Chapitre 4 - Prémices (partie 2)

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Je me sens près de la panique. Trop de sensations négatives inondent mon esprit et se propagent dans tout mon corps. Ce secret qu'elle entretient, qu'elle protège farouchement, ce secret qui nous séparera... Ma respiration s'accélère, un poids m'empêche de respirer correctement, mes yeux s'humidifient malgré moi. Je ressens un malaise profond, un désespoir dont je sais qu'il ne m'est pas étranger. C'est un vieil ami. Angie semble être un rempart à une solitude qui me détruit de l'intérieur. J'évite d'y penser mais je sais tirer des conclusions : aucun ami n'est venu me voir à l'hôpital ni depuis. Personne du cabinet non plus. Comment peut-on travailler avec des personnes qui ne se soucient pas de vous ? Je peux considérer que je n'ai pas de famille non plus.

Pas de famille, pas d'amis. Si elle m'abandonne, je sais que je vais sombrer. Plus rien ne me retiendra. Elle est mon phare dans la nuit. Le soleil qui réchauffe mon corps et mon cœur. Elle n'est pas loin mais si loin de moi. Et si elle était partie ? Et si elle avait quitté cette maison ? Et si... elle m'avait quittée ?

D'un bond, je me retrouve debout. La tête qui tourne, le cœur qui déraille, je me suis levée trop vite. Je m'assieds au bord du lit et je m'efforce de retrouver une respiration correcte. Mon cœur retrouve un battement régulier, trop rapide mais régulier. Je me lève précautionneusement. Je tremble et mes jambes ne sont pas très sûres mais je dois savoir. Je franchis péniblement ma porte et le couloir. Devant sa porte, j'hésite, je tends l'oreille. Aucun bruit. J'ouvre la porte, juste ce qu'il faut pour pouvoir entrer. Les volets à demi-fermés laissent passer la clarté de la lune. Elle est là. Enroulée dans la couette, sur le côté, son dos vers moi. Mon cœur se calme instantanément. Je me sens subitement épuisée. Je devrais repartir mais je veux la sentir contre moi, ou tout au moins, sentir son odeur, deviner la chaleur de son corps, même si je ne la touche pas. Je m'avance lentement et me glisse sous la couette, le plus discrètement possible. Je m'installe sur le dos pour éviter la tentation de me coller contre elle. Je ferme les yeux et je suis bien : son odeur, sa présence, tout ce qui me rattache à la vie.

À peine le temps de profiter de ce calme qu'elle se retourne et se colle contre moi, sa main trouve une position familière sous mon sein, la mienne vient se poser dans son dos pour la retenir et la protéger. Tout mon corps se relâche et s'apaise d'un coup. Le sommeil va m'emporter sur ma seule et unique certitude : je ne peux pas vivre sans elle.

***

Angie arrête la voiture devant un pavillon de banlieue assez classique. Rien qui respire l'opulence. C'est ici qu'habite son amie et l'angoisse me tenaille. Que vais-je apprendre ? Elle a encore tenté de me dissuader toute la matinée, le déjeuner a été morose. Elle est plus que stressée. Je sais qu'elle a appelé son amie pour prévenir de ma présence. Et elle s'est isolée pour le faire. Je dois savoir et c'est pour ça que je suis là, quoi qu'il m'en coûte ! J'ai l'impression de ne pas être vraiment là. On sort de la voiture. J'observe Angie dans une sorte d'état second. Elle reste loin de moi et va sonner à la porte, je la suis. Son amie la prend dans ses bras pour une accolade pleine d'émotions. Quand elles se séparent, son regard se pose sur moi : glacial. Je ne me sens vraiment pas à ma place. Elle me salue de la tête et je l'imite. Alors que nous entrons dans son salon, une tornade se jette sur Angie en hurlant. Je souris en la voyant soulever un gamin de six ou sept ans et le faire tournoyer un moment avec elle. Son visage est détendu en cet instant et son rire se mêle à celui de l'enfant. Sa mère les regarde avec beaucoup de tendresse. Ce n'est plus la femme qui m'a salué sur le pas de la porte. Angie repose le gamin et lui demande :

— Tu dis bonjour à Jordan ?

— Non.

— Gaël, tu dis bonjour, s'il te plaît !

Outré par l'injonction de sa mère, il proteste, tout en s'accrochant à Angie :

— Mais je l'aime pas et toi non plus !

J'encaisse le choc, stoïque et sans un mot. Au moins, c'est clair. Vive les enfants !

— Tu dois être poli, même avec les gens que tu n'aimes pas, mon chéri.

En plus, elle ne nie même pas ! Le gamin s'approche de moi et me tend la main, très sérieux. Alors que je lui serre la main, il ajoute dans un soupir à fendre l'âme :

— 'jour.

— Bonjour, Gaël.

Il me regarde surpris un instant, puis rejoint un fauteuil. Nous nous observons du coin de l'œil mutuellement tandis que sa mère nous sert à boire. Je réponds machinalement et me retrouve avec un coca en guise d'apéritif. De toute façon, il vaut mieux que j'évite l'alcool pour l'instant. Angie et son amie... comment déjà... ah oui ! Valérie. Elles échangent des banalités et j'ai vraiment l'impression de déranger. Enfin, à ce stade, ce n'est plus une impression. Notre hôte finit par embarquer Angie dans la cuisine, sous un prétexte quelconque. Étonnamment, Gaël est resté avec moi et me regarde tout en buvant son coca. Après un gros soupir, il entame les hostilités :

— Pourquoi tu me regardes comme ça ?

— Euh... je sais pas. Je te regarde comment ?

— Je sais pas. Mais pas comme d'habitude.

— Et je te regarde comment d'habitude ?

— Tu me regardes pas.

Ah... Je ne sais pas comment interpréter ça. Je ne m'intéresse donc pas aux gamins ? Pourtant, il a l'air intelligent. Je vais essayer de creuser un peu :

— Et pourquoi tu m'aimes pas ?

— Ben. Parce que tu m'aimes pas !

— Pourquoi tu crois ça ?

— Parce que tu joues pas avec moi. Et tu fais comme si j'étais pas là.

Il dit ça d'un air triste et je m'en veux. Comment ai-je pu l'ignorer ? Il me demande d'un air dubitatif :

— Tu sais lire ?

— Euh... Oui.

— Bouge pas, je reviens.

Il fonce vers la bibliothèque à l'autre bout de la pièce et revient avec un livre :

— Tu m'aides ? Je sais pas encore bien lire.

— D'accord. Viens t'installer.

Je le prends sur mes genoux et il ouvre son livre. Il me regarde incertain et je lui réponds par un sourire. Il me le rend et j'ai l'impression que cela vient du fond de son cœur. Il se cale contre moi et commence à lire. Il bute sur certains mots et je l'aide à les reprendre correctement. Parfois, il mélange les syllabes. Je ne pensais pas pouvoir faire preuve d'autant de patience. Mais il est attentif et désireux de bien faire. Il peut répéter le même mot sans s'énerver plusieurs fois, jusqu'à ce qu'il y arrive. Et je n'hésite pas à l'encourager. C'est une histoire courte, il la termine rapidement. En arrivant sur le dernier mot, un sourire géant illumine son visage. Il me regarde et me tend sa main pour que je tape dedans ! Je me tourne alors vers la cuisine et je tombe sur Angie et son amie, postées dans l'encadrement de la porte de communication qui nous regarde comme si elles avaient vu le Père Noël !


La roue du destin - Coma !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant