Chapitre 11 - Les Sans-Reflets (p.2)

28 6 0
                                    

Le soir, les Sans-Reflets avaient fini par revenir sains et saufs, mais écorchés et exténués. Adélaïde s'était affalée dans le canapé du salon, après s'être débarrassée de la pelle qu'elle tenait encore dans son dos, et Ephrem était monté dans sa chambre. Seuls Opale et le prénommé Jehan avaient rejoint Anthémis autour de la table de la cuisine. Cette dernière n'était pas vraiment à l'aise ; elle était clairement de trop, et alors qu'en temps normal, cette sensation de la préoccupait pas tellement, cette fois-ci, elle se sentait gênée. La gêne, voilà quelque chose à laquelle elle n'avait pas souvent fait face.

- Sinon, qu'est-ce que tu fais encore là, toi ? demanda Jehan. Je sais même plus comment tu t'appelles ...

- Anthémis.

- Oui, c'est ça. Pourquoi t'as un cache-œil ? Tu caches quoi ? T'as été touchée et t'assumes pas ?

Que voulait-il dire par « touchée » ? Touchée par les Miroirs ? Les battements du cœur de la jeune fille s'accélérèrent quand elle se rendit compte qu'elle ne pourrait certainement pas cacher cet œil indéfiniment.

- Mon œil n'a rien. Inutile de vous en inquiéter.

- Ah mais on s'en inquiète pas, on est juste curieux. D'ailleurs, t'habitais à Ibai, toi ? Je t'ai jamais vue là-bas, même en vingt ans d'existence.

- J'y habite depuis toujours, pourtant.

- T'as vu l'attaque de près ou de loin ? Parce que c'est bien gentil de se présenter comme étant une survivante, mais ça reste facile de s'échapper quand l'attaque a lieu au centre du village et pas près de chez soi.

Anthémis baissa les yeux, et contempla quelques instants le carrelage en mosaïque blanc et rouge. Ses jambes se balançaient doucement sous sa chaise, signe chez elle de gêne.

- De près.

Sa voix dérailla légèrement.

- J'étais au lieu même où les Miroirs sont arrivés, continua-t-elle.

Opale la regarda sans rien dire, mais Jehan ne semblait pas sincèrement perturbé par ses paroles.

- Ah oui ? Ça a commencé où ?

- Au musée.

- Le truc où ils présentent des vieux manuels et des tableaux de la Famille Dirigeante ? Pourquoi les Miroirs seraient arrivés là-bas ? Ils ont quelque chose contre la reine, tu crois ? En tout cas, je me demande ce que tu y faisais en pleine nuit. C'était comment, lors de l'attaque ?

- C'était ... je ne sais plus. C'était le chaos, c'était horrible. J'y ai perdu ma sœur.

- Bah, tout le monde a crevé, là-bas. Mes parents et ma cousine aussi. Faut pas se lamenter dessus. Le désespoir, c'est un signe de faiblesse. Et si t'es faible, les Miroirs t'attraperont plus facilement. Et puis, entre nous : vaut mieux qu'ils soient tous morts plutôt qu'avoir à se les coltiner avec les Miroirs à nos trousses. Moins on est et mieux on survit, déclara Jehan en mordant dans une miche de pain.

Anthémis le regarda mâcher sans grâce. Il avait dans le regard une lueur qui n'indiquait rien de bon à la jeune fille ; comme s'il s'amusait.

- J'aurais préféré rester avec ma sœur. On se serait entraidées. Elle n'aurait pas du tout été un fardeau, et je suis sûre que tes parents et ta cousine non-plus. Plus on est et mieux on saura se défendre des Miroirs, rétorqua-t-elle en sentant la colère dans sa voix.

La lueur dans les yeux de Jehan se fit plus présente. Il s'amusait à la tester, à voir comment elle réagirait à ses paroles. En soit, cela ne la dérangeait pas – qu'il s'amuse donc, que cela pouvait-il lui faire ? Mais elle n'appréciait pas grandement le fait qu'il parle de vies humaines comme de simples poussières à balayer.

Reflétés T1 - LunariaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant