Hermes Corp - Alex [Terminée]

Chapitre 6

Je jette un œil dans l'open-space, je ne le vois nulle part. Il a disparu. Sans un mot, sans un regard. Sans la moindre explication. Je baisse les yeux sur mon bloc, je le regarde sans le voir, perdue dans mes pensées. A bien y réfléchir, je ne sais pas grand-chose d'Alex. Je sais comment il réagit, je sais ce qu'il aime ou n'aime pas. Mais je ne sais pas grand-chose de son passé. Il s'est toujours employé à garder caché cette part de lui. J'attrape un crayon et trace des lignes sans réfléchir. Ça ne correspond franchement pas à ce que le client nous a donné. Cependant je vois clairement se dessiner le visage de l'homme que j'aime sur ce papier. Quelques tâches se forment sur le dessin. Je crois bien que je me suis mise à pleurer sans m'en rendre compte. J'ai si peur qu'il s'enfuie sans jamais revenir...

Stefen – Minna ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

Stefen, qui passait par là, s'adresse à moi en douceur, en s'accroupissant pour se mettre à ma hauteur. Je tourne la tête vers lui, je dois avoir l'air misérable.

Minna – Je sais pas vraiment. Tout se passait bien, et puis Alex a reçu un message... et il a disparu.

Stefen – Ah... Et il disait quoi ce message ?

Minna – J'en sais rien, j'ai pas eu le temps de lire le moindre mot, pas même l'expéditeur. Il a fermé son téléphone et il est parti sans dire un mot, sans explication, en me plantant là. Il avait pas l'air bien, on lui aurait appris ma mort il aurait pas eu l'air plus énervé.

Stefen – Ok ok, panique pas, c'est sans doute rien. Tu sais à quel point il est sanguin, vous êtes à peu près pareils sur ce point.

Minna – Je te rappelle qu'il y a quelques jours à peine il menaçait de partir vivre à Boston, juste parce que j'ai dansé trop près avec lui et qu'il s'est planté de destinataire en envoyant un texto. Tu trouves ça rationnel franchement ?

Stefen – J'ai jamais dit qu'il l'était, juste qu'il était sanguin. Laisse-lui le temps de se calmer, il reviendra.

Minna – J'espère, je le vois déjà faire ses valises.

Stefen – Dit pas de conneries, regarde, il a laissé sa veste, avec portefeuille et compagnie. Il a pas prévu de partir, il s'est juste isolé un moment.

Minna – Oui. Oui, c'est vrai.

Stefen – Bien, alors calme-toi, va te chercher un café et arrête de penser à ça. Tu le verras bien vite revenir avec sa mine désolée, comme à chaque fois que vous vous disputez. Ça dure jamais bien longtemps quand il se braque.

Minna – Oui. Désolée, je voulais pas t'inquiéter.

Stefen – Y a pas de mal. Viens me voir si jamais ça va pas. Je dois retourner bosser.

Minna – Oui, merci.

Il me tapote l'épaule, comme pour me réconforter, et s'éloigne en direction de son bureau. Je le regarde s'éloigner un instant, reconnaissante. Mais pas pour autant rassurée. Plus d'une heure a passé, je n'ai quasiment pas avancé dans mon travail. Mon crayon a sacrément souffert par contre. Il n'en reste plus grand-chose, je crois même en avoir avalé quelques morceaux tellement je l'ai mâchouillé. Je me résigne à en prendre un autre et lève les yeux au passage en direction du couloir, sans trop d'espoir. Pourtant je vois Alex revenir, lentement, la tête basse. Mon cœur fait un bond et je lâche mon bloc sous le coup de l'émotion. Je ne m'en soucie pas vraiment, j'ai bien plus intéressant en vue.

Je résiste de peu à l'envie de courir jusqu'à lui pour lui sauter au cou. Je ne le quitte pas du regard jusqu'à ce qu'il prenne place sur son siège. Il ne me regarde pas, détournant les yeux. Son expression est indéchiffrable. J'ai l'impression qu'il en a gros sur le cœur et qu'en même temps il se trouve face à un choix cornélien. C'est une impression étrange, comme si je voyais mes propres expressions se calquer sur son visage. Mais je vois autre chose, quelque chose que je suis incapable d'identifier. Une goutte de sueur glacée défile le long de ma colonne vertébrale. Je n'ose pas bouger de peur de le braquer, je me contente de le fixer, sans mot dire, patiente. Au bout d'un moment qui me paraît terriblement long, il bouge enfin.