Chapitre III

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La forêt nous a engloutis en quelques instants. C'était comme ne pas avoir eu de transition entre les routes monotones des collines nues et les chemins sinueux qui entouraient les plateaux escarpées où se dressaient des conifères si noirs et si touffues que nous devions rouler plein phares. Je n'avais jamais vu d'arbres serrés avec une telle densité auparavant. Il était inutile d'espérer voir au travers, autant qu'il était illusoire de vouloir savoir ce qui se trouvait au prochain virage. Je voyais bien que Hack se lassait de cet inconnu perpétuel, mais à partir d'ici c'était le seul chemin, parce que le paysage allait devenir montagneux. Notre plus grande angoisse était de tomber sur une poche de radioactivité.N'ayant aucun moyen de la contourner, on aurait été contraints de continuer à pied à travers les bois.

« J'ai un mauvais pressentiment. » Hack exprimait un sentiment général. Derrière, les quatre autres étaient particulièrement tendues. Hack conduisait, je suivais notre progression sur la carte, mais ils restaient oisifs et impuissants. Ils n'avaient pas de fenêtre pour prendre connaissance de notre progression, et donc ils se basaient en plus sur notre propre détresse. Le brouillard s'est levé et Hack a pesté, ajoutant au stress. Un silence tendu s'est installé pendant dix bonnes minutes pendant lesquelles j'avais l'impression de revivre en boucle le même tronçon de route.

« Vous avez entendu ?» J'ai sursauté quand Phoenix a posé la question.

« Entendu quoi ?» a demandé Che, soudain prêt au combat.

« Je sais pas, on aurait dit... »

Hack et moi avons échangé un regard et ma main s'est posé instinctivement sur la crosse de mon pistolet.

« Moi aussi, j'entends quelque chose, je crois... » C'était la Rouquine, qui avait saisi une machette.

La silhouette est apparue moins d'une seconde avant l'impact.Quelque chose sur la route avait émergé du brouillard et percuté le capot. Sous le choc tant physique que psychologique, Hack a fait une embardée et a manqué nous envoyer à pic. Le moteur a crachoté,puis s'est éteint, nous laissant à l'arrêt en côte alors quel'on y voyait pas à deux mètres devant nous.

« Démarre ! Allez, démarre !» Hack s'est ressaisi plus vite que moi et il a fait tourner la clé, en vain. « Démarre, bordel !»

« C'était quoi ?» a crié Loli d'une voix suraiguë. Elle avait complètement cédé à la panique.

« C'est rien, on va redémarrer et nous tirer loin d'ici. On est presque sortis de la forêt. » J'essayais d'être rassurant, mais le sang me battait les tempes. On avait percuté un zombie, c'était sûr, et je savais qu'ils se déplaçaient rarement seuls. Phoenix l'a prise dans ses bras, et j'ai scruté l'extérieur à la recherche du moindre mouvement. Rien du tout. Comment lutter contre un adversaire qu'on ne voit pas?

Le fourgon a redémarré, mais la côte était si raide que dans sa précipitation, Hack a calé une fois de plus. Le moteur a émis un crachotement pathétique et étouffé qui faisait écho à notre propre terreur silencieuse. Il y a eu un choc à l'arrière, et la portière s'est ouverte précipitamment. Ils étaient deux,écorchés, décharnés, pourrissant, mais vifs. L'un d'eux s'est jeté sur Phoenix qui était restée paralysée, et ils ont roulé par terre. Le second s'est retrouvé aux prises avec la Rouquine qui avait eu la présence d'esprit de mettre son arme en avant pour se protéger. Une autre silhouette se dessinait dans le brouillard derrière nous, et un juron de Hack m'a averti qu'un autre arrivait par devant.

Je me suis retourné complètement et j'ai pointé mon arme vers le zombie qui cherchait à fracasser Phoenix à coup de poing. Si j'ouvrais le feu, je risquais de la blesser elle tant leurs mouvements étaient frénétiques. J'ai croisé son regard suppliant un instant, juste avant qu'un coup passe à travers sa garde improvisée et ne lui brise l'arête du nez, et sous le bruit du moteur qui toussait, sous les rugissements bestiaux que poussaient ces monstres, sous les pleurs hystériques de Loli, même sous le flux assourdissant de mon sang dans mes veines, je l'ai entendu me supplier, m'implorer : « Tire !» Et au bout de cet instant infini, j'ai pris la décision répugnante de ne pas tirer.

Le moteur a ronronné au même moment où Che fracassait le zombie contre la banquette arrière à coup de pied, puis à coups de crosse. Ensuite, il s'est retourné et a tiré une rafale assourdissante contre le troisième zombie qui s'était dangereusement approché. Le véhicule s'est remis en mouvement, nous éloignant enfin de nos poursuivants. La Rouquine a fendu le crâne de son agresseur à grand coup de machette et l'a rejeté sur la route qui défilait enfin.

« Tout le monde va bien ?» Hack avait gueulé plus fort que nécessaire, et regardait dans le rétro. Il avait tellement eu de mal avec le moteur qu'il n'avait rien vu du bref affrontement.« Accrochez-vous !» L'accélération nous a tous saisi,mais le choc avec le zombie de devant, puis qu'attendu et espéré,a été moins brutal que le précédent. Il a heurté le feu avant droit et a été projeté sur notre flanc, arrachant au passage mon rétroviseur dans un grand fracas de plastique.

Il n'y avait plus rien en face, pour autant que j'aie pu le dire. Après quelques dizaines de secondes à rouler sans rien rencontrer,je soufflais enfin. Il n'avait pas été très nombreux, fort heureusement.

Il y a eu un choc contre ma vitre, puis un second qui a envoyé des bris de glace dans tout l'habitacle. Avant que j'aie pu comprendre ce qu'il se passait une main m'avait saisi par le colle et tentait de m'extraire du véhicule. La main tremblante, j'ai réussi à lever mon arme et a tiré vers le bras. La balle a percuté l'extérieur du coude et a projeté des éclats d'os et de chair putréfiée dans tous les sens. Le bras m'a lâché et a cherché une nouvelle prise. Quand les ongles ont labouré mon visage, j'ai poussé un hurlement, et j'ai tiré de toutes mes forces sur le bras. Dans un équilibre précaire sur le toit, le zombie n'a eu aucun moyen de s'accrocher. Je l'ai vu tomber devant ma fenêtre brisée, puis j'ai senti la secousse quand il est passé sous le pneu arrière. Je me suis retourné pour le voir défiler sur la route et disparaître au virage. Il fallait que je sois sûr qu'il était mort. Au bout des quelques secondes qu'il m'a fallu pour reprendre mes esprits, j'ai remarqué que toute l'attention était portée sur moi. Entre deux halètements, je suis parvenu à articuler « on les a eus », et il nous est tous venu à l'esprit que c'était vraiment terminé, cette fois, et qu'il fallait reprendre sa place comme si rien ne s'était passé.

 Loli s'est blottie dans son plaid le plus loin possible de la porte du fond, et elle a fini par s'assoupir. La portière fermait mal,maintenant, et la Rouquine veillait à ce qu'elle reste verrouillée. Che a aidé Phoenix à se retaper. Elle n'avait que des bleus et des contusions en dehors de son nez brisé, mais les choses auraient pu vraiment mal tourner pour elle. J'ai surpris un regard de sa part alors que je m'inquiétais pour sa santé. Il disait : « Tu m'aurais laissé mourir. » Et je ne suis même pas sûr que ce soit faux.

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