24) Documentaire

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? P.O.V :

Le temps était magnifique. Nous avions eu peur que les conditions de l'hiver lapon nous empêche de tourner et nous retarde mais un grand soleil nous avait accueillit, aussi rayonnant que les habitants de la petite ville proche de l'endroit du tournage. Sans dire qu'il faisait chaud, la température était parfaitement tenable avec un gros manteau et des équipements adéquats.
Un hélicoptère allait bientôt arriver pour nous transporter dans la vallée avec notre matériel. Même si c'était dommage de ne pas faire l'escalade des falaises, cela nous permettrait de faire de belles prises de vue, avec le lac et la forêt enneigée...
Pour l'instant toute l'équipe était rassemblée autour d'un grand plat de Poronkäristys*, spécialité lapone aussi délicieuse qu'imprononçable.
Les discutions allaient bon train, tout le monde se demandant si nos petits protégés avaient grandi, s'ils nous reconnaîtraient, s'il y aurait de nouveaux bébés... Il y avait aussi des questions techniques : quel type d'angle de vues utiliser pour dépeindre au mieux la vie sauvage, où planter nos tentes, qui dort avec qui...
Bref, on avait tous hâte de commencer le tournage et les « bonnes nuits » furent enthousiastes.

L'hélicoptère arriva pile à l'heure, prenant un premier vol. Il était prévu d'en faire trois pour transporter tout le monde avec le matériel : on partait tout de même pour deux semaines ! Chaque vol était espacé d'une heure, le temps de trajet, le déchargement, le rechargement, et étant du deuxième voyage je pris le temps de me balader un peu en ville. Les enfants faisaient des batailles de boules de neige, des sculptures, des igloos ; ils étaient d'ailleurs extrêmement doués dans la dernière discipline, j'aperçus même des petites filles jouer à la dînette à l'intérieur de leurs petites constructions. Les adultes se baladaient, échangeant des salutations avec une bonne humeur si typique des pays nordiques et si rare dans nos pays plus chaud... Certains me saluèrent même, ce à quoi je répondis avec un sourire et le peu de vocabulaire à ma disposition en Sami.
Enfin, l'hélicoptère revint, nous emportant à son bord. La vallée était aussi belle qu'il y a deux ans, lorsque nous avions commencé ce reportage documentaire sur la faune finlandaise et notamment sur les loups. Nous en avions découvert une petite communauté ici et décidé de les étudier. Chacun était tatoué et recensé avec application depuis la dernière fois et nous allions pouvoir noter leur évolution : ça allait être passionnant !
La première journée fut consacrée à l'installation des tentes et du matériel, un peu de repérage et l'ancrage de caméras nocturnes fixes à des points stratégiques pour filmer la meute de nuit. Pendant toutes nos préparations, une chouette lapone nous observa, perchée sur une branche. L'équipe la photographia sous tous les angles, émerveillée par son absence de peur.
Le lendemain commençait vraiment le travail : chaussés de raquettes, tout le monde partit à la recherche des animaux, chaque groupe équipé de radios pour communiquer. Mon groupe fut le premier à les apercevoir, après quatres heures d'intenses recherches. Ils étaient rassemblés près du lac, tranquilles. Les louveteaux jouaient dans la neige sous l'oeil attentif des femelles, les mâles somnolaient ou jouaient avec les petits et le dominant surveillait tout ce petit monde, attentif et protecteur. Cachés dans la forêt, nous avions eu la chance d'être sous le vent et la meute ne nous avait donc pas repérés. Après avoir déballé nos caméras et prévenu les autres équipes, on commença à filmer, compter, recenser le groupe. La meute s'était agrandie, les petits étaient devenus grands, de nouveaux les avaient remplacés. Tristement, les plus vieux avaient disparu mais à notre grande admiration, le chef était resté le même. Nos calculs étaient exacts pour tous les individus et il fallait simplement marquer les nouveaux-nés, facilement reconnaissables. La tâche ne semblait pas trop ardu mais une surprise changea la donne, à la fin de la journée. Alors que nous pensions rentrer au campement, une agitation attira notre attention : les femelles avaient relever la tête, les mâles avaient aboyé et les petits s'étaient rués sur la cause du trouble. Un jeune loup blanc gris était arrivé, roulant immédiatement sous les assauts des louveteaux comme s'il était habitué à ce genre d'accueil. Le dominant ne réagit pas vraiment, aboya brièvement pour ramener le calme et tout le monde reprit ses activités. Le nouveau venu avait rejoint les autres mâles qui jouaient avec les petits et la meute entière agissait comme si sa présence était normal.
Tout envie de rentrer envolée, des questions fusaient dans l'équipe : qui était-il ? Il était à la fois trop vieux pour être né pendant que nous étions partis, il n'était pas tatoué, pas recensé, ne semblait pas vraiment faire partie de la meute mais était accepté par elle... Un solitaire ? Trop jeune et trop peu probable, l'alpha ne l'aurait pas accepté avec une telle désinvolture et il n'aurait pas approché la meute. Un loup de l'extérieur de la vallée qui se serait égaré sur leur territoire ? Impossible, il n'y avait pas d'accès autre que les falaises et dans le même schéma, il n'aurait pas été accepté... Le mystère restait complet, l'attention de l'équipe rivée sur notre inconnu.
Ignorant de notre excitation, celui-ci continuait à jouer, se bagarrant même avec un autre mâle pour s'amuser. A notre immense incompréhension, il alla rejoindre l'alpha en trottinant, sa queue battant joyeusement. Il sembla le saluer avant de repartir vers les autres. Pourquoi ? Comment ? Qui était-il ?
Une des femelles essaya même de lui faire des avances qu'il rejeta immédiatement, le dominant la rappelant à l'ordre.
Cela confirmait qu'il n'était pas de la meute : l'alpha l'acceptait mais ne voulait pas qu'il prenne des femelles sous son autorité.
Après une bonne heure de défoulement, le loup s'ébroua et quitta le groupe, jappant pour... les saluer ? Il reçut des réponses similaires alors qu'il s'éloignait.
Il fut décidé dans la précipitation de le suivre : nous voulions savoir d'où il venait, peut être avait-il une meute, malgré les apparences ? Ou peut être avait-il trouvé un passage pour sortir de la vallée en évitant les falaises ?
Il marchait tranquillement, sa trajectoire semblant longer le lac. Cela nous permettait de le suivre depuis la forêt, sans être repéré. Soudain, sans avertissement, il s'arrêta et se rapprocha de la rive. Il tendit une patte prudente, tapotant la surface gelée et la reniflant. Que faisait-il ? Aucun loup n'irait s'aventurer là dessus, il n'y avait aucun intérêt...
Pourtant, celui que nous observions mit les deux pattes avant sur la glace, puis les pattes arrières. Il glissa un peu, tentant de garder l'équilibre et fit quelques pas. Évidemment, ce qui devait arriver arriva et il s'écrasa les quatre pattes écartés sur la surface glissante. Il sembla excédé et au lieu de se relever, entreprit un mouvement des pattes ressemblant fort à une nage de poulpe, progressant petit à petit dans un tableau assez comique.
Il finit par rejoindre la terre ferme et fusilla le lac du regard, avant de reprendre la route l'échine basse. Alors que nous nous apprêtions à recommencer notre filature, il redressa soudain la tête vers nous, en alerte. Comment nous avait-il perçu ? Nous n'avions pas commencé à bouger et le vent nous était toujours favorable...
Semblant paniqué, l'animal regarda rapidement à droite et à gauche, comme cherchant une issue et finit par fuir en galopant par là où il se dirigeait à l'origine. Quittant les rives exposées du lac, il disparut dans les bois et aucun d'entre nous n'eut le courage de le suivre : d'une, nous n'en avions pas les capacités et deux nous étions là pour observer et non chasser les animaux. C'est donc avec beaucoup de questions en tête que notre groupe prit le chemin du retour.

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