La maldita

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Augur était dans les bras de sa mère. Elle, sa maman, pleurait. Elle le berçait inutilement. Elle lui chantait des chansons. Les mêmes chansons qu'elle lui avait si longtemps chantées. Avant ça. Elle n'arrivait pas à accepter cela. Elle n'arrivait pas à accepter sa mort. Et puis elle pleurait. Elle pleurait vraiment beaucoup.

À l'autre bout de la pièce, à moitié caché derrière la porte entrouverte, Sidoine regardait Aïllette. La pauvre petite n'avait plus bougé depuis la macabre découverte. Elle était à genoux, encore, son maigre et infanticide bouquet au bout des doigts. Si la mère pleurait, Aïllette pleurait aussi ! Et ses yeux rouges gonflés trahissaient toute sa culpabilité sincère de petite fille.
Si seulement elle ne lui avait pas fait respirer cette fleur ! Pourquoi l'avait-elle fait d'ailleurs ? Qu'est-ce qui lui avait pris ?

Elle sentit tout à coup un regard sur elle. Son frère ne la quittait pas des yeux. Elle, elle le regarda avec le plus grand désespoir du monde. Elle le vit. Elle reconnut des yeux tranchants, scrutateurs. Elle vit tout à coup une chose à laquelle elle ne s'attendait pas: ce qui brûlait ainsi dans les yeux de son frère, c'était de la haine.

La mère d'Aïllette eut soudain un mouvement de surprise. Elle se mit à crier, comme si elle n'arrivait pas à croire à ce qu'elle voyait.
- Augur ? Augur? Oh mon petit, qu'est-ce qui t'arrive ? Ça va va aller, maman est là. Ça va aller !

Aïllette leva les yeux et crut ne pas pouvoir croire ce qu'elle voyait. Son plus petit frère semblait aller beaucoup mieux. Elle vit le linge qui l'enveloppait se mettre à bouger. Il poussa même un petit gémissement.
Augur était vivant ? Elle l'avait pourtant vu affreusement défiguré ! Sa mère continuait de lui parler, de le bercer, de caresser sa joue. Elle pleurait et en même temps elle semblait soulagée.
- Ça va mieux, tu vas mieux. Maman est là, elle ne te laissera plus toute seule.
D'un regard sombre, elle demanda à Aïllette de partir hors de sa vue. Puis elle quitta la maison en emportant le petit frère d'Aïllette dans ses bras. Sidoine les suivit sur un geste vif de sa mère. La porte de la maison se referma sur Aïllette et plongea la jeune fille dans l'ombre noire de la culpabilité.

Elle partit longtemps.

La nuit était tombée à présent. Aïllette avait disposé les assiettes et tranché le pain qui restait. Elle attendait le retour de sa mère et de ses deux frères. Elle ne comprenait pas non plus pourquoi son père n'était pas encore rentré.

Elle alla récupérer du linge à repriser et se mit au travail. Sur la table le pain tranché, bien qu'un peu vieux, lui faisait terriblement envie. Elle avait une faim terrible, mais sa culpabilité fut un temps plus forte. Elle se remit au travail, en silence. Pendant un temps, elle ne pensa plus qu'à son aiguille.
Où étaient ses parents ? Qu'était-il arrivé à Augur ? Qu'avait-elle fait de mal ? Et cette haine dans le regard de son frère... Était elle mauvaise ? Était-elle maudite ?
La fraîcheur du soir commençait à devenir franchement inquiétante et c'est ce qui la fit oublier ses travaux d'aiguille. On racontait toutes sortes de légendes sur les terrifiants spectres noirs qui sévissaient alentour. On lui avait dit que c'était la mort elle-même qui habitait les abords du village la nuit.
Aïllette eut un frisson: elle avait faim. Et de nouveau, ses yeux retombèrent sur le pain posé sur la table.
Elle n'avait qu'à manger un petit bout, le temps qu'ils arrivent. Elle se leva et saisit, l'esprit traversé de sourdes inquiétudes, une tranche de petite taille. Il lui sembla entendre un cri dans le lointain. Aïllette déglutit avec difficulté. Et soudain elle entendit un nouveau bruit. Cette fois-ci, elle le reconnut immédiatement: c'était la porte d'entrée qui s'ouvrit en grand!

Des silhouettes se découpèrent dans un fond blafard, bordé d'un clair de lune inquiétant. Leurs voix étaient vives. Une voix sombre et montante inquiéta surtout Aïllette. Elle parlait avec véhémence. C'était la voix d'un devin qui habitait une maison perdue non loin d'ici.

- vade, tu Damnata ! S'exclama le devin.
- tu n'es plus digne d'être notre fille ! lança sa mère avec furie.
- vade, Vade, tu Damnata ! Répéta encore le devin.
- tu es maudite, mauvaise, vicieuse ! s'exclama son père, sa hache de travail à la main
- tu dois partir, articula le devin avec difficulté et un fort accent étranger. Tu es la maldita. Ta parole est un serpent qui tue la main qui voulait le caresser. Tes parents ont longtemps observé avec toi la bienveillance des hommes de bon cœur. Il est temps qu'ils te regardent avec mépris, comme la servante du démon, celle qui a empoisonné leur fils !
-nous ne te connaîtrons plus ! trancha son père. Vois ce que tu as fait !
Alors son père fit approcher Augur.... et Aïllette ne put s'empêcher de reculer d'horreur! Elle ne reconnut pas son petit frère. Sa peau semblait affreusement tannée et vieillie. Il semblait souffrir de chaque mouvement. Il avait l'apparence d'un nourrisson vieillard. Mais le plus étrange était l'abondance d'amour et de pitié que ses parents parvenaient encore à lui prodiguer.
Il fallait se rendre à l'évidence. Elle était responsable de cette horrible mutation. Elle ne parvint même pas à réprimer un frisson de honte.

- ton prénom sera synonyme de damnation éternelle et tu mourras mangée par une bête, frappée par une pierre ou par la maladie.

Céleste d'OpalescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant