Chapitre 2 : de laine ou de coquelicot

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Martin observait de loin le docteur Barthès entrain de grimacer, il était adossé contre le mur de l'entrée de la salle de pause et semblait souffrir le martyr. Devait-il lui demander de ses nouvelles ? Ses jambes se décidèrent à sa place mais quand il arriva à hauteur du beau médecin, il entra directement dans la salle sans rien dire, son courage venait de lui échapper totalement, en un simple claquement de doigt. Et comme si cela ne suffisait pas, Julien sortit de la pièce au même moment et contrairement à lui, il ne se dégonfla pas.

- ça va pas Yann ?

Au lieu de prendre une chaise et de s'installer à table au centre de la pièce, Martin se dirigea à dessein du côté gauche où se trouvait le frigo afin de mieux entendre la conversation des deux hommes, il était vraiment idéalement placé sans pouvoir se faire repérer, c'était tout bénef' pour lui.

- si, juste un peu mal dans le bas du dos. C'est rien. Ça doit être l'âge.

Le jeune interne pouvait entendre d'ici le sourire dans la voix du poivre et sel et il se sentit fondre intérieurement. Un brillant médecin qui se dépréciait de la sorte en faisant preuve d'autant d'humour, Martin trouvait cela des plus charmants.

- je peux te faire un massage si tu veux, je suis plutôt doué. Du moins, personne n'est venu se plaindre jusque-là.

Martin leva les yeux au ciel, décidément ce lourdaud de Julien ne changerait jamais, il ne pouvait pas laisser le docteur Barthès tranquille. Et même si elle l'agaçait, cette apparente familiarité avec laquelle il s'adressait à son supérieur ne le choqua pas, tout le monde se tutoyait ici, les gens de cet hôpital formaient une véritable famille.

- non c'est bon, ça va passer merci.

Cette réponse des plus polies mais ferme ravit totalement Martin qui put aller se restaurer en toute tranquillité à présent, l'esprit beaucoup plus léger qu'auparavant.


Comme à son habitude, Martin était toujours ravi d'en apprendre un peu plus sur la vie du docteur Barthès mais bien mal lui en avait pris ce jour-là de tendre l'oreille lors d'une conversation privée entre le beau médecin et le docteur Oberti alors qu'ils analysaient tous les deux une radiographie de l'autre côté du mur où le jeune interne se trouvait.

- c'est vrai que c'est toujours sympa un petit week-end en amoureux.

La voix du docteur Oberti était enthousiaste, elle avait l'air absolument ravi pour son ami alors que Martin sentait son cœur se briser en mille morceaux dans sa poitrine. Autant dire qu'il aurait largement préféré que les révélations sur le beau médecin en restent là, mais non, le destin s'acharnait encore à piétiner son cœur, pour de bon cette fois.

- attends, 8 ans c'est les noces de laine c'est bien ça ?

- non, c'est 7 ans les noces de laine, 8 ans c'est les noces de coquelicot.

Comment le docteur Barthès pouvait être si calé sur le sujet ? Parce qu'il était le premier concerné, forcément, il ne pouvait pas en être autrement. Martin accusa durement le coup, il devait se rendre à l'évidence, le docteur Barthès ne portait peut-être pas d'alliance mais il était bel et bien marié, depuis huit longues années en plus. Il se prit cette claque en pleine face, toute histoire avec le titulaire était donc avortée avant même d'avoir commencé, son rêve venait d'être anéanti en quelques secondes à peine.


Ce soir-là, Martin s'apprêtait à rejoindre les vestiaires hommes quand une main complice se posa sur son épaule dans les couloirs de la clinique.

- ah tu tombes bien c'est justement toi que je cherchais !

C'était ce grand frisé de Vincent qui venait de s'adresser à lui, le jeune interne appréciait beaucoup le réceptionniste, il était le remède parfait à toute journée pourrie passée ici et dans un endroit pareil, ce n'était pas ce qui manquait malheureusement.

- j'ai checké le planning et j'ai vu qu'on terminait à la même heure ce soir, ça te dérange pas de me ramener chez moi ?

- t'habites où ?

- dans le quinzième et toi ?

- dans le onzième. Par contre, faudra juste que tu me dises par où je dois passer pour revenir chez moi parce que le sens de l'orientation et moi, ça fait deux.

- t'en fais pas. Je serai ton GPS humain. Pfff j'te jure comment c'est trop chiant, ma voiture est au garage pour la semaine donc je suis obligé de venir mendier tous les jours auprès d'un interne ou d'un titulaire, et voilà qu'aujourd'hui ça tombe sur toi !

- c'est que j'en ai de la chance dis-donc.

Le sourire aux lèvres, Martin remarqua que Vincent portait déjà ses habits de ville, contrairement à lui.

- je me change et je te rejoins derrière d'accord ?

- ça marche. À tout' !

Leurs chemins se séparèrent ainsi et quand Martin poussa finalement la porte de la sortie de derrière, quelle ne fut pas sa surprise de retrouver Vincent en grande conversation avec le docteur Barthès, un bonnet rouge sur la tête et une cigarette en bouche.

- un week-end à Florence pour leur 8 ans de mariage, carrément ? Moi le truc le plus cher que j'ai offert à mes parents c'est une bougie de cinq euros en revenant de chez Disney !

Un week-end en amoureux. Les 8 ans de mariage. Martin fit vite le rapprochement. Tout collait. Alors que le docteur Barthès riait encore à la blague de son ami, le jeune interne poussa un énorme ouf de soulagement dans sa tête, le poivre et sel n'était pas un homme marié, tout n'était pas perdu, il avait encore ses chances, si tenté qu'il ait enfin le courage de faire le premier pas, un jour peut-être, qui sait ?

- Martin ?

Son prénom. Dans la bouche du beau médecin. Un son tellement doux à ses oreilles. Son cœur battait la chamade alors que son interlocuteur le fixait toujours dans l'attente d'une réponse de sa part parce qu'il avait tendu son paquet de cigarette dans sa direction.

- non merci, c'est gentil mais j'essaie d'arrêter.

- je sais pas comment tu fais, moi j'ai jamais réussi.

Son aveu se fit alors qu'il venait de ranger son paquet de clopes dans la poche de sa veste et avait passé une main rapide dans ses cheveux, la respiration de Martin se coupa, il était encore plus irrésistible avec ses quelques mèches grises en désordre et Dieu qu'il sentait bon la fleur d'oranger, les narines du jeune interne étaient aux anges.

- c'est pas mon premier essai non plus.

- dans ce cas, je croise les doigts pour toi.

- merci.

Le rose monta vite aux joues du brun qui baissa aussitôt le regard afin de ne pas en dévoiler trop, il avait bien failli se perdre dans le gris de ces yeux si expressifs qui lui faisaient face.

- ouais moi aussi, je te dis merde Martin !

Vincent posa une nouvelle fois une main énergique et complice sur son épaule et l'intéressé lui adressa un grand sourire en retour.

- je prends !

- ah oui, au fait Yann, je voulais te demander, quand on va dans le quinzième, pour revenir dans le onzième, est-ce qu'on est obligés de repasser par la clinique ? Parce que Martin me ramène chez moi ce soir et il connaît pas très bien la route.

Le sourire du principal concerné disparut aussitôt, une gêne immense venait de s'emparer de lui, Vincent venait bien de l'afficher éhontément devant le docteur Barthès ? Il n'avait pas rêvé ?

- ouais, je crois, moi aussi faut que je fasse dix fois minimum le même chemin pour m'en souvenir.

Le poivre et sel lui lança un regard rassurant et Martin en eut des papillons dans le ventre, plus il discutait avec le beau médecin, plus il en apprenait sur lui et plus son faible pour lui grandissait, ce n'était plus qu'un simple crush, non, c'était beaucoup plus sérieux que ça, il était foutu, fou-tu !

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