Chapitre 10 - Les Sans-Reflets (p.1)

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Anthémis apprit bien vite où Adélaïde, qui avait accessoirement été sa maîtresse d'école pendant une petite partie du primaire, à l'époque où elle étudiait encore à Ibai, comptait la conduire. Un petit groupe s'était formé pour soi-disant en apprendre un peu plus sur les Miroirs, et ainsi mieux savoir les contrer. Ils n'étaient que quatre membres pour l'instant (petit chiffre essentiellement expliqué par le court délai qui espaçait l'attaque d'Ibai à ce jour-ci, et au bilan humain très élevé), mais voyaient les choses en grand. Ils avaient déjà un nom, les Sans-Reflets, et Adélaïde était, comme elle aimait visiblement bien être appelée, leur commandante. Anthémis se dit intérieurement qu'il était difficile d'être la commandante d'un groupe de seulement quatre personnes, elle comprise, mais n'en fit pas émettre le moindre mot.

Elle avait du mal à reconnaître son ancienne institutrice au-delà du physique qu'elle avait toujours abordé : fin cheveux blonds attachés et ses typiques petits yeux gris et expressifs. Ces deux éléments-là étaient les seuls qu'avaient en commun son apparence de maîtresse d'école et celui qu'elle arborait à ce moment-là. Elle aurait autrefois mal vu la personne qui lui avait appris à lire avec une pelle en guise d'arme attachée à son dos, et des habits souples et décontractés qui changeaient des élégants pantalons noirs et des chemisiers à dentelle qu'elle avait l'habitude de porter pour aller enseigner.

Anthémis dû faire un trait dessus : après l'attaque, elle ne reverrait plus jamais les habitants d'Hodei comme avant.

Sur le chemin, Adélaïde posa plusieurs questions à son ancienne élève, concernant sa famille, ce qu'elle avait vu de l'attaque, comment elle s'en était sortie, et pourquoi elle s'amusait à se défendre des Miroirs avec une canne. Anthémis, toujours aussi peu bavarde, ne répondit pas même à la moitié des questions. Elle se contenta de parler laconiquement de sa sœur, tout en tenant fermement dans les mains le seul souvenir matériel qu'il lui restait d'elle. Son cou ne la faisait plus souffrir ; elle n'osait plus s'avouer qu'elle avait ne serait-ce que légèrement mal en s'imaginant ce qu'avait éprouvé Ambroisie en comparaison. La disparition de sa sœur l'obsédait chaque seconde un peu plus.

Elles arrivèrent à la nuit tombée devant une maison semblable à un petit manoir abandonné, perdu au milieu des champs et de la broussaille. Un grand chêne s'imposait sur le côté, un peu à l'écart, et commençait déjà à perdre ses feuilles, laissant un parterre orangé à ses racines. Le lac de Diaphane s'étendait à plusieurs centaines de mètres de là, mais le paysage plat permettait de le reconnaître de loin. Quelques fenêtres du bâtiment laissaient la lueur typique des bougies éclairer la pièce, comme pour diriger les deux jeunes femmes jusqu'à leur destination.

- Voici notre repère, déclara Adélaïde. On l'a trouvé abandonné de toute vie, et à mon avis, ceux qui y habitaient se sont absentés un long moment ; ça m'étonnerait qu'ils reviennent un jour.

Adélaïde ouvrit la porte et laissa Anthémis entrer. L'endroit était bien chauffé, chose qui avait atrocement manqué à la jeune fille depuis le début de l'automne.

- On a de la visite ! s'écria l'ancienne institutrice en entrant à son tour. Tu veux manger quelque chose ? proposa-t-elle ensuite à l'adresse de l'adolescente.

Anthémis acquiesça, sentant son estomac vide. La jeune femme la conduisit jusque dans ce qui était visiblement la cuisine, et fit réchauffer un reste de soupe dans une grande marmite. On entendit des pas descendre les escaliers de bois, et bientôt, un jeune homme à peine moins âgé qu'Adélaïde fit son entrée dans la pièce. Il la salua brièvement, sans la regarder pour autant, visiblement plus intrigué par la présence d'une inconnue dans la pièce.

- Qui nous ramènes-tu ? demanda-t-il d'une voix monotone.

- Elle s'appelle Anthémis. C'est une survivante, répliqua la femme tout en mélangeant la soupe à l'aide d'une petite louche.

Reflétés T1 - LunariaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant