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Ça n'était qu'un soupir, ce « Holmes », à peine un murmure. Mais c'était lui. Oh, oui, c'était lui, il en avait l'intime conviction, c'était lui, ça ne pouvait être que lui.

Il s'avança dans une ruelle étroite, aux maisons si bancales qu'elles se mêlaient, empêchant le ciel de toucher le sol.

Il est là.

La phrase tournait en boucle dans sa tête.

Il est là, il est là, il est là...

Il s'approcha un peu plus de la silhouette assise sous le proche d'une vieille bâtisse.

-Watson... balbutia-t-il... Oh mon Dieu, merci ! Watson ! Watson ! Mon Dieu...

Le soulagement lui coupa les jambes. Il tomba à genoux sur les pavés, juste à côté de lui.

-Je croyais bien avoir reconnu votre silhouette, murmura le Docteur, mais je ne pouvais dire avec certitude s'il s'agissait de vous ou d'un rêve.

Holmes prit son visage entre ses mains.

-Watson... Dieu merci, merci, merci...

-Holmes ?

Le Docteur leva lentement sa main, et son pouce effleura la joue du détective.

-Vous pleurez ? Murmura-t-il.

Holmes sourit à travers ses larmes et pencha sa tête en avant, posant son front contre celui de Watson, les yeux fermés, dans le simple but de mêler sa respiration à la sienne, et de s'emplir de sa présence. Il était là, bel et bien là, tangible, réel, Watson, John Watson, son Watson.

-Watson, souffla-t-il enfin en se séparant, que faites-vous ici ?

-J'ai promis à Wiggins que je ne bougerais pas, répondit son ami retrouvé d'une voix lente, mais je n'en pouvais plus de la pluie. Vous ne m'en voulez pas ?

Holmes fit glisser ses mains des joues du docteur à ses épaules. Il ne pouvait pas s'arrêter de le toucher. Il avait l'horrible impression que s'il le faisait, il disparaîtrait. Et ça, il ne pouvait pas se le permettre.

-Bien sûr que non, Watson, bien sûr que non. Je ne vous ne veux pas. Mais que faites-vous là, dehors, et pas à Baker Street ?

Les ombres s'obscurcirent, sur le visage du docteur. Il pencha sa tête en avant.

Holmes posa un doigt plié sous son menton et lui releva la tête, pour plonger son regard dans le sien.

-Je suis si fatigué, Holmes, dit enfin Watson. Et je... Je me suis dit... J'avais tant envie de tout arrêter. Les gens n'ont pas besoin de moi. Le monde n'a pas besoin de moi. Et j'ai blessé... J'ai blessé tellement de gens...

-C'est faux, répondit Holmes d'une voix étranglée. J'ai tant besoin de vous, John.

Watson eut un pauvre sourire. Épouvanté, il s'aperçut que son ami ne le croyait pas.

-Vous trouverez des dizaines de soldats à la retraite prêts à faire de vos histoires d'horrible romances, répondit Watson d'une fois éraillée. Et, au pire, vous avez toujours votre cocaïne...

-On peut savoir ce que vous racontez ? Répliqua le détective en essayant de faire transparaître de la colère dans sa voix. Il n'existe qu'un seul John Watson, et l'univers ne peut pas se permettre de le perdre. Vous comprenez, ça ? Vous comprenez ?

Watson lui jeta un regard hésitant.

-Vous comprenez ? Reprit Holmes en lui serrant le haut de bras. Je ne peux pas me permettre de vous perdre, mon cher Watson. Alors vous allez me faire le plaisir de vous redresser, et de rentrer avec moi à Baker Street. Sinon, je vous préviens, que je vous porterais sur mes épaules, s'il le faut ! A-t-on entendu pareille sottises ? Vous lisez le Strand, parfois ? C'est Sherlock Holmes et John Watson !

-Sans moi, le majordome...

-On n'en sait rien, Watson ! Il n'avait qu'à présenter un meilleur alibi, et, pour l'amour de Dieu, ne pas se pendre pour une simple accusation de meurtre !

Watson ne put s'empêcher de relever le coin de ses lèvres, amusé. Holmes, comme transpercé, chancela.

-Les enfants... continua le docteur, redevenu sombre.

-Seraient tous morts si vous n'aviez pas été là pour déduire l'origine de leur mal ! Bon sang, Watson, ils envisagent de vous dresser une statue !

Les yeux de l'intéressé s'agrandirent d'horreur.

-Non !

-Enfin, pas pour le moment, mais je vous promets que si vous ne venez pas avec moi dans l'instant, je vais les...

Watson plissa les yeux et se mit à rire. Holmes sentit quelque chose se liquéfier, à l'intérieur de lui. Quelque chose de chaud.

-Je ne peux pas me servir de ma jambe, dit le docteur, calmé.

Le cœur de Holmes se serra lorsqu'il se rendit compte que la dernière fois que Watson lui avait dit cela, il lui avait tourné le dos et l'avait abandonné sur le bord d'un trottoir. Il vit dans les yeux de son ami que lui aussi s'en souvenait, et que cette phrase était, pour lui, la seule question qui importait. Est-ce que Holmes l'acceptait, alors qu'il était défaillant, alors qu'il ne pouvait pas le suivre, alors qu'il le ralentissait ? Lorsque c'était lui qui avait besoin de lui ?

-Eh bien, vous vous servirez des miennes, répondit doucement Holmes en se relevant pour lui tendre la main.

Watson sourit avec douceur.

Il lui semblait que la nuit était finit. D'énormes rayons de soleil balayaient l'intérieur de son être, chassant la peine, la culpabilité et le dégoût de lui-même.

Il glissa sa main dans celle de Holmes.

Le détective le tira vigoureusement à lui, comblant son manque de force.

Watson tituba.

-Je vous tiens ! s'exclama Holmes en passant une main autour de sa taille et en faisant passer son bras en travers de ses épaules.

Holmes voyait bien qu'il essayait de ne pas trop s'appuyer sur lui.

-Je vous tiens, Watson. Je vous en prie, laissez-vous faire. Je vous ramène à la maison. Chez nous.

La Chute du Docteur Watson (Victorian Johnlock)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant