Chapitre 6 - Fissure (Partie 2)

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Elle bouge lentement et son corps se rapproche encore de moi. Sa main me caresse doucement, beaucoup plus doucement que cette nuit. L'agneau cache une tigresse. J'en rougirais presque. Brusquement, elle arrête ses gestes et ouvre les yeux. Un regard incertain, interrogatif. Un sourire taquin accompagne mes mots :

— Bonjour, ma tigresse !

— Bonjour.

Sa voix n'est qu'un murmure. Elle ose à peine me regarder. J'ai encore loupé un épisode, il semblerait.

— Qu'est-ce qui ne va pas Angie ?

— Euh... Rien ?

— Hum... Tu n'as pas l'air convaincue. Mais pour moi, tout va bien. J'ai adoré notre nuit.

Avec gourmandise, je vise ses lèvres pour un baiser tout en douceur alors que ma main divague lentement sur ses flancs. Quand nous nous séparons, elle me regarde un peu plus franchement et insiste :

— Tu es sûre ?

— Oui. Pourquoi ?

— C'est à dire que...

— Que ?

— D'habitude... Tu m'avais jamais laissé prendre le contrôle.

Elle rougit violemment à l'évocation de ses gestes, provocateurs, voire autoritaires, qui m'ont littéralement subjuguée. Voir ses doutes me fait littéralement fondre.

— J'ai adoré chacun de tes gestes mon cœur.

— Tu me laisseras recommencer ?

— Hum... Si tu es sage ?

— Je suis toujours sage !

— Non pas toujours.

Alors que j'étais dans la taquinerie, son visage se ferme et elle se tend brusquement. Elle quitte le lit précipitamment et se réfugie dans la salle de bain. Et je sens la colère m'envahir : comment je peux éviter de la blesser et prendre soin d'elle, si tout ce passé trouble entre nous reste dans l'ombre ? Pourquoi cette rupture ? Pourquoi cette crainte chez elle ? Pourquoi ces brusques changements d'humeur ? Je ne supporte plus tout cela. Cette intrusion récurrente de ce passé incertain dans un présent qui devrait prendre soin de ce bonheur serein que je sens à notre portée. Positivons : côté sexe, tout va bien...

Toute la journée s'est passée dans une ambiance bizarre. Angie est tendue et refuse d'en parler. Je pensais que c'était lié à son départ précipité de ce matin sur lequel elle refuse de s'expliquer. Mais plus la journée avance et plus elle est fébrile. Je ne suis pas idiote : à présent le problème c'est le dîner de ce soir chez Samaëlle. Là aussi, elle refuse de me donner la moindre explication. Je suis parfois tentée de m'énerver devant son mutisme mais une petite voix me dit qu'elle doit avoir ses raisons. De bonnes raisons. Et cela me stresse à mon tour !

Nous sommes dans la voiture. Angie nous conduit chez Samaëlle. Sa conduite est plus agressive et saccadée qu'à l'accoutumée. Je suis à deux doigts d'annuler la soirée. Mais elle ne me dit rien et j'ai besoin de savoir. Pourquoi elle est aussi tendue ? Si j'ai l'habitude d'accepter des invitations chez cette collègue, c'est qu'on s'entend bien non ? Ce devrait être une amie ? Une amie qui pourrait être amoureuse de moi... Et ça, je ne sais pas ce que ça cache. Se pourrait-il que je ne sois pas fidèle ? Cela me paraît aberrant mais je ne sais pas réellement qui je suis... Alors, on y va. La boule au ventre, pour savoir. Bien loin d'une soirée détente en tout cas.

Le début de la soirée est plutôt tendu. Les invités sont disséminés dans le salon, par petits groupes. Nous sommes une quinzaine et je ne connais pas grand monde. Samaëlle est effectivement un peu collante et ses regards sont explicites. Le fait qu'Angie soit là ne semble pas la déranger. Je ne suis pas du tout à l'aise. Je cherche toujours à comprendre ce que je fais avec ces personnes : Marin et Joël, deux autres avocats du cabinet qui me passent la brosse à reluire dès que possible, et Aurélie, l'amie de Marin dont je n'ai pas compris ce qu'elle faisait à part approuver avec un air béat toutes les sorties plus ou moins intéressantes de son cher et tendre. Plus souvent moins que plus d'ailleurs !

L'apéro se prolonge et j'apprends rapidement qu'on attend mon associé « comme d'habitude » ! Charmant, il a même pas la politesse de se pointer à peu près à l'heure... Ma mauvaise humeur se mue progressivement en colère, j'ai l'impression. Et une question qui tourne en boucle : « Qu'est ce que je fais avec ces gens-là ? » . Angie est complètement effacée, elle ne décroche pas un mot. Toujours sur la défensive et tout le monde l'ignore. Je l'observe et je ressens son malaise comme si c'était le mien. Elle ne me regarde pas. En fait, elle évite tous les regards, toutes les interactions. Je crois que le mieux est de partir. Je me lève et je tends la main à Angie. Elle me regarde sans comprendre. Les autres boivent, fument et discutent et ne font pas attention à nous. Elle finit par prendre ma main et nous nous dirigeons vers la sortie.

Il y a du mouvement ver l'entrée de la pièce. On ne va pas pouvoir s'éclipser discrètement. Arnaud évidemment, avec une blonde pulpeuse et, disons-le, vulgaire, est accueilli par Samaëlle. Il a déjà l'air bien allumé, en fait... Alors que je m'apprête à l'ignorer et à sortir, il m'apostrophe :

— Hey, Jordan ! Tu vas où comme ça ? Tu vas sauter ta poule ?

— Pardon ? C'est de ma petite amie dont tu parles, là ?

Ma réponse n'est visiblement pas celle attendue et tout le monde se fige. D'un coup, le silence est total dans toute la salle, à croire que l'attention était focalisée sur l'arrivée de cet abruti ! Il reprend vite contenance et ajoute :

— Tu me feras toujours mourir de rire avec ton air pince-sans-rire ! Tu veux que je l'appelle comment ? Ta poule de luxe ? Ta pute plutôt, non ?

Il finit tout juste sa phrase quand mon poing droit atterrit sur son nez. Une rage sans nom inonde mon corps tout entier et un deuxième coup atteint son foie avant que des bras ne me retienne et ne me tire en arrière. Je tente de me libérer et je l'entends :

— Non, mais ça ne va pas ? Qu'est-ce qui te prend ? T'es malade ?

Du sang coule de son nez et il est plié en deux. Cela ne me calme pas, j'ai juste envie de le détruire. Je ne me débats plus pendant quelques secondes, le temps qu'on me relâche un minimum. Dès que je sens une ouverture, je me dégage et je me précipite sur lui. D'un coup, Angie bouche tout mon horizon. J'ai à peine le temps de retenir mon bras avant de la toucher : elle s'est placée entre moi et l'abruti. L'intensité de son regard me coupe le souffle et mon bras retombe instantanément. Ma respiration reprend de façon très anarchique, l'adrénaline continue à mobiliser tous mes sens, à me pousser à l'action violente. Elle pose ses mains sur mes joues, sans lâcher mon regard, et elle murmure dans le silence de cathédrale qui nous entoure :

— Tout va bien, Jordan. On s'en va.

Tout ne va pas bien mais oui, on s'en va. Je sens le calme revenir. Elle me prend par la main gauche et tout le monde s'écarte pour nous laisser passer. Je ne manque pas de gratifier l'abruti d'un regard mauvais. Il recule instinctivement vers le salon. Il est sonné. Tant mieux !

Sur le chemin du retour, Angie est beaucoup plus détendue. Bizarrement, j'ai envie de dire. Ne devrait-elle pas être choquée par ma réaction ? Ma violence ? Et quelle idée aussi de se mettre entre lui et moi ! J'aurais pu lui faire mal. Cette idée me rend malade. Mais quelque part aussi, je suis fière d'elle. Elle a du cran et malgré son effacement parfois et son malaise dans cet environnement, elle a su s'imposer et me calmer. C'est bien.

Par contre, si je fais le bilan de la soirée, c'est fiasco total : je reviens avec plus de questions encore ! Comment ai-je pu m'associer et travailler avec ce con ? Comment est-il possible que cela n'ait pas dégénéré avant ? A-t-il cru que je n'oserais pas lui répondre à cause de mon amnésie ? Qu'il pouvait prendre le contrôle ?

J'ai ruminé toute la nuit. Cette situation ne peut plus durer. Je dois savoir qui je suis, qui j'étais !Je vais, une dernière fois, essayer de faire parler Angie. En cas d'échec, je me débrouille seule, quitte à faire appel à un détective privé !    

La roue du destin - Coma !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant