Wiggins débarqua comme un fou à Baker Street, entra sans refermer la porte derrière lui, et fit irruption dans le salon à la vitesse approximative d'un boulet de canon.
Holmes sauta sur ses pieds.
-Trouvé ? s'enquit le détective, le cœur saturé d'émotions.
-Oui ! Il faut... se dépêcher !
Il avait à peine fini sa phrase que Holmes se tenait devant lui, en manteau. Le garçon lui attrapa le bras et se remit à courir. Une peur atroce lui tenaillait l'estomac, une peur dont il n'osait s'avouer la raison. Il avait vu ce que Dépression faisait faire aux gens. Il avait vu ce que Dépression avait fait faire à sa mère.
-Prenons un cab ! Lui cria Holmes à la volée en agressant presque un cocher qui venait de s'arrêter.
~
Ils étaient tous les deux immobiles, au bord du pont.
Wiggins sentit quelque chose d'innommable le frapper en plein cœur. Un affreux mélange de peur, de panique, et de culpabilité.
-M'sieur Holmes, chuchota-t-il, si bas qu'il fallait avoir l'ouïe du détective pour l'avoir entendu. Il était là. Je vous promets qu'il était là.
Son doigt tendu désignait le pont.
Désert.
-Il m'a dit qu'il m'attendait... Il m'a promis qu'il m'attendait !
Et il explosa en sanglots.
Holmes resta un instant décontenancé. D'abord, parce qu'il n'avait pas l'habitude de voir un enfant pleurer, ensuite, parce qu'il s'en voulait d'avoir oublié qu'il n'était pas le seul à tenir à Watson.
Qu'aurait fait son ami, à sa place ?
Écoutant un instinct qu'il ne pensait pas détenir, il s'agenouilla, et, maladroitement, prit le garçon dans ses bras.
Wiggins le serra contre lui, pour mieux s'envelopper de l'odeur rassurante du tabac, et de ce corps mince et sec qu'il connaissait si bien. C'était Sherlock Holmes. Sherlock Holmes pouvait tout.
Il se sépara et se mit dans une sorte de garde-à-vous approximatif, le visage déridé par sa foi envers le détective. Ému, Holmes lui ébouriffa les cheveux, et sortit de sa poche quasiment tout l'argent qu'il avait sur lui, pour le glisser dans le manteau de l'enfant.
-Je prends le relais, Wiggins. Va dire à tout le monde de cesser les recherches. Puis, toi et les Irréguliers, allez manger quelques choses de chaud, quelque part. Tout va bien se passer.
Tous le monde n'arrêtaient pas de répéter ça. Mais cette fois, c'était Holmes, alors Wiggins le cru. Il sourit, et fit demi-tour, le pas déjà plus léger.
Holmes attendit qu'il soit hors de vue pour laisser tomber son masque, craquelé par l'angoisse.
La pluie s'était tu, enfin.
Plus rien ne bougeait, rien d'autre que les reflets miroitant des flaques, entre les pavés descellés. Le monde était noyé de silence.
Avec lenteur, Holmes s'approcha du garde-fou.
En contre-bas, l'eau bouillonnante de la Tamise, si pleine de violence contenue.
Il se mordit la lèvre, et se redressa. Son regard se promena dans les environs.
La pluie avait éliminé toutes les traces de pas.
-Watson ? Tenta-t-il d'une toute petite voix.
Évidemment, seul la Tamise lui répondit. Il hésita un instant à crier, mais convint que, dans un quartier pareil, cela apporterait sûrement plus de mal que de bien.
Et il fallait admettre l'idée, l'idée abominable, l'idée douloureuse, que Watson ne voulait peut-être pas être retrouvé. Pas par lui.
Il longea le quai au hasard. Ses pas résonnèrent affreusement dans les ruelles glauques.
Son regard fouilla les ténèbres. Il avait l'impression qu'il n'avait fait que ça, dernièrement. Fouiller les ténèbres, pour retrouver Watson, son Watson, et l'arracher à cette obscurité qui ne lui allait pas.
-Holmes ?
Le détective se retourna d'un bloc.
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La Chute du Docteur Watson (Victorian Johnlock)
FanfictionTout avait si bien commencé. L'éternel salon de Baker Street, une enquête, du soleil, un Holmes de bonne humeur, et un docteur rayonnant. Mais l'obscurité ne faisait qu'attendre son heure. Malmené de bout en bout, miné par ses erreurs, Watson s'enfo...