. Je ne lui en ai jamais parler. Sûrement que je n'en ai jamais eu le courage. Pour une mère, ne pas se souvenir de l'enfance de son enfant est dure mais savoir en plus que ce même enfant a eu une passion qui ne pouvait être réalisable faute d'argent doit être une vraie torture. Comment puis-je lui dire que son hospitalisation et l'enterrement ont coûtés trop cher ? Non, je n'ai pas le droit de lui parler de l'enterrement. 

-Tu m'as inscrite à la danse lorsque j'avais 5 ans. J'adorais ça et j'étais douée. Maintenant, je dois m'occuper de la maison en attendant ton rétablissement complet. Tu pourras alors m'aider et je pourrai reprendre le sport. C'est mon choix. Ce n'est pas ta faute. Il faut en premier lieu rembourser ton traitement.

Ma mère souris. Un sourire triste. C'est évident qu'elle s'en veut. Je ne lui ai pas dit toute la vérité. Comment lui avouer que j'ai abandonné ma passion et tous mes amis pour elle ? Elle ne le supporterait pas et prendrait des risques inconsidérés pour me faire reprendre. Je n'aime pas lui cacher des choses. Elle le saura en temps voulu.

  Après avoir mangé, je l'emmène chez le quiné. Le rendez-vous dure environ 1h30 alors je vais me balader en attendant. Je regarde le monde. Personne ne regarde plus ce monde. Pourtant, moi je trouve qu'il est beau. Partout où je regarde, je vois quelque chose de beau. Ce monde est beau et moi je suis triste. Je me demande pourquoi je pense encore à lui... était-il si précieux à mes yeux ? J'aurais su faire le deuil de cette relation depuis le temps s'il n'était rien. je dois bien me l'avouer, j'étais et je suis encore amoureuse de lui.

Respire et danse !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant