Chapitre 5 : Mission : Terre

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Dans la salle d'embarquement, les vaisseaux assemblés dans des niches ressemblaient à des ours en hibernation. Des humanoïdes nettoyaient leurs coques déjà rutilantes, sous l'œil inquisiteur d'un agent d'entretien. La structure alvéolée de l'immense hall donnait le vertige. Kendalh emprunta l'ascenseur panoramique pour rejoindre la plateforme 2 où patientaient les scientifiques de sa promotion.

— Où est ta moitié ? l'interrogea Nisha.

Rouck manquait à l'appel.

— Je ne sais pas, répondit-elle en dissimulant son embarras.

— Une querelle d'amoureux ?

Son amie ébouriffa ses cheveux lilas. Bien qu'elle arbore une coupe garçonne, sa sensualité et le galbe de ses courbes éliminaient toute confusion des genres. Kendalh la trouva bronzée et devina qu'elle avait abusé d'un amplificateur de teint. Ce nouveau hâle faisait brillamment ressortir son regard jaune pailleté d'orange. Nisha était d'une beauté ordinaire et pour se démarquer elle usait parfois d'artifices. Tragédienne dans l'âme, elle dérangeait. Rares étaient les homogènes montrant tant d'exubérance. Rouck ne comprenait pas qu'elles fassent si bien la paire alors qu'elles étaient l'opposé l'une de l'autre.

— Ça ne lui ressemble pas d'être en retard, insista Nisha en surveillant la porte.

Kendalh laissa flotter la remarque. Une bouffée de chaleur la fit rosir. Une boucle tombait sur son front qu'elle repoussa nerveusement. Quelque chose clochait, mais quoi ?

Le contrôle technique achevé, un vaisseau émergea de son repaire. L'emblème de la SIMRA était visible sur la coque nacrée, les ailes sagement repliées. Kendalh monta à bord et attendit sur l'une des banquettes du salon central. Le néon du plafond lui sembla agressif et sa ceinture de sécurité l'étranglait. Son corps était mû par des secousses irraisonnées. Elle n'avait nulle part où se cacher et tout le monde put percevoir son agitation.

Rouck apparut juste avant qu'on ne quitte la base sans lui. Leur cheffe, une femme d'une cinquantaine d'années de belle prestance, aux épaules larges et carrées, le jugea d'un œil sévère, mais se contenta de lui servir quelques reproches pour le principe. Kendalh évita le regard de son compagnon. Il méritait autant qu'elle ce voyage, mais elle aurait préféré ne pas l'avoir à côté.

Après s'être engouffré vers la sortie, le vaisseau fut happé dans le ventre profond de l'espace intersidéral. La Terre était devant eux, désolante. Tout ce qu'il restait de la planète bleue était un dégradé de gris et d'orangé, un désert brûlant aux couleurs délavées. L'équipage se préparait à toucher le continent de l'ancienne Asie, là où se trouvait autrefois la ville de Bénarès. À cette température, aucune forme de vie n'avait survécu.

Le vaisseau esquiva un corps céleste et pénétra l'atmosphère. Des soubresauts se firent sentir avant que la vitesse se stabilise. Les réacteurs faisaient un bruit d'enfer. Par les hublots, la poussière se dissipa et l'horizon apparut à travers un ciel incandescent. Sans piste d'atterrissage, la manœuvre était délicate, mais Kendalh doutait qu'on les débarque sur un terrain fragile. Pourtant une angoisse irrationnelle ne la lâchait pas.

Une lumière verte s'activa, signe que les scientifiques pouvaient quitter leur siège. Via le pont intermédiaire, ils se rendirent dans l'antichambre où ils passèrent leur combinaison spatiale. Parés, ils migrèrent vers la sortie extravéhiculaire. En tête de file, leur cheffe les prévint de l'ouverture des sas extérieurs. À l'idée de fouler le sol terrien pour la première fois, Kendalh se sentit toute chose. Les homogènes étaient physiologiquement incapables de pleurer. Néanmoins sous le coup d'une émotion forte, leurs iris variaient d'intensité en passant du clair au foncé. À cet instant, les yeux de Kendalh étincelaient comme des grenats. Elle observa le reste de l'équipage. Rouck ne lui avait pas encore adressé la parole. Lui aussi était troublé.

La Nébuleuse d'HéraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant