Jamais attente ne lui avait paru si longue. La peur l'avait tétanisé. En plus de l'engourdissement, Magnus était incommodé par ses habits mouillés, par le froid qui imprégnait ses os et sa peau irritée. Ses bras et ses jambes étaient écorchés. Il s'était rongé une partie des ongles jusqu'au sang en ne cessant de se répéter : mais où allaient-ils débarquer ?
Une annonce lui permit de résoudre certains mystères.
— Aérogare E de la zone 13. Navette de marchandises. Demande autorisation d'atterrir.
Il n'existait qu'une planète se divisant en zones : Héra.
Magnus ne se laissa pas impressionner. Les homogènes étaient mortels et répondaient à des lois régies par leur gouvernement, tout comme les humains. Il regretta néanmoins de ne pas avoir été plus attentif à l'école afin d'en savoir davantage sur cette espèce.
L'un des hommes se leva et fit observer aux autres qu'ils avaient accumulé du retard. Lorsque le vaisseau avait décollé d'Huma, il était environ huit heures du matin à Normanday. Magnus tenta de se souvenir des formules apprises au collège puisque pour calculer la durée du trajet il fallait considérer le décalage horaire qui dépendait du cycle solalien. Il lui semblait avoir passé un temps infini dans le vaisseau, mais quelques minutes avaient pu s'écouler. Dans son état, impossible de se fier à ses impressions ou à sa mémoire.
Une vibration et un choc léger sous la coque lui indiquèrent qu'ils se posaient. Les éclairages s'intensifièrent ce qui n'arrangeait pas les affaires de Magnus. Les homogènes quittèrent leurs sièges et se hâtèrent. L'un d'eux saisit dans ses bras une Cassandre toujours inconsciente. Son frère retint son souffle. Pétrifié et immobile, il ne bougea pas un cil. Au bruit, il comprit que la porte principale du vaisseau venait de s'ouvrir et que la passerelle s'allongeait. Les homogènes ne remarquèrent pas sa présence. Dans l'art du camouflage, Magnus était doué même lorsqu'il fallait se faire passer pour un colis. Une chance aussi qu'il porte du beige et non du rouge. Il attendit le moment propice pour se glisser hors de l'engin, se faufila entre les marchandises et se retrouva dans un immense entrepôt surmonté d'un dôme en verre d'où presque aucune lumière ne filtrait. Des cartons étaient entassés en rangs serrés. Des robots en prenaient certains, les mettaient sur leur tête avant de disparaître dans un monte-charge.
Non seulement il ne devait pas se faire repérer, mais il ne devait pas perdre de vue sa sœur. En grimpant sur un tas de paquets, il profita d'un large panorama. Dans l'allée centrale, l'individu qui retenait Cassandre la portait avec la même indifférence que si elle avait été un vulgaire sac de linge sale. Hors de lui, Magnus réfréna l'envie de lui sauter dessus. Il devait faire preuve de vigilance et de patience. À ses yeux, les homogènes étaient comme les bromosorus sur Huma, sauf que son désavantage était de taille puisqu'il se trouvait en terrain inconnu.
L'homme rejoignit une femme attendant au bout de l'entrepôt. Son visage était dissimulé derrière le capuchon de sa pèlerine blanche et elle était vêtue d'une combinaison rose ornée d'armatures dorées. De sa main gantée, elle désigna une grande valise brune. Magnus pressentit la suite et fut navré de ne pas se tromper. Cassandre fut glissée puis enfermée dans la malle. La femme l'effleura et huit longues pattes en ferraille se déployèrent. L'homogène maintint la porte ouverte et la femme s'y engouffra, la valise sur ses talons, semblable à une araignée géante. Magnus crut que son cœur allait s'arrêter tant la scène lui paraissait invraisemblable. Qu'est-ce que ces monstres comptaient faire de sa jumelle ?
Reprenant ses esprits, Magnus descendit de son monticule de cartons et se fit le plus silencieux possible pour parvenir jusqu'à l'issue de derrière. Avant la dernière rangée de cargaisons, il s'estima fini lorsqu'un robot déboula de nulle part en se mettant en travers de sa route. Prêt à en découdre, quitte à mourir pour sa famille, Magnus recula pour mieux attaquer. La machine saisit avec ses pinces un colis qui traînait sur le sol et fit marche arrière sans lui prêter attention.
Magnus s'assura que la voie était libre avant de se hasarder vers la porte. Un regard autour de lui, une profonde inspiration. Il tourna la poignée, s'engagea vers l'inconnu et se retrouva dans une ruelle sombre et déserte. Les murs des façades entièrement vitrées montaient si haut dans le ciel qu'il eut l'impression d'être coincé dans un labyrinthe de miroirs. Il fallait se tordre le cou pour visualiser le sommet des habitations qu'un réseau de ponts reliait les unes aux autres. Fait étrange : l'absence de porte. Les entrées devaient se situer ailleurs.
Deux chemins s'offraient à lui et Magnus paniqua. Il avait failli. Sa jumelle avait disparu pour toujours. Les larmes commençaient à lui embuer la vue lorsqu'un éclat de ferraille sur le sol attira son attention. Se pouvait-il qu'il provienne de la valise-araignée ? Comme il l'aurait fait dans la jungle de Beauwood pour traquer une proie, Magnus chercha des indices. Un nouveau fragment argenté lui permit de penser que la valise avait pris la rue la moins éclairée. Il se concentra sur Cassandre et la sentit paisible. Elle devait dormir. Hésitant, mais n'ayant pas d'alternative, Magnus bifurqua vers la gauche en espérant rattraper son retard.
À un carrefour, il aperçut la femme au capuchon et la valise. Seule. Sur tout le trajet, Magnus n'avait eu à éviter personne. Où étaient la foule, les enfants, la vie ? Il suivit l'homogène en conservant une bonne distance de sécurité. Elle le mena sur une grande place circulaire sur laquelle trônait une maison rouge à cinq étages, minuscule en comparaison des immeubles alentour, une demeure de conte de fées qui aurait plu à Hansel et Gretel. Elle contrastait tellement avec le reste du décor que Magnus eut l'impression de rêver. Une ambiance singulière s'en dégageait, chaleureuse et mystérieuse. Et ce fut précisément devant l'entrée de cette bâtisse que la femme au capuchon s'arrêta. Elle déganta sa main droite et la posa sur une serrure palmaire. La porte s'ouvrit sur un hall sombre où un homme sans âge à la mine sinistre l'accueillit. La valise retenant sa jumelle les suivit à l'intérieur.
Plutôt que de se précipiter, Magnus fit prudemment le tour de la maison. Les volets étaient clos. Il lui fut donc impossible d'en distinguer l'intimité ou de s'y introduire de force. Il trouva plus loin sur la place un tas de déchets ménagers qui contenaient des restes d'androïdes ressemblant fortement à des humains. Magnus venait de dénicher la planque idéale. Qui penserait qu'un adolescent se cacherait là ?
Durant de longues minutes, il ne se passa rien, jusqu'à ce qu'il lève la tête et voit approcher une carnavette ronde et métallisée montée sur un rail. Elle s'arrêta à une station nommée Place Heurtebize, arrimée au troisième étage d'un immeuble. Un jeune homme endimanché sortit du véhicule, emprunta un ascenseur vertical extérieur et arriva tout fringant sur la grande place. Il balaya l'horizon d'un air suffisant avant de se présenter à la maison rouge. Comme la kidnappeuse de Cassandre avant lui, il posa la main sur la plaque de la porte et pénétra dans la demeure.
Les heures qui suivirent, une centaine d'homogènes,hommes et femmes confondus, observèrent un parcours identique. En d'autrescirconstances, Magnus aurait pu croire que cette bâtisse tenait lieu de théâtre,mais l'atmosphère équivoque qui s'en dégageait lui donnait la chair de poule.Sans compter que Cassandre y était retenue de force.
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La Nébuleuse d'Héra
AdventureEn 3602, la Terre n'est plus qu'une planète à l'abandon. Trois races distinctes, issues des humains, ont colonisé de nouveaux systèmes. Kendalh, une scientifique « homogène » - l'espèce dite supérieure - rejoint sa planète après une mission de plus...
