La nuit est tombée à une vitesse fulgurante sur la campagne. Ma montre indiquait qu'il n'était que deux heures de l'après-midi. Même au cœur de l'hiver, c'était beaucoup trop rapide. La température a également chuté d'un coup, loin sous les 0°C,même si je n'ai pas pu la mesurer. La neige s'est ensuite mise à tomber, recouvrant le paysage en quelques minutes. Malgré tout, Hack a retrouvé la route qu'on avait emprunté à l'aller. On avait perdu nos sacs dans le garage, parce qu'ils étaient trop encombrant pour monter avec, mais j'avais gardé la carte et le compteur Geiger dans la doublure de mon manteau. C'était au moins ça qu'on pouvait contrôler. Après de nombreux détours, on a enfin atteint la forêt. Il n'y avait pas de brouillard cette fois,mais l'obscurité était si épaisse qu'il fallait rouler plein phare. Les virages se succédaient sans donner le moindre indice quant à la distance parcourue. Je n'avais pas le courage de suivre notre parcours sur la carte. J'aurais préféré m'endormir pour me réveiller au péage, avec la sécurité des quelques soldats ennuyés. Je me suis rappelé le regard las du contrôleur. J'avais cru qu'il nous enviait, je me demandais maintenant combien d'entre nous étaient passés devant lui pour ne jamais revenir.
« Réveille-toi. »J'ai sursauté. Je m'étais assoupi, mais Hack m'avait réveillé : pas brusquement, mais quelque chose dans sa voix m'avait inquiété. J'ai compris qu'il ne voulait pas se retrouver seul dans cet enfer. J'ai jeté un œil sur la plage arrière. Phoenix avait repris ses esprits, mais elle se cramponnait toujours à une batte de baseball comme si sa vie en dépendait.C'était sans doute le cas. Par la fenêtre, je n'arrivais pas à distinguer les pins. Il n'y avait que nous, la marée d'encre autour, et quelques mètres de route éclairée qui se répétaient inlassablement. « Vous ne rentrerez pas... » Les mots du professeur lors de la fusillade me sont revenus. Je ne savais toujours pas ce qu'il avait voulu dire. Peut-être qu'il voulait nous empêcher de rentrer chez lui. Peut-être qu'il s'était su piégé dans la Zone et avait vu mourir ses compagnons les uns après les autres. Et si cette route continuait à l'infini, que nous étions piégés nous aussi ?
Le moteur s'est mis à vrombir, puis à tousser. Le véhicule a ralenti et s'est arrêté au milieu de nulle part. Hack a tourné la clé encore et encore sans parvenir à nous remettre en marche. La scène n'était que trop familière. « Bon, restons calmes...Il n'y a pas de zombies, alors on va sortir et je vais inspecter le moteur. » Il est sorti. Phoenix était terrifiée, mais je savais qu'elle avait fait des cauchemars et rejoué la scène en boucle dans sa tête. Son visage était toujours abîmé alors qu'elle aurait dû en garder peu de séquelle. Ni son corps ni son esprit ne parvenait à oublier qu'elle avait failli mourir. « Tout va bien se passer, tu verras. Reste près de moi, et si tu vois quelque chose, crie. » Elle a acquiescé, mais elle n'avait sans doute pas oublié que je n'avais pas tiré pour la libérer.On est descendus de la voiture, et j'ai scruté les alentours avec une lampe torche. Tout était calme, et aucun zombie n'était en vue. Les ténèbres semblaient engloutir la lumière, mais je pouvais aussi me fier au silence. « Alors, comment va le moteur ?»Je n'ai pas eu de réponse. J'ai contourné le véhicule et suis passé devant le capot ouvert. Hack n'était plus là. Le moteur était complètement éventré, comme si des griffes avaient tranché dans le métal. « Hack ?» J'ai entendu la respiration de Phoenix s'accélérer. « Il est plus là ! Comment c'est possible ?» Je n'en savais rien. J'aurais dû voir ou entendre quelque chose. Il ne pouvait pas simplement s'être volatilisé. Je me suis couché sur l'asphalte à la recherche du moindre indice. Quelque chose a brillé sous l'éclat de ma lampe.Je me suis approché pour constater qu'il s'agissait d'une goutte de sang. Une seule goutte. Un hurlement affreux nous est parvenu depuis les bois. C'était sans aucun doute la voix de Hack. « Il faut qu'on l'aide !» J'ai attrapé Phoenix parla main alors qu'elle commençait à quitter la route. « Quelque chose l'a eu... On est en train de se jeter dans la gueule du loup. » Elle m'a giflé de toute ses forces et je suis resté sonné quelques instants. « Arrête d'être un lâche !Personne n'a besoin de mourir ici ! J'y vais avec ou sans toi !» Elle s'est précipité dans la forêt au mépris du danger. Quand elle a été sur le point de disparaître dans les ténèbres, j'ai décidé de la suivre. On a couru un long moment.Par intermittence, un hurlement de douleur atroce nous remettait sur le bon chemin. Il y avait quelque chose dans cette forêt qui ne voulait pas qu'on en perde la trace. Par moment, je trouvais des indices sur notre chemin, comme des armes, des vêtements, ou plus de sang. Mais on se rapprochait, lentement. Si on était assez rapide,on avait peut-être une chance de le sauver avant que ce ne soit sa tête qui dépasse d'un fourré. Et puis les cris se sont arrêtés.On a couru un moment sans plus rien trouver ni rien entendre. Phoenix s'est arrêtée pour reprendre son souffle. « C'est impossible... Il doit pourtant être quelque part !» Elle s'est tournée vers moi et s'est figée. « Quoi ?» Elle a fait un signe de la tête vers ma main. En suivant son regard, j'ai compris. Ma lampe torche était éteinte. Pourtant, je la voyais très bien. Une lueur rouge illuminait les bois autour de nous. « Trad...Phoenix... » La voix était faible, mais c'était celle de Hack. Le piège s'était refermé sur nous. Du sang a coulé dans la neige, tombant d'au-dessus de nous. Phoenix et moi avons levé les yeux lentement, suivant le filet poisseux et ininterrompu. Une forme humaine se trouvait là-haut, une branche à travers l'abdomen,les entrailles enroulées autour. J'ai d'abord cru que c'était un zombie, mais j'ai vite compris que c'était Hack. Il avait été écorché vif de la tête aux pieds, puis empalé sur un pin pour y mourir.
« Tu es enfin venu. » La voix m'a arraché au spectacle macabre et m'a paralysé. J'ai baissé les yeux pour découvrir Loli debout devant moi, entre les arbres. Elle a fait un pas vers moi et j'ai instinctivement dégainé mon épée.
« Tu ne dois pas rentrer. Le monde doit ignorer ce qui se passe ici. »
« Des gens meurent ! Tu es morte ! Il faut stopper ça !»
« Ne sois pas si hypocrite. Tu savais ce qui se passerait en venant. Tu as refusé leur monde et tu as rejoint la Zone, où tu n'es pas jugé,où tu es libre de penser, de dire et d'agir. Tu as choisi la survie à la vie, et tu as perdu. Ne sois pas si amer. Tu vas renaître plus fort, faire partie de la Zone. Ensuite nous rentrerons, je te le promets, mais tu ne dois mettre personne au courant. »
« Je suis pas comme toi ! Tu es devenue un monstre !»
« Et toi aussi, tu vas changer. Tu as été marqué dès ton premier jour ici. Par le sang. » Elle s'est tournée vers Phoenix. « Toi aussi tu changes. Mais le processus met plus de temps. »
J'ai touché ma joue, là où les ongles du zombie avait déchiré ma chair. Il me restait une balafre gonflée depuis le premier jour.Comme Phoenix. Comme Che, dont la blessure aurait dû guérir vite. « Qu'est-ce que tu as fait ?»
« J'ai respiré le poison des fleurs trop longtemps. Je suis morte le deuxième jour, mais la transformation était déjà avancée. J'étais consciente tout ce temps. J'ai souffert. Les spores ont rongé mon organisme, m'ont dévoré de l'intérieur, puis ils m'ont fabriqué de nouveaux organes. Plus forts, plus rapides. Je ne crains plus la mort. Mon esprit est lié à la Zone, désormais.Tout le monde fera partie de la Zone. Nous serons réunis, en paix. » Elle s'est approchée de moi et a posé la main sur la poche de mon manteau. « Mais il faut agir dans le calme, ou l'humanité nous éradiquera. D'autres viendront, et nous bâtirons une armée. » Elle a ressorti une clé usb de ma poche. Hack m'avait donné un double, au cas où. « Rejoins-moi. On vivra éternellement, toi et moi. Plus rien ne nous arrêtera. On sera heureux !»
« J'aurais aimé que ce soit vrai...» Je l'ai repoussé et lui ai tranché le bras à hauteur du coude. Aucune goutte de sang n'a coulé, mais elle a poussé un hurlement strident. Elle s'est jetée sur moi avec une vitesse surnaturelle, mais je n'hésitais plus. Ma lame lui a tranché le sommet du crâne. Après quelques pas, elle s'est effondrée dans la neige, cette fois morte pour de bon.
« C'est terminé... » Je me suis tourné vers Phoenix, mais elle me tenait en joue avec un revolver. J'ignorais qu'il lui restait un flingue, sans doute l'avait-elle ramassé pendant notre course. « Qu'est-ce que tu fais ?»
Ses yeux étaient inondés de larmes. « Tu l'as entendue... Il ne faut pas rentrer... »
« Arrête tes conneries, il faut les avertir ! Me dis pas que tu l'as crue ?»
Elle a secoué la tête. « Bien sûr que non ! Mais on est contaminés. Si on quitte la Zone, d'autres mourront avant qu'une solution ne soit trouvée. Che le savait. Je crois que c'est pour ça qu'il voulait te tuer. »
« Je suis prêt à prendre ce risque. »
« Pas moi. » Elle avait cessé de trembler, et son regard brûlait. J'ai tendu la main en vain, et elle a pressé la gâchette. La balle m'a frappé en pleine poitrine et je suis tombé à la renverse dans la neige. Mon instinct me disait qu'être allongé face contre terre, c'était mourir, et je me suis relevé en vitesse avant de comprendre ce qui m'arrivait. « Tu vois...Tu es un monstre comme elle !» J'ai porté une main à ma poitrine. La balle avait perforé mes vêtements, mais je ne saignais pas et je n'avais pas mal. Elle était pourtant bien dans mon corps, au bout d'un cours sillon de chair pulvérisée. J'ai regardé Phoenix dans les yeux, incrédule. Elle a réarmé le chien de son revolver. J'ai bondi sur elle, recevant une deuxième balle qui m'a transpercé le foie sans plus de dommages. Je lui ai arraché le revolver des mains et l'ai jeté dans la neige, mais elle m'a frappé au visage, m'assommant un court instant. Quand j'ai repris mes esprits, elle avait tiré un couteau de combat. Elle m'a attaqué, et je me suis contenté de la prendre dans mes bras pour l'emporter dans ma chute. Elle n'avait pas dû prévoir une telle tactique parce que c'est moi qui me suis retrouvé au-dessus. Elle n'avait plus son couteau et j'ai découvert qu'il était enfoncé jusque dans mon ventricule droit. Je l'ai arraché sans crainte et je lui ai planté dans le corps. Son étreinte s'est relâchée, et je l'ai poignardée encore et encore. Elle avait le même regard suppliant que lorsqu'elle avait été attaqué dans le fourgon. Cette fois, c'était moi qui la tuait pour de bon. Une fois encore, je ne comptais pas la sauver. C'était elle ou moi, et je croyais en ma cause. J'ai arrêté après le trentième coup de couteau. Son sang inondait mes vêtements et la neige.
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DESabusés
ParanormalDans la Zone, plus rien n'a de sens. Les phénomènes les plus étranges peuvent se produire. Bien qu'évacuée, elle continue d'attirer journalistes, aventuriers et survivalistes en manque de sensation. Trois hommes et trois femmes, lassés par une vie m...