" Et les heures sont des secondes "

195 8 0
                                    

« Mec je te jure que t'es bizarre » m'affirma l'autre trou du cul de Ken.

Ça faisait trois semaines que j'affirmais au crew que je n'étais ni défoncé, ni déprimé, que j'avais de l'inspi par un miracle divin mais ça ne suffisait pas, ils pensaient tous que je me shootais à quelque chose, licite ou non.

Nek et Sneazz penchaient pour de la blanche, les autres pensaient que j'avais juste un peu trop abusé des boissons énergisantes.

Pourtant, ils étaient tous tellement loin du compte. Je n'étais pas défoncé, j'étais reboosté mais difficile de dire à ses potes que c'est une foutue comédie musicale de gonzesse qui nous a déter à charbonner pendant des jours, sans sortir du stud, sans passer pour l'homo que je ne suis pas.

« Putain Nek mais laisse tomber, je te dis que ça va merde ! »

Ouais j'avoue, sur le coup je me suis un peu énervé pour rien mais ça faisait quelques jours qu'il ne me lâchait plus, me suivait limite jusqu'aux chiottes pour voir si je pissais pas de la poudre. Bref, Nek était lourd, pire que mon daron quand j'étais ado et que je séchais.

Je me suis levé d'un bond et je suis sorti fumer une cigarette, une blonde, comme ça Nek n'allait pas me demander si je ne m'étais pas roulé un petit bédo à l'avance. Putain ce mec c'est mon reuf mais dans le genre mère poule, on ne fait pas pire.

J'avais fait des conneries avec lui, des dangereuses, des un peu stupides mais il me connaissait, si j'avais un problème je lui aurais dit, c'est la famille putain.

Et puis sérieusement, moi carburer à la blanche ? Non merci. Les bédo je dis pas, la blanche c'est un game dans lequel je n'avais pas envie de jouer.

Je regardais les passants, tous déprimés, normal, ce sont des parisiens. Ils ne me regardaient pas, n'apercevaient même pas mon regard les suivre, comme si j'étais un poteau électrique de plus. Personne ne fait attention au gars en jogg, qui a l'air d'avoir besoin d'une bonne douche ( et pour cause putain, je commençais à sentir le mort ), qui trafique sûrement des « substances illicites » que ces gens de bonne famille ne voudraient absolument pas retrouver dans la table de chevet de leurs chers petits chérubins.

Les vieux me font rire, ils m'ont toujours fait rire. Ils croient que le jogging fait le dealer et la cravate le futur avocat. Ils pensent tous que les rappeurs n'ont même pas le bac, qu'ils ne savent qu'insulter dans leurs « musiques de délinquants » et tourner des clips avec des meufs à oilp.

J'avoue que Nek n'avait pas aidé en tournant des clips avec des meufs pas franchement sapées mais c'était plus un délire qu'une vision réductrice de la femme. Y avait qu'à regarder les clips d'Antoine pour comprendre qu'on aime les femmes, ah ça oui on les aime et on les respecte.

Les vieux oublient parfois qu'on a tous une maman et pour ceux d'entre nous qui ont été élevés par elle, on reconnaîtra toujours sa valeur et on ne rabaissera jamais la femme, juste par respect pour celle qui, en plus de nous avoir donné la vie, nous a aussi donné de l'amour et une éducation.

Pour ma daronne j'avais même été prêt à aller voir Grease, la comédie musicale la plus niaise que je n'ai jamais vu ( et aussi la seule en fait ), c'est dire.

Je jetais mon mégot, soufflais un coup et remontais dans le stud. Nek me regarda étrangement mais ne fit pas un commentaire. En même temps on avait transformé le stud en aquarium depuis longtemps et là j'avais fait ma diva en allant fumer dehors mais j'avais juste besoin de prendre l'air.

« Mec ton portable a sonné pendant que tu fumais. »

Ton sec mais le message était passé. Je regardais mon iPhone qui était tellement pété qu'allumer l'écran était devenu une véritable guerre. Il allait vraiment falloir que je le remplace un de ces quatre.

Je regardais le dernier appel. Numéro inconnu au bataillon qui avait laissé un message.

« Bonjour M. Burbigo, ici Gilles Pélission, PDG de la chaîne TF1. Je vous contacte afin de confirmer votre venue dans le Quotidien avec Yann Barthès ce soir. Merci de me recontacter afin que nous voyions les détails. »

Clair, net et précis. Ce mec ne s'embarrassait jamais de formules de politesses excessives et c'est la raison pour laquelle j'avais fini par céder et lui accorder mon interview avec Yann Barthès sur la 10.

Je rappelais rapidement le PDG pour lui confirmer ma venue et il m'indiqua qu'il serait souhaitable que je sois là pour 17h30 et par « souhaitable » j'avais bien compris qu'il valait mieux pour mes petites fesses. Ce mec là savait comment faire d'une phrase simple un ordre à peine masqué.

Je ne connaissais pas les autres invités et en réalité, ça ne m'intéressait pas des masses.

Je tcheckais l'heure, 16h30. C'était la merde. Il fallait que je rentre, que je me douche, que je bouffe et que j'aille aux stud de TF1.

Je saluais vite fait Nek qui faisait toujours la gueule et rentrais direct chez moi.

Le problème quand tu habites à Aubervilliers mais que ton stud ne se trouve pas à Auber c'est que le trom et le RER sont inévitables. Le problème avec les transports en commun c'est qu'il y a des « heures de pointe », là où tous les pingouins cadres dans une entreprise pourrie et les gosses prennent les transports en commun au même moment.

J'ai donc dû laisser passer 2 trom avant de pouvoir monter dedans et j'ai eu un RER de justesse. J'avoue que quand je suis arrivé chez moi, j'étais heureux. Puis j'ai regardé l'heure, 16h53, et là j'étais beaucoup moins soulagé.

Après avoir pris une bonne douche, avoir mis un col roulé et un jean histoire de dire que j'ai fait un effort, il était 17h13. Impossible de me faire à manger sinon j'étais en retard donc j'ai pris ma bagnole et je suis parti le ventre vide pour les stud.

Putain je savais que j'allais le regretter.

IncendioOù les histoires vivent. Découvrez maintenant