Chapitre V

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La Rouquine m'a tiré de ma transe et m'a pris le fusil des mains.« Rouquine, Trad, montez voir là-haut s'il en reste pas !»Elle m'a souri, m'a tapé sur l'épaule, et on a obéi au commandement de Hack. Le rez-de-chaussée était un vrai foutoir. Les portes avaient été défoncées, les meubles entassés en un seul endroit pour bloquer le passage. Le reste des pièces n'était que vide et poussière. L'escalier qui menait à l'étage avait été fracassé à grand coup de hache ou par un procédé similaire. Le reste du bois était vermoulu jusqu'à un mètre de hauteur. Sur la partie supérieure qui était restée intacte, quelqu'un avait logé une grande planche en bois entre les barreaux pour retenir une table qui obstruait le chemin. La Rouquine a pris sa pelle et a commencé à attaquer la planche, projetant des échardes partout. La planche a fini par céder sous les assauts et le poids de la table, et elles ont dévalé les quelques marches restantes avant de s'effondrer dans un tas de bois pourri. « Après toi », m'a dit la Rouquine en me montrant le chemin dégagé. J'ai viré la table et je lui ai fait la courte échelle. Une fois qu'elle était en-haut,je lui ai passé les armes et elle m'a aidé à monter à mon tour.Comme ça nous avait pris un certain temps et que personne n'avait profité de notre vulnérabilité pour nous surprendre, je me suis dit qu'au moins, l'étage était vide. On a quand même enfoncé chaque porte en prenant le contrôle de la pièce comme on l'avait appris, elle prenant à gauche pour aller sécuriser l'angle, et moi prenant à droite. Rien, si ce n'est un logement insalubre où de nombreuses personnes avait dû vivre entassées, comme dans la poste. On a laissé la pièce du tireur pour la fin. La pièces'ouvrait en couloir, alors on a juste progressé lentement. Le gars était toujours là, suspendu de façon grotesque par le rebord de la fenêtre, au milieu d'une mare grandissante de sang. Je lui avais arraché la moitié du visage : la pommette avait explosé sous l'impact, emportant l'œil et une partie des dents pour les éparpiller un peu partout sur le sol et le mur avec des bouts de cervelles. J'avais vu des zombies dans un sale état et fait une sorte de thérapie, mais j'ai eu la nausée à l'idée qu'il était encore chaud et que j'en étais responsable. La moitié intacte de son visage était toujours crispé en un masque démoniaque, et son œil sortait légèrement de son orbite à cause de la pression qu'il y avait eu un instant dans sa boîte crânienne, ce qui accentuait l'aspect dérangeant. « Moitié zombie, moitié vivant » a résumé la Rouquine. On avait presque l'impression qu'il allait se jeter sur nous. Sauf qu'il était mort, pour de vrai, et que c'était fini.

Mon regard s'est détourné du cadavre pour observer la pièce et j'ai sursauté en voyant quelque chose en boule dans un coin. Quelqu'un.La Rouquine a failli l'envoyer en enfer sur le coup, mais j'ai réussi à garder assez de présence d'esprit pour l'empêcher de lever son canon. « Monsieur, vous allez bien ?» J'avais bafouillé, mais c'était toute la contenance que j'avais. Je me suis approché, ma main prête à dégainer mon couteau de combat, et je me suis accroupi juste devant lui. Il était si maigre que j'aurais sans doute pu le soulever d'un seul bras. Et pâle, et le crâne dégarni et couvert de croûtes, et les lèvres sèches. Son regard était rivé sur le sol, et je me suis bientôt rendu compte qu'il ne clignait jamais des yeux. « Vous le connaissiez ?» j'ai demandé en faisant référence au cadavre frais derrière moi. Il avait sans doute été là depuis le début, avant la fusillade. Il n'a eu aucune réaction, comme si mes paroles ne l'atteignaient même pas. J'ai insisté. « Vous avez un nom ?» Il n'a pas réagi non plus. Il était si immobile et calme que je devais me fier à une veine sur son cou pour être sûr qu'il était vivant. J'ai ouvert mon blouson et j'ai fouillé dans la poche intérieur pour y trouver un calepin. J'en ai tiré une photo et je lui ai mis dans le champ de vision. « Vous connaissez cet homme ? Il s'agit d'un professeur de microbiologie à l'université Paris Descartes. Nous sommes là pour le retrouver. » Il a été pris d'un sursaut imperceptible, comme s'il devait réactiver ses fonctions motrices,et ses yeux se sont détournés d'une dizaine de degrés. Je lui ai remis la photo sous les yeux mais il n'a pas bronché, cette fois.J'ai eu un déclic. « Rouquine, fouille le corps... » Je suis retourné observer les traits du tireur, son masque effrayant, la difformité dû au calibre .12, la maigreur. La Rouquine a fouillé le corps à contre-cœur et a trouvé un carnet dans ses poches. Elle l'a feuilleté, puis a murmuré :« C'est notre homme... » Elle était soudain découragée. « Mais il y a pire... » Elle m'a tendu le carnet. Il s'agissait des notes du professeur, il n'y avait aucun doute, mais un grand nombre des paragraphes étaient écrit en cyrillique. Les mots ne faisaient aucun sens. Certains étaient constitués uniquement de consonnes. Les données étaient codées, et j'avais répandu la matière grise du seul homme capable de les lire sur les murs.

On a rien pu tirer du fou. J'ai essayé de le faire se lever en le tirant, de le convaincre, et même, exaspéré par son absence de réaction, je lui ai mis des claques. Il n'y avait plus rien à faire pour lui, alors la Rouquine m'a emmené dehors, et on a abandonné cet homme à une mort certaine. La blessure de Che n'était pas profonde malgré la présence abondante de sang sur ses vêtements. La balle avait traversé son bomber, puis son gilet pare-balle, avant de s'enfoncer dans la chair sur moins de deux centimètres. De fait, elle n'avait touché ni organe, ni artère,ni os, terminant sa course dans du muscle. Phoenix n'a eu aucun mal à extraire le plomb, puis elle a nettoyé la plaie et l'a recousue et a ajouté des sutures adhésives. Ensuite elle lui a donné des antibiotiques et des antalgiques, et notre Che était plus ou moins sur pied. Quand la Rouquine et moi sommes arrivés, elle commençait à lui faire un bandage pour s'assurer que la compresse, même maintenue par du sparadrap, ne bougerait pas.

« Comment tu te sens, camarade ?»

« Comme un lendemain de cuite. » Il s'est forcé à sourire mais il était évident qu'il était dans les vapes. La chute d'adrénaline avait dû être brutale. Phoenix m'a quand même souri pour me rassurer.

« Je suis pas médecin, mais il devrait pas y avoir de complications. Je vais garder un œil sur lui quand même, et on devrait éviter les mauvaises rencontres quelques temps. »

Je lui ai tapoté le sommet de la tête et j'espérais qu'elle trouverait ça affectueux et non condescendant. J'avais senti dans sa voix qu'elle m'en voulait encore pour l'attaque dans le fourgon, et je comptais bien me faire pardonner. Mais on avait pas vraiment le temps. J'ai rapidement fait mon rapport au reste du groupe.

« Le gars qu'on a abattu était notre contact. Il est mort, 100%, rien à en tirer. Il y avait un autre gars, en état de choc et muet comme une tombe. Rien à en tirer non plus. » Hack a cherché confirmation du regard auprès de la Rouquine, qui a juste secoué la tête. « On a trouvé ça, sur le prof. C'est un carnet codé. J'arriverai peut-être à le déchiffrer, mais ça prendra du temps. » Hack a soupiré apparemment un peu perdu quant à la suite de la mission. « Et puis il avait ça. C'est une carte de la région. De prime abord, elle ressemble beaucoup à la nôtre, mais il y a des symboles que je n'arrive pas a identifier. »

 « Ils n'ont pas dû rester dans ce village uniquement. Notre employeur a précisé qu'il avait dû établir un camp de base au plus près de ses recherches, mais on a rien trouvé. » Il m'a regardé pour que je confirme,et a pris mon silence pour une affirmation.Ensuite il a posé les deux cartes côte-à-côte. Il était intéressant de voir que les poches de radioactivité ne se trouvait pas exactement au même endroit. « Les symboles, là, c'est quoi exactement ? » Je lui ai répondu qu'il s'agissait de caractères en cyrilliques. « Des lettres? Peut-être des initiales. C'est quoi les lettres pour camp? Ou base? Ou maison,peut-être. » J'ai vu où il voulait en venir, alors je lui ai pointé un К, un Б, et un М. Aucune des locations ne semblaient vraiment appropriées à l'installation d'un camp. Alors j'ai cherché sur la carte un caractère bien spécifique. « Là, leД. "Дом", pour maison. » Hack a souri, apparemment satisfait de mon hypothèse. Le lieu était à quelques kilomètres seulement, sans poches de radioactivité entre lui et le village, ni sur leur carte ni la nôtre, et elle se situait entre les collines et la forêt. « Enfoiré de linguiste !» Il a remballé les cartes et a fait monter tout le monde dans le fourgon.

DESabusésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant