Les secondes défilent et dans chacune d'entre elles, je maudis le fait d'avoir ouvert cette porte et d'être tombée nez à nez avec mon père. Le silence règne et aucun de nous deux n'est décidé à prendre la parole. Pour ma part, je suis trop occupée à le détailler de la tête aux pieds. Alvaro Baker est un bel homme d'une quarantaine d'années, le teint clair, les cheveux noirs impeccablement coiffés et de magnifiques yeux bleu clair, une mâchoire parfaitement carrée.
En le regardant attentivement, je remarque des traits de ressemblance, que je ne voyais pas chez ma mère.
Pourquoi est-il venu me chercher ? Ne pouvait-il pas se dire que je ne voulais pas le rencontrer ? Même si d'une certaine manière j'aurais été obligée de m'y rendre si c'était Aiyana qui se trouvait à sa place. Mais non, il a fallu que lui-même vienne me chercher. Qu'il nous impose ce face à face malaisant. Nous restons comme ça encore quelques secondes supplémentaires, puis finalement il se racle la gorge, passe sa main sur sa barbe naissante et plonge son regard dans le mien.
— Humm, commence-t-il, tendu. Je venais voir si tout se passait bien !
Conclut-il de sa voix grave. « S'inquiète-t-il pour moi ? » Je dois me faire des idées, il n'a jamais cherché à me rencontrer en dix-huit ans d'existence. Ce n'est pas maintenant qu'il va s'inquiéter pour moi, je ne suis qu'une inconnue à ses yeux.
— Aiyana est venue tout inquiète à mon bureau, car tu ne répondais pas malgré les nombreux coups qu'elle a donnés à ta porte.
Même elle qui ne me connait que depuis peu s'inquiète déjà pour moi, comparée à toi, mon père !
— Et toi ? les mots sortent de ma bouche naturellement, le besoin de savoir ce qu'il pense de moi est plus fort que moi. Étais-tu aussi inquiet ?
Nos regards se croisent, et une fois encore notre ressemblance est très frappante. Une vague d'émotion me submerge soudainement, toutes les questions que je me posais étant petite me reviennent en tête. Pourquoi n'est-il pas à mes côtés ? Ne voulait-il pas de moi ? Connait-il mon existence ? Et surtout est-ce que nous nous ressemblons ?
Ces questions, je ne sais combien de fois je me les suis posées.
— Bien sûr que je me suis inquiété ! répond-il offusqué. Je ne sais pas comment tu me vois Shenoa, mais je ne suis pas le monstre que tu penses que je suis.
Il balance ses dernières paroles avec tant de chagrin, que je reste un moment surpris. De quoi parle-t-il ? Et pourquoi ces mots ont-ils l'air de lui faire mal ? Je n'ai pas le temps de me poser d'autres questions, qu'il enchaine aussitôt.
— Moi aussi j'ai été trompé...
Je peine à entendre la fin de sa phrase qu'il a tout simplement chuchotée.
Qu'entend-il par-là ?
Je ne cherche pas à savoir, d'ailleurs je ne suis même pas sûre de ce que j'ai vraiment entendu. Le silence tombe à nouveau et j'ai juste une seule envie. Fermer cette porte et ne jamais en ressortir. Toute ma vie, j'ai détesté cet homme pour l'abandon et maintenant, il essaye de me faire comprendre autre chose. Non... non... non ! Je pense tellement fort que j'exécute mes paroles en les reproduisant avec ma tête.
Je relève la tête déterminée à le congédier, quand il me tend au même moment une grosse enveloppe, que je n'avais pas remarquée jusqu'à maintenant.
— Tu trouveras toutes les informations dont tu auras besoin, pour commencer les cours demain. J'attrape l'enveloppe sans un mot et baisse ma tête vers mes pieds. Je retourne à mon bureau, si tu as besoin de quoi que ce soit tu sais où me trouver. Aiyana viendra te chercher pour le repas de ce soir, tâche de lui répondre cette fois-ci.
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SHENOA
FantastikJe dois tout laisser, abandonner mon monde, rompre tout contact avec elle. « Tu es, et tu seras très forte » me répétait maman. Mais dans ce monde-ci, je me rends compte que je ne serai jamais aussi forte qu'eux. Ce sentiment inconnu, qui ne fait qu...