Je suis une fille.
Je suis une fille.
Je me répète machinalement ces mots, marchant dans la rue. Les maisons défilent à mes côtés, lentement, elle semblent se mouvoir au fil de mes pas crispés.
Je veux être une fille...
J'ouvre la porte de ma maison. Je vois ma mère, qui lit son livre sur le balcon, j'ai envie de frapper contre un mur. À l'aide. Je suis une fille, je suis une fille, je suis...
Aïe. Ce qu'elle avait dit à mon petit frère tourne en rond dans ma tête.
« Va du côté des garçons. Ben alors, t'as quoi entre les jambes ? »
Pitié... Je ne suis pas une fille...
J'entends, sans cesse, en répétition, leurs voix, à tous, qui me torturent.
« Fille, fille, fille, fille ! Ma belle ! Ma chérie ! Elle ! »
J'entends sans cesse les gens qui m'entourent me corriger à chacun de mes mots.
« EuSE. EntE. IsE. »
Comment pourraient-ils le savoir ? Je ne leur dirai jamais. C'est trop dur. À chaque fois, c'est pareil : je m'entoure de silence. J'ai une carapace, un mur invisible. Ils ne sauront jamais. Comme ça, ils ne me jugeront pas. C'est comme ça... Mais par pitié, en réalité, j'étouffe.
« Elle, elle, elle ».
Quel est donc ce sentiment de malheur ? Comme si personne ne m'acceptait ?
Ma meilleure amie le sait, et pourtant, elle insiste, comme pour se conforter dans la féminité qu'elle veut à tout prix voir en moi. Je n'ose pas reprendre qui que ce soit. Je n'oserai jamais étouffer quelqu'un comme les autres m'étouffent. J'essaie d'abord de penser aux autres. Toujours. Je me dis que ça doit être dur pour eux d'accepter.
Quand je le dis, j'entends parfois, non, souvent,
"Ah... Je comprends."
Le fameux « je comprends ». Peut se traduire par « je vais lui montrer que je suis quelqu'un de compréhensif et d'intelligent. »
Le fameux « je comprends ». Celui que je n'aime pas tant que ça, finalement, car peu importe ce que je dis, j'ai l'impression d'être vu comme une fille un peu différente, sans plus. Comprise, oui. Mais pas acceptée. Au fond, ce « elle », ce n'est qu'un pronom. Tout ce que je demande, c'est de ne pas être vu comme une fille, tout ce que je demande, c'est d'être accepté, juste accepté, mais non, je ne suis pas accepté, je suis apparemment « comprise ».
Je sais que je ne devrais pas me plaindre. Pas pour si peu. Mais au fond... C'est toujours aussi douloureux...Il y a aussi les questions. Plein de questions. Parce que « c'est normal d'être curieux. On cherche à comprendre, justement. »
Et moi, puisqu'on me pose ces questions... Cela voudrait-il dire que je ne suis pas « normal » ?
Évidemment. Que croyais-je donc ? « Normal ». Mot vaste. Sans sens concret. Qui n'aurait jamais du être inventé. Il blesse tellement de personnes, ce mot. Il blesse l'intelligence. Il se confronte à tout. Et pourtant, il gagne toujours.
Il gagne et laisse derrière lui, partout où il se pose, un sillon de douleur.Parce que oui, c'est douloureux d'avoir l'impression de devoir se justifier d'une quelconque différence. Comme si notre existence était un mystère aux yeux des autres. Ça fait mal. Je ne le dirai jamais. Ne me plaindrai jamais à quelqu'un. Je m'appelle « elle » pour le bon confort des autres. Mais au fond, chaque « elle » de plus, je reçois comme un coup sourd à la poitrine.
Je ne suis pas une fille.
[ce texte ne reflète pas totalement mes pensées propres. C'est juste qu'entre ce que je vis parfois en tant que genderfluid et, surtout, quand je vois ce que plusieurs amis transgenres subissent au quotidien, je voulais faire ce texte car cette cause me tient à coeur.]