Chapitre 5 - Lunaria (p.2)

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Le soleil se levait peu à peu dans le ciel ; l'après-midi allait bientôt déployer sa chaleur automnale, tandis que les feuilles orangées continuaient d'inlassablement se détacher de leur branche pour survoler Lunaria et décorer la ville de ses chatoyantes couleurs.

Anthémis avait visité toute la partie Est de la ville, accompagnée d'Edel. Les habitants de Lunaria lui semblaient si calmes et si désintéressés d'elle, alors qu'il aurait simplement fallu qu'elle soulève son cache-œil pour que la luminosité de son œil ocre attire leur regard et qu'ils prennent peur.

Voilà quelque temps qu'elle marchait sans trop savoir où elle devait aller. Edel la suivait, mais semblait avoir l'esprit ailleurs. Lorsqu'ils arrivèrent sur une petite place un peu en hauteur, où se trouvait au centre une imposante statue de Sem Hodei, l'homme à l'origine de l'île sur laquelle ils étaient enfermés, Anthémis s'approcha des barrières. Une grande partie de la ville lui était dévoilée, et elle put admirer les multiples teintes orangées et rougeâtres qui coloraient les arbres et les feuilles, qui de partout peuplaient Lunaria. Elle vit non-loin de là une étrange bâtisse surplombant la ville, au haut d'une grande colline dépourvue d'autre monument. Elle ressemblait vaguement à une église, quoiqu'elle fût d'un style assez différent. Sa pierre était noire, si bien que de loin, la jeune fille ne put pas bien apercevoir ses détails. Les environs de la colline étaient beaucoup moins peuplés que le reste de la ville ; une étrange onde angoissante émanait de l'endroit, et pourtant, la bâtisse était mise en évidence, au centre même de Lunaria.

Anthémis tira la manche d'Edel, qui, avec difficulté, sortit de ses pensées pour regarder dans la direction que lui indiquait la blessée. Il eut un léger mouvement de répulsion à la vue du bâtiment.

- Ne t'occupe pas trop du Temple, dit-il simplement avant de détourner son attention sur autre chose.

La jeune fille regarda une dernière fois la bâtisse aux pierres noires et au large toit surmonté de quelques minces formes blanchâtres pratiquement indiscernables à cette distance-là, avant de rejoindre Edel qui commençait déjà à s'éloigner. Elle restait tout de même intriguée.

- Je vais devoir te laisser, le travail m'appelle. Tu sauras retrouver ton chemin ?

Anthémis acquiesça, et regarda en direction de la bâtisse noire, se demandant comment y accéder. Le jeune garçon, comprenant son intention, essaya de la stopper :

- Je te déconseille vivement de te rendre au Temple. Comment dire ... c'est ... c'est un endroit malsain.

Edel n'y était jamais allé, mais il avait entendu les rumeurs, et son instinct lui disait que la dernière des choses à faire était de se rendre à la bâtisse, mais Anthémis ne l'entendait pas de cette oreille. Elle ne chercha pas à contredire le jeune garçon, mais se dit intérieurement que quitte à devoir rester à Lunaria, autant la visiter de fond en comble. Elle n'avait désormais plus que cela à faire de ses journées. Elle ne savait pas où aller, n'avait plus de chez elle, alors elle avait décidé de s'occuper comme elle le pouvait - il faut aussi préciser que sa curiosité était sa plus grande qualité (malgré ce que tout le monde lui disait, à savoir qu'il s'agissait plus d'un défaut que d'autre chose).

En arrivant au carrefour entre quatre chemins de terre différents, ils s'arrêtèrent et Edel dit au revoir à Anthémis avant de lui tourner le dos et de s'en aller vers la frontière Nord de Lunaria. Elle le regarda s'éloigner doucement, attendant qu'il ne la voie plus pour partir en direction de ce qu'il appelait le Temple, lorsque soudain, les nombreux haut-parleurs accrochés à quelques réverbères de la ville s'activèrent. Edel stoppa sa marche, Anthémis ouvrit grand les oreilles. Les haut-parleurs n'étaient que rarement utilisés, et ils ne servaient qu'à répandre rapidement une nouvelle importante concernant l'île.

On entendit un raclement de gorge, puis une voix féminine, douce et calme, se répandit aux oreilles de tous les citadins :

- Chers habitants, pardonnez-moi de vous déranger à cette heure-ci. Mon monologue ne sera pas long et vous pourrez bientôt reprendre vos activités, je vous demande seulement de m'écouter durant les quelques prochaines secondes.

Anthémis se crispa à l'entente de cette voix, et ses doutes furent confirmés lorsque la femme se présenta :

- Je suis Aenor Hodei, arrière-petite-fille de Sem Hodei, et votre actuelle reine à tous. Comme je pense que vous le savez déjà, j'ai été couronnée à mes dix-huit ans, il y a maintenant sept ans. Vous n'avez probablement pas dû entendre beaucoup parler de moi car je me faisais discrète, mais il est désormais temps de me faire connaître.

La jeune blessée savait qu'il serait question des créatures d'ébène, et elle s'attendait à ce qu'Aenor Hodei en parle de vive voix, puisqu'elle semblait tenir à se faire connaître. Au lieu de quoi, cette dernière déclara :

- Je tenais à vous prévenir de quelques prochains changements en Hodei, qui, je l'espère, ne tarderont pas à vous être connus. Les Miroirs ont déjà été expédiés aux deux pôles de l'île, mais n'ayez crainte, tout a été calculé avec soin, et tout devrait se passer à merveille.

Les Miroirs avaient été expédiés aux deux pôles de l'île, soit au fief Nord et au fief Sud. Cet étrange surnom qu'était Miroir, désignerait-il alors les créatures d'ébènes ?

Des images revinrent à l'esprit d'Anthémis, comme si tous les souvenirs que lui avait retirés sa perte de conscience suite à l'attaque d'Ibai lui repeuplaient soudainement la mémoire. Soudain elle n'étendit plus rien. Et seules ces images traversaient son cerveau. Elle ne vit rien, ne sentit rien. Comme dans un autre monde, un monde cauchemardesque et chaotique.

Le noir, le noir profond. L'inconscience. La peur. Les cris. Le sang. Les pleurs. L'ocre de leurs yeux. L'ébène de leur peau. L'horreur de leur corps. L'odeur de brûlé. La peau carbonisée. La déchirure, les griffures, les plaintes, les gémissements, l'angoisse, l'incompréhension, la séparation. Les morts, les meurtres, les disparitions, les transformations. Le souvenir d'Ambroisie mourante. La vision de sa sœur encerclée, sans échappatoire, sans l'espoir de pouvoir s'en sortir.

Sa blessure qui laissait le sang couler et s'écraser au sol au rythme des secondes ; au rythme du temps qui passait, des minutes qui s'écoulaient tandis qu'elle courait, s'enfuyait comme une lâche.

Ambroisie, qu'es-tu devenue ?

Reflétés T1 - LunariaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant