On a fini par sortir de cette foutue forêt de pins, et je ne pensais pas être un jour si heureux de revoir des champs à l'abandon. Une forme de calme est revenue dans le fourgon. Même le brouillard s'est dissipé pour nous laisser souffler. Vers treize heures le village vers lequel on se dirigeait est enfin apparu sur les hauteurs. Avec ces accumulations de collines et forêt, on avait commencé à croire que plus les choses changeaient dans la Zone, plus elles restaient les mêmes. Pour la première fois depuis le début du voyage, on avait le sentiment d'avancer. Phoenix a même lancé une conversation légère sur ce qu'on comptait faire quand on serait riches. Personnellement, je ne suis pas venu pour l'argent, et je doute que ce soit le cas de mes compagnons non plus, mais on pouvait enfin s'amuser en déclarant tout haut des absurdités. Phoenix voulait faire le tour du monde pour faire la fête et boire tous les alcools qui existent. Hack a proposé de monter un studio de jeux vidéos faussement indé. La Rouquine voulait se fabriquer un abri post-apo. Loli et moi, dans le fond, voulions un peu la même chose,avec un chien et des gosses. Un voile sombre a recouvert notre petit moment de candeur lorsque tout le monde a compris qu'on souhaitait juste s'isoler le plus possible de ce monde de fou. Quitte à s'enfoncer au plus profond de la Zone.
Le village était ce qu'il y avait de plus classique en France profonde : une église, un bistrot, et une place au milieu.L'endroit était bien sûr désert. De prime abord, du moins. Si nos renseignements étaient exacts, nous aurions dû y retrouver notre contact. Hack s'est arrêté au milieu de la place et nous sommes tous descendus. J'ai pris un fusil à pompe de la police, et Che a pris un fusil d'assaut. Les autres ont privilégié des armes de combat rapproché pour fouiller les bâtiments.
« Okay, on se sépare pour quadriller le secteur. Si vous trouvez le prof,vous appelez les autres. Si vous croisez des zombies, idem, inutile de jouer les héros. Voyez si vous trouvez pas du matériel, des armes, de la bouffe, ou juste un endroit paisible et défendable pour s'installer. On risque de rester quelque temps si le prof est pas là. » Hack nous a regardés dans les yeux un par un pour être sûr qu'on avait compris, puis nous a donné congé.
J'ai pris immédiatement la direction de la poste. Elle ne pouvait pas être bien grande et je voulais sécuriser le terrain le plus vite possible. En m'approchant j'ai remarqué que le bas du mur était recouvert de mousse et que du lierre avait méchamment mordu dans la pierre du mur, laissant de grandes fissures sur toute la façade. Le trottoir était bétonné, et il aurait fallu un temps fou pour que la nature reprenne ses droits de la sorte. J'ai jeté un œil autour de moi, ce qui a juste confirmé mon malaise. Aucune des autres façades ne présentait de végétation. J'ai rationalisé en me disant que les habitants avait sans doute eux-mêmes voulu installer un mur de lierre pour faire joli. Du lierre avait aussi grimpé sur la porte, et j'ai dû le déloger avec mon couteau.J'ai poussé lentement la porte, puis ai reculé immédiatement pour me mettre à couvert. Mon cœur n'avait fait qu'un bond en découvrant que l'intérieur avait été préparé pour un assaut.Les tables et bureaux avait été renversés pour former une barricade de fortune et je sentais que quelqu'un pouvait m'attendre juste derrière. J'ai pris une grande inspiration, compté jusqu'à trois, puis je me suis précipité à l'intérieur, arme à l'épaule. Personne en face, personne à gauche, personne à droite. J'ai longé le mur en essayant de faire le moins de bruit possible, puis je me suis penché par dessus la barricade d'un coup sec pour surprendre un éventuel ennemi. Toujours rien. Il y avait une pièce à l'arrière, sans doute une ancienne salle de repos,mais il n'y avait personne. Des sacs de couchage jonchaient le sol et s'accompagnaient d'un odeur de renfermé. Derrière, il y avait la réception et le tri des colis, aussi vide que le reste du bâtiment. Je suis revenu dans la pièce principale, essayant de comprendre ce qui avait bien pu se passer. Il y avait des douilles un peu partout par terre, mais je n'en avais pas trouvé dehors, et après examen, il n'y avait pas d'impact de tir dans la pièce.Les occupants avait tiré vers l'extérieur, mais personne n'avait riposté. Je me suis agenouillé derrière la barricade et j'ai épaulé mon fusil pour essayer de me mettre à leur place. Sous cette angle, on voyait clairement des impacts sur le cadre de la porte, comme autant de tirs manqués qui n'avait pas passé le seuil. Il y en avait sur le dessus de la porte. En ressortant, je me suis tenu un instant juste en dessous. Soit ils avaient été très paniqués, soit leur agresseur avait mesuré plus de deux mètres vingt.
Phoenix sortait du bistrot. Elle m'a fait non de la tête, et j'ai répondu de la même manière. Hack a gueulé quelque chose comme« j'en ai un !», puis on a vu un zombie chuter du premier étage d'une maison, expédié par-dessus la rambarde par un coup de pied fulgurant. Il n'était pas mort pour si peu, alors la Rouquine est allée l'achever. Quand il a tendu les bras pour l'attraper à la jambe, elle l'a cogné en pleine tête avec le cul de sa pelle, puis elle a abattu rapidement sur sa tempe la tranche aiguisée. Elle avait décidé depuis bien longtemps que la pelle était un outil multitâche, et je ne pouvais pas la contredire. Che s'est précipité hors de la mairie, prêt à faire feu. « Tout le monde va bien ?» La suite est devenue un peu confuse dans mon esprit. Il y a eu un coup de feu, et je me souviens que tout le monde s'est jeté à terre. Je m'étais instinctivement caché dans le renfoncement d'une porte. J'ai fait un bilan. D'abord, je n'étais pas touché. Ensuite, Hack était toujours à l'étage et la Rouquine avait trouvé une voiture derrière laquelle se planquer. Loli était restée près du fourgon, parce qu'on avait considéré qu'elle était encore trop fragile depuis l'attaque dans la forêt. Quant à Phoenix, elle rampait vers Che qui s'était traîné jusque derrière des buissons. Je voyais que son manteau était tâché de sang au flanc.Ma réalisation suivante a été qu'à part lui, j'étais le seul avec un fusil. J'ai sorti la tête pour trouver le tireur, mais je ne savais pas dans quelle direction il se trouvait. Deuxième coup de feu, qui a traversé les buissons et manqué Che de peu. Cette fois j'avais une idée plus précise de la provenance du tir. Che m'a lancé un regard qui disait « sois prêt », mais je n'étais pas sûr de l'être.
« Vous ne rentrerez pas !» La voix éraillée d'un homme a grondé dans tout le village. Il a hurlé d'autres choses incompréhensibles, parce que j'étais en état de choc, mais aussi parce que comme les paroles insensées d'un dormeur ses propos planaient au-dessus de mon esprit et disparaissait avant que j'aie pu les imprimer sémantiquement. Quelque chose venait, je crois, et nous étions tous dans le jeu. J'ai abandonné le décryptage de ces paroles de fou et j'ai simplement suivi la voix dont la hauteur fluctuait sans raison. J'ai vu le canon d'une carabine pointé d'une fenêtre à l'étage, et j'ai tout de suite compris qu'il visait Phoenix qui tentait de secourir Che. Je suis sorti intégralement de ma planque et j'ai tiré dans la fenêtre. Je n'avais pas de visuel direct, mais la chevrotine à suffisamment surpris le tireur pour qu'il se retire un instant. J'ai attendu sur place, sans vraiment savoir quoi. Le tireur a ressorti la tête et m'a vu planté sur le trottoir. Je me suis précipité derrière mon pan de mur, et une balle a fusé juste à côté de mon oreille,m'aspergeant de pierre broyé et m'assourdissant au passage. Che a profité de cette opportunité pour sortir de sa cachette et tirer plusieurs rafales. « Vas-y !» J'ai mis un temps indéterminé à comprendre qu'il s'adressait à moi. Je suis sorti de ma planque une fois de plus et j'ai couru sans trop savoir où j'allais. J'ai levé la tête et j'ai vu le tireur se pencher à la fenêtre pour pouvoir m'abattre. J'étais sans doute une cible trop facile pour être ignorée. J'avais épaulé avant lui. Il aurait dû se retirer, tenter une autre chance. Au lieu de quoi il m'a regardé de ses yeux fous, a épaulé, et a hurlé« personne ne doit rentrer !» Son visage se crispait comme si la douleur était indicible. J'ai dû appuyer sur la gâchette, parce que son corps a été projeté en arrière, et seul l'un de ses bras pendait encore par la fenêtre. Du sang coulait,glissait sur le dos de sa main, ruisselait le long de ses doigts sans vie, puis goûtait pour percuter le trottoir. Plic, plic, plic, ...J'ai tué un homme.
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DESabusés
ParanormalDans la Zone, plus rien n'a de sens. Les phénomènes les plus étranges peuvent se produire. Bien qu'évacuée, elle continue d'attirer journalistes, aventuriers et survivalistes en manque de sensation. Trois hommes et trois femmes, lassés par une vie m...