– Tu es impossible ! s'était écriée Ambroisie.
Sa petite sœur restait impassible. Une grande trace rouge était marquée sur sa joue, et du sang avait coulé de son nez.
– Pourquoi tu me fais ça ? Pourquoi maintenant ?
Anthémis ne bougeait toujours pas. Ambroisie l'avait secouée par les épaules, mais elle ne réagissait toujours pas. Des larmes avaient commencé à perler le long des joues de la jeune femme.
– Ressaisis-toi Anthémis, on ne peut pas continuer comme ça ...
– C'est pas de ma faute, avait simplement répondu la jeune sœur alors âgée de treize ans.
Ambroisie l'avait prise dans ses bras et l'avait serrée contre elle.
– Je sais ... je sais ..., avait-elle murmuré.
Elles étaient toutes les deux restées dans cette position plusieurs minutes, ne pouvant se détacher l'une de l'autre.
– Qu'est-ce que je vais faire, Ambroisie ... ? avait gémi la jeune sœur.
– Tu iras au collège de Loreak, c'est pas grave. C'est pas loin, Loreak, tu pourras y aller à pieds. C'est pas grave ...
– Je ne veux plus aller en cours ... plus jamais ... !
– Tu dois étudier, Anthémis. Pour avoir une belle vie plus tard.
– Mais la belle vie, je veux l'avoir maintenant, pas dans dix ans !
Ambroisie avait laissé échapper un sanglot.
– C'est impossible, tu le sais bien ... Les choses ne seront plus jamais les mêmes depuis que papa a disparu ...
Les images s'enchaînèrent à une rapidité fulgurante.
Leur père. Sa barbe mal rasée. L'odeur de son café du matin. Son rire improbable qui les amusait tant. Son dessin de bateau qu'ils avaient encadré et accroché dans le salon. Son rêve de s'en aller et de prendre la mer. Son chapeau melon qui ne lui allait pas. Son écriture saccadée.
Sa disparition deux ans auparavant.
Anthémis se réveilla brusquement.
Il avait disparu sans raison, du jour au lendemain. Certains disaient avoir vu les chevaux des Varlets à l'entrée d'Ibai le jour de sa disparition.
Il avait été emmené au Palais, comme Mélopée. Il avait servi de cobaye.
Son père n'avait pas été directement tué. Il avait été reflété.
Cette révélation coupa le souffle d'Anthémis. Elle se releva avec peine, tituba jusqu'à la fenêtre de la chambre d'hôtel et l'ouvrit avant d'inspirer une grande bouffée d'air.
Il pleuvait encore, cette nuit-là. Les gouttes de pluie venaient s'écraser contre le rebord de la fenêtre et sur les doigts de la jeune fille. Palis était endormi, mais quelques lumières se laissaient encore percevoir aux vitres des maisons.
Anthémis regarda ce village qui lui était presque inconnu, mais cette vision ne parvint pas à la calmer complètement. Son cœur se serra.
Elle n'avait pas vraiment de preuves que son père avait été reflété, mais vu ce que Mélopée lui avait rapporté sur ce qu'elle avait elle-même vécu, tout concordait. De plus, son père n'était pas le seul à avoir disparu sans raison. Comment la Famille Dirigeante faisait-elle son choix parmi les habitants d'Hodei ? Choisissait-elle les criminels ? Après tout, des Varlets avaient découvert des armes illégales dans leur maison, et elles lui appartenaient. Mais il n'avait pas été directement emprisonné après cette découverte. On lui avait confisqué ses armes et il avait reçu quelques coups de fouet – scène à laquelle ses deux filles étaient tenues d'assister –, ce qui était déjà une sentence suffisante. Tout le monde pensait que c'était fini, qu'on ne lui demanderait plus rien, et pourtant il avait disparu une semaine plus tard. D'autres personnes s'étaient comme volatilisées avant lui, mais il ne s'agissait pas toujours de criminel-le-s. Mélopée non-plus n'avait rien fait de mal lorsqu'on l'avait demandée au Palais. Anthémis ne comprenait pas.
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Reflétés T1 - Lunaria
FantasyPeu après l'attaque d'Ibai en 2368, la nouvelle couronnée d'Hodei lance un appel aux habitants de l'île, et prévient de l'arrivée de ce qu'elle appelle les Miroirs. La jeune Anthémis Vanderguel est une survivante ; elle a vu l'attaque de ses propres...