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Le cab c'était à peine arrêté que Holmes en jaillissait, attrapant, comme il le faisait parfois, le poignet de Watson pour l'entraîner dans sa course.

Mais le pauvre docteur ne s'y était pas préparé, et ne tint qu'une dizaine de mètres avant que sa jambe ne se dérobe et qu'il s'écroule sous son propre poids, faisant vaciller le détective.

-Watson ?! Glapis Holmes, surprit.

Où est-ce que Watson trouva la force de sourire ? Il ne le sut jamais. Mais il sourit. Plutôt mourir que de se montrer pathétique devant Holmes, se répéta-t-il, comme un mantra. Plutôt mourir...

-Il fait trop humide, Holmes, dit-il d'un ton détaché, en s'asseyant tant bien que mal. Ma jambe ne me permet pas de courir.

Au comble de la frustration, Holmes regarda sa montre, Lestrade, sa montre, la route qu'il devait emprunter pour capturer le dangereux bandit, sa monstre...

-Si nous attendons plus longtemps, lança-t-il, piétinant littéralement sur place, il va s'échapper. Watson, puisque vous ne servez à rien pour le moment, restez là, ne bougez pas... Nous revenons le plus vite possible.

Sans attendre de réponse, il reprit sa course, Lestrade dans son sillage.

Et Watson le regarda partir, chaque pas qui l'éloignait de lui lui arrachant un bout de cœur en plus. Pauvre petit cœur en lambeaux. Le docteur pouvait presque l'entendre se déchirer, se réduire en miettes, et puis disparaître, soufflé par un vent froid, si froid...

Holmes m'a laissé derrière.

Il y eut un grondement. Le ciel venait d'exploser, enfin, libérant sur la ville ses torrents de larmes.

Holmes a dit que je ne servais à rien.

Holmes n'a pas besoin de moi.

Personne n'a besoin de moi.

Il ne pouvait pas rester là. Il ne pouvait pas simplement attendre que Holmes revienne. Il ne voulait pas constater qu'il s'en était très bien sortit sans lui. Il ne voulait pas voir de pitié, envers l'invalide qu'il était. Il ne voulait pas voir de dégoût.

-Plutôt mourir, se répéta-t-il de nouveau, à haute voix, cette fois.

Il prit appui sur une brique descellée et se tracta avec la force de ses bras. L'effort lui donna le vertige. Quelque chose s'était brisé, en lui, lorsqu'il avait vu la silhouette de Holmes s'éloigner, sans un regard en arrière, sans une pensée pour lui. Finalement, le froid avait atteint son cœur.

Sous la pluie qui persistait à lui fouetter la peau, Watson avança en traînant sa mauvaise jambe comme un boulet, un poids inutile. Comme lui. Inutile.

Il ne savait pas où il allait. Ce qui comptait, c'était de s'éloigner. Partir où personne ne pourrait le trouver, personne ne pourrait le reconnaître. Il avait trop honte d'être lui-même. Il avait mal. Il se sentait fatigué. Tellement fatigué. Las.

À quoi bon ?

Qu'avait-il accomplit de sa vie ? Qui tenait encore à lui ? Et s'il disparaissait, maintenant ?

Oh, oui, c'était bien ce qu'il voulait. Disparaître. Moucher enfin la blessure du remords, la culpabilité, le mal-être, et cette si douloureuse blessure que faisait naître l'idée que Holmes n'avait pas besoin de lui.

Il voulait aller quelque part, il ne savait pas où exactement, un endroit calme, où plus personne ne penserait à lui. Où il ne penserait à plus personne. Il y avait un trou dans son cœur. Un vide. Il voulait le laisser le dévorer. Il ne voulait plus rien ressentir.

Oui... songea-t-il en titubant sous la pluie. Le monde serait définitivement un meilleur endroit sans moi.

~

La pluie éclata au moment où Holmes et Lestrade parvenaient à la maison du bandit. Ils grimpèrent les escaliers quatre à quatre, et déboulèrent... Dans une chambre vide.

-On l'a manqué de peu ! Râla Lestrade en constatant des cendres de cigarettes encore fumantes.

Holmes acquiesça... Avant de tourner son regard vers la fenêtre, soucieux.

-Il faut le poursuivre, Holmes ! continua l'inspecteur.

-Ça ne servirait pas à grand-chose, répondit le détective, distrait. Nous le retrouverons une autre fois. Vous, poursuivez-le, si vous voulez. Je vais retourner vers Watson. J'espère qu'il a pu se mettre à l'abri de la pluie.

Il n'avait pas fini de parler qu'il ouvrait déjà la porte d'entrée.

-Je viens avec vous, intervint l'inspecteur. Je... J'ai été vraiment rude avec lui. Je sais bien qu'il ne voulait que me faire plaisir en m'attribuant tout le mérite devant les reporters. Je n'aurais pas dû C'était injuste de ma part lui reprocher cette erreur.

-Vous avez fait quoi ?!

-Mais, Holmes... Vous étiez dans la même pièce.

-J'étais occupé à réfléchir, grommela le détective en accélérant le pas.

-Il a fait une de ces têtes... reprit Lestrade, un ton plus bas.

Holmes commença à courir, prit d'un horrible pressentiment.

Oh, Watson... Comment avait-il pu négliger la culpabilité qu'avait dû ressentir son docteur, après le suicide du majordome ? Il avait été trop occupé à se défaire de son propre sentiment de responsabilité, mais, enfin, il aurait savoir que le cœur d'artichaut de Watson serait plus durement affligé que le sien ! Quel imbécile il avait été ! Non, mais quel imbécile ! Et il avait continué de l'admonester au lieu de le consoler...

Il accéléra encore le pas. Au prochain tournant, il pourrait se faire pardonner... Ramener le docteur à Baker Street. S'occuper de sa jambe. La masser, peut-être, ou lui faire couler un bain chaud. Lui dire que ce n'était pas sa faute. Que tout allait bien se passer. Qu'il s'occupait de tout ; lui comprit.

Holmes accéléra encore et tourna précipitamment.

Il lui sembla que le vide qu'il trouva sur le trottoir, à l'endroit où il aurait dû être son ami, était un trou creusé à même sa poitrine.

-WATSOOON ! Hurla-t-il en faisant un tour sur lui-même. WATSOOON !

Mais seuls les battements de la pluie lui répondirent.

La Chute du Docteur Watson (Victorian Johnlock)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant