mon rôle, mon univers, mon papa.

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Papa.

Silence.

Papa.

Silence.

Papa.

Papa...

Pa...

Pa...

Ce mot tourbillonne dans mon crâne. Il virevolte, vole une pensée, en titille une autre. Il tourne autour d'un univers miniature.

Le mien.

Papa, c'est un petit univers qui me vole des mots interdits.

Papa, c'est un petit univers qui se faufile, furtif, dans les mailles éphémères de mon existence. Il est si minuscule que le véritable univers ne l'a jamais remarqué. Mon existence est futile, papa. Je ne suis qu'une petite particule qui contribue à l'équilibre du Grand univers. Le petit, lui, est perdu dans ma tête, mon corps.

Ce petit univers, c'est une partie de moi, papa. Une partie inapte à réfléchir, qui tourbillonne encore et encore. Qui mesure les couleurs, qui ne bat aucune mesure, qui fait défiler les saisons. C'est celui qui, tantôt, souffle une étincelle pétillante qui, paf! Explose dans mon esprit comme dans un verre de coca, puis qui se mélange à mes pensées moroses et pourtant si peu importantes. Je suis insignifiante, papa. Ça ne sert à rien d'écrire, mon existence sera si brève.

Toi, par contre, tu es infini papa, puisque tu n'existes plus. Tu es splendide, tu n'es rien, tu n'es qu'un esprit déchu. Alors que moi, je vis. Et la vie est si courte... J'ai hâte d'être comme toi, d'être brièvement regrettée, de ne plus exister. De ne plus se poser de questions inutiles. De ne plus avoir à dépérir alors que mon existence est purement matérielle. Maman m'avait expliqué, quand j'étais petite, que nous étions fait de cellules, de gentilles cellules qui combattent, de temps à autre, des cellules très méchantes, qui ne survivaient pas longtemps. Moi, tu sais, je m'étais imaginée de petites cellules noires, éparpillant leurs cendres dans ton corps. Au fur et à mesure du récit de ma mère, les méchantes formaient une petite boule. Les gentilles devenaient méchantes, et cette boule grossissait, encore et encore. Cette boule, elle allait tuer mon papa.

Moi, papa, j'ai l'impression d'être une de ces minuscules cellules toutes noires de haine qui, au fur et à mesure, forment une boule compacte, menaçante. Voici mon rôle, il est parfait, faire le mal. Tuer et transformer les gentils, les plantes, les animaux. Récupérer le bois, les peaux, la fourrure, la sève, en faire des baumes, les trancher, les dénuder de leur volonté et les utiliser pour répandre la suie dans notre corps, notre porteuse, notre planète.

Alors, papa, pourquoi avais-tu peur de la mort? Il en va du devoir du soldat de mourir au front...

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