CHAPITRE 9

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[Asha]

Plusieurs jours étaient passés... J'avais encore du mal à croire que nous étions à Moges, et pourtant... Le ciel était devenu étrangement pourpre et d'une telle obscurité qu'on se serait cru en pleine nuit. Des nuages de poussières le traversaient et semblaient nous guetter comme des rapaces traquant leur proie. Les commerces étaient fermés, les gens étaient cloîtrés chez eux et n'osaient pas sortir, des murs de plantes avaient envahi les façades des immeubles. Certaines portes ne pouvaient même plus être ouvertes... Les tiges étaient épaisses et robustes ; pour arracher celles qui nous gênaient, Shaun et Rob devaient user de toutes leurs forces. Quelques jours auparavant, les rues étaient encore abordables. Vivantes et grouillantes de passants, il était impensable de s'imaginer qu'elles deviennent du jour au lendemain de véritables sentiers vers la mort : des pierres gisaient du sol, transpercé par les immenses racines des plantes. Mes jambes s'étaient alourdies ; la peur me paralysait... Aucune trace de Rhys. Personnellement, je n'y croyais plus. Nous avions fouillé tous les endroits où notre ami était susceptible de se trouver, et malgré ça, Mia s'obstinait à garder espoir. Ses yeux s'étaient vidés de leur lumière, sa peau dorée avait pris la couleur du ciment, ses lèvres se craquelaient, sa silhouette s'amaigrissait. Mia ressemblait à tout ce qui n'était pas humain, après seulement quelques jours... La voir dans cet état me rendait terriblement triste... Elle avait perdu toute son assurance : les soirs, elle s'asseyait en retrait du groupe et se figeait. Ses épaules s'affaissaient, comme si regarder le soleil se coucher la libérait d'un poids insoutenable, le temps d'un instant. Oui, en quelques jours seulement, il s'était passé énormément de choses. Certains quartiers de la ville déjà trop infestés par les plantes avaient été évacués. D'autres résidents s'étaient eux-mêmes enfuis ou, à l'inverse, restaient cloitrés chez eux. Dans tous les cas, personne n'était plus en sécurité... Nous avions entendu dire que plusieurs gens de notre tranche d'âge avaient déjà opté pour l'option graines de folie. Pensaient-ils être plus en sécurité ainsi, ou faisaient-ils seulement ça par ambition ? Désormais, je me méfiais de chaque être humain que nous croisions. L'immeuble qu'habitait Emily avait été évacué, nous ne pouvions plus dormir là-bas. Elle-même nous avait laissés pour partir retrouver les membres de sa famille. Ainsi, chaque soir, nous parcourions plusieurs kilomètres à la recherche d'un nouvel abri... Tour à tour, l'un d'entre nous restait éveillé toute la nuit afin de surveiller les alentours. Jusqu'alors, nous n'avions été confrontés à aucune attaque ou aucun danger imminent. La roue tournait dans notre sens...

Ce fut un matin, à l'aube, que cela changea... Nous n'avions rien trouvé de mieux qu'un misérable appartement au dernier étage d'un immeuble évacué. Nous savions que c'était une mauvaise idée d'élire domicile dans une zone infestée par les plantes, mais la présence d'agents de sécurité nous avait un tant soit peu rassurés.

Ce jour-là, c'était moi qui étais en charge de monter la garde. Pour dire vrai, j'étais terrorisée... Les yeux écarquillés, les genoux remontés à ma poitrine, la mâchoire crispée, je sentais que la fatigue me menaçait à chaque instant. Cependant, je ne pouvais pas me permettre de m'endormir ni de flancher : les autres me faisaient confiance !

La fine pluie qui frappait les carreaux de la fenêtre produisait une mélodie si douce qu'elle me berçait... Quand j'étais petite, c'était ainsi que je m'endormais : mon lit placé proche de la fenêtre, j'écoutais la pluie se déverser et je m'amusais à inventer des chansons sur le rythme des gouttes. Puis, sans m'en rendre compte, petit à petit, cette musique me plongeait dans un profond sommeil... Dans mes rêves, j'entendais encore cette douce mélodie... Des fois, quand j'avais peur, je me surprenais à la fredonner. Je me disais que c'était un moyen de m'apaiser, et bizarrement, ça marchait toujours !

Un coup de feu me tira de mes songes. Je ne cherchai pas à comprendre ce qu'il se passait et réveillai mes amis en les secouant. « Et si j'avais tout simplement rêvé ? » M'inquiétai-je alors que je m'occupai de Libby.

Graines de folie (ARRÊTÉE) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant