Chapitre II

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Hack conduisait le fourgon, et moi je tenais la carte. Il n'y avait vraiment qu'une route pour rejoindre notre destination, mais il arrivait que l'on doivent la quitter pour faire un détour enroulant dans les collines. Il y avait des poches de radioactivité un peu partout. Certaines étaient marquées sur la carte et je pouvais définir un parcours à l'avance, mais d'autres fois nous étions surpris par l'agitation de notre compteur Geiger et il nous fallait faire demi-tour immédiatement. J'ai rajouté soigneusement ces zones interdites avec un stylo rouge à mesure que nous les contournions. A un moment, alors qu'on croyait bien avancer, la route nous a été barrée de tous les côtés et il a fallu rebrousser chemin sur près de sept kilomètres. Sans tous ces changements soudains d'itinéraire, on aurait pu parcourir quatre fois plus de distance, pourtant, au petit matin, nous étions toujours perdus au milieu de rien.

Hack a fini par se ranger en haut d'une colline et a éteint le moteur.Après s'être étiré en grognant, il a lâché à un peu tout le monde et personne en même temps « J'en ai marre, pause pipi. » Il est descendu en premier, a attrapé un fusil de chasse derrière son siège, puis est parti tout seul devant. Il caillait dehors, et en sortant je me suis enfoncé dans cinq centimètres de boue. « Pays de merde... » J'ai ouvert la porte coulissante du fourgon et j'ai pu constater que les autres avaient passé une nuit au moins aussi merdique que la nôtre.Phoenix a pesté contre le temps, comme d'habitude, et Loli est carrément sortie enroulée dans son plaid. Che a dit qu'il rejoignait Hack, a attrapé un fusil d'assaut, puis est parti en petite foulée. Ne restait que la Rouquine dans le fourgon, affichant une mine boudeuse à la vue du ciel couvert. « Café ?»j'ai demandé. Elle a souri, et m'a répondu par l'affirmative: « Moui, café... »

Après moult étirements, j'ai rejoint Loli avec deux tasses de chocolat chaud, une pour elle et une pour moi. Elle s'était un peu éloignée du groupe et regardait l'horizon. Je me suis serré contre son dos et j'ai regardé aussi, suivant les sillons que notre van avait laissé derrière lui. Ils grimpaient une colline, disparaissaient dans un creux vallonné, puis repointaient le bout de leur nez pour une nouvelle ascension. J'ai fini par en perdre la trace et j'ai pris conscience enfin du chemin parcouru, comme si un poids m'écrasait soudain. On était dans la Zone, et on était isolés.Mes cinq compagnons et moi-même étions peut-être les seuls êtres vivants à des kilomètres à la ronde. Puis il me vint à l'esprit que ce n'était sans doute pas vrai : nous n'étions peut-être que les seuls humains à des kilomètres à la ronde, et la nuance était vaste. Intérieurement, je me suis traité d'idiot de ne pas avoir compris que Loli ne tremblait pas qu'à cause du froid, que la Rouquine ne quittait pas le fourgon pour la sécurité relative qu'il lui apportait. Que Hack s'était arrêté en haut de la colline pour la vision panoramique que cela offrait, au cas où quelqu'un (ou pire, quelque chose) souhaiterait s'en prendre à nous. Que lui et Che était parti lourdement armés, et que je restais bêtement vulnérable avec ma tasse de chocolat. J'allais devoir apprendre à craindre la Zone, si je ne voulais pas y succomber.

 Phoenix est venue me prévenir que Hack voulait me voir, et cette fois j'ai pris un pistolet dans la boîte à gants. « Restez prudentes, ok ?» Elle a acquiescé sans mot dire, puis a porté un regard anxieux sur les alentours. Hack m'a fait des grands signes alors que j'approchais pour me dire de me baisser et de faire vite.Marcher en canard dans la boue ne m'enchantait pas, mais je venais de décider d'être prudent et il n'était pas du genre à humilier les autres pour l'amour de la blague. Une fois à leur hauteur, je leur ai demandé ce qu'il se passait. Che fixait quelque chose à travers ses jumelles. « Il est toujours là ?» a demandé Hack en me tendant son fusil à lunette. « Ouais ouais » a répondu Che machinalement comme si son esprit était très loin. J'ai épaulé le fusil et regardé là où Hack m'indiquait, « à l'orée de la forêt, à droite du ruisseau, près du lavoir. » Je n'ai pas tout de suite compris ce que je regardais. Il y avait une masse sombre, très loin,qui semblait trembler, être prise de sursaut. « Qu'est-ce que c'est ?» Un silence fasciné a été ma seule réponse.La forme sombre s'est déployée lentement, comme une fleur qui éclot, puis j'ai saisi ce que j'avais dans le viseur. Il y avait en réalité deux corps : l'un était quelque chose comme un cerf ou un veau, et reposait sur le flanc, immobile ; l'autre forme était clairement un être humain. Un être humain mort et décharné. Che a ricané en entendant ma respiration se bloquer. De toute évidence il avait ressenti la même chose. Immobile, j'ai continué à observer mon premier zombie dévorer sa proie. Je souhaitais étancher ma fascination macabre tant que je ne craignais rien. Il fallait qu'il me soit le plus familier possible, car au moment d'affronter ses semblables, une seconde d'hésitation pouvait être fatale. Un coup de vent m'a fait frissonner, et Che s'est mépris sur son origine. « Ouais, je sais. Savoir que c'est là-bas qu'on va, ça fait flipper... »

DESabusésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant