La Nébuleuse d'Héra

Chapitre 7 : La théorie des Espèces

De retour sur le vaisseau satellitaire, son compagnon fut transporté à l'infirmerie pour que des soins supplémentaires lui soient prodigués ainsi qu'une surveillance continue. Pendant qu'on l'emmenait, Kendalh déposa son équipement dans les vestiaires et se rendit directement à la cantine. Perdue dans ses pensées, elle ignora les visages familiers qu'elle croisa dans les couloirs. Des doutes insidieux l'assaillaient sans qu'elle puisse y faire face. Elle ne quittait pas Rouck pour un autre. Elle n'avait simplement plus de désir pour lui. Le célibat s'imposait ainsi qu'un besoin de liberté.

Elle s'assit à une table offrant un joli point de vue. Au loin flottait la carcasse éventrée d'un navire spatial russe de l'ère terrienne.

— Je ne m'attendais pas à te trouver ici, s'exclama Nisha en prenant place en face d'elle. Je reviens de l'infirmerie. Rouck se porte mieux. Mais pourquoi n'es-tu pas avec lui ?

— Hum... J'ai pensé qu'il préférerait être tranquille.

Sentant sa gêne, Nisha fit comme à son habitude, elle éluda le sujet.

Les deux jeunes femmes s'efforcèrent de manger pour reprendre des forces.

— J'ai cru que le pire allait se produire et je n'avais jamais éprouvé pareille frayeur auparavant.

— Ce n'est pas normal, répondit Nisha sans quitter des yeux Angéline assise à la table voisine.

Séductrice de nature, elle venait de repérer sa nouvelle conquête. Kendalh se laissa un temps de réflexion avant de constater :

— En quoi cette peur est-elle malsaine ?

Ne s'attendant visiblement pas à une telle remarque, Nisha fit mine de s'y intéresser.

— Si les émotions nous dominent, nous ne sommes plus bons à rien.

— Ce n'est pas un hasard, objecta Kendalh, si les humains nous comparent aux androïdes que nous créons puisque nous ne ressentons qu'un échantillon de joie et de tristesse.

Son amie en resta coite alors elle se décida à lui faire part de sa dernière trouvaille.

— Par erreur, j'ai endommagé ma Santix... Je crois qu'elle n'exerce plus d'influence sur mon affectivité.

Ce n'était pas la vérité puisqu'elle l'avait sciemment modifiée.

— Qu'as-tu fait ? C'est pour cela que tu es toute déglinguée.

— Ça me plaît. J'éprouve des sensations nouvelles... plus intenses.

Nisha souleva les épaules avec dédain.

— Toutes ces émotions débordantes sont caractéristiques des autres espèces. Nous sommes en position de puissance tant que nous demeurons dans le contrôle de nos sentiments.

Kendalh sentit monter en elle un relent de vives rancœurs.

— Il te paraît donc normal de ne rien ressentir ? Notre carrière professionnelle est décidée à l'avance. Notre compagne ou compagnon dépend de savants calculs mathématiques. Travailler, se taire, obéir. Rien dans notre société n'est laissé ni à la chance ni au hasard. Est-ce cela une vie parfaite ?

Son amie leva les yeux au ciel.

— L'existence que mes parents m'ont choisie me plaît. Tu es mal placée pour te plaindre. Les tiens t'ont toujours permis de faire tout ce que tu voulais.

Sauf qu'elle avait l'impression d'être pour eux aussi précieuse qu'une plante, une jolie fleur ne réclamant qu'un peu d'eau pour grandir. Kendalh n'était pas docile pour autant, mais son besoin de bien faire l'emportait sur le reste.