« Espèce de voleur ! » Cela faisait la sixième fois -au moins !- que Sidoine récupérait les épis de blé de sa sœur Aillette.
« Qu'est-ce qu'il y a pour votre service ma petite dame ? » Sidoine avait pris une grosse voix de gendarme. Il effectua un salut militaire. « Au service du moindre de nos sujets ! » et il se mit à courir.
« Ah oui ? Je vais te faire manger de la paille » Armée d'une poignée de tiges, elle tenta de lui courir après. Mais c'était peine perdue... Sidoine était déjà loin. Malgré ses sabots, il courait vite, surtout quand il s'agissait de faire des mauvais coups. Elle n'aurait plus ses épis.
Et puis de toute façon ce champ commençait à être fini, et puis la nuit tombait. Aillette se sentait lasse et elle avait très faim. Mais elle ne pouvait pas rentrer sans rien du tout. De guerre lasse, elle ramassa son fichu de tissu, traversa un buisson et se retrouva dans une prairie... dans un coin un peu plus ombragé, poussaient quelques orties. Elle en ramassa une brassée et se mit à cheminer vers la maison. Son frère devait déjà être rentré.
Au détour d'un sentier, l'horizon s'offrit tout à coup. Belle comme une mélodie, la composition visuelle de son village semblait lui jouer une berceuse grandiose, à grand renforts de souvenirs. Bien sûr, elle connaissait chaque note de cette symphonie. c'était le spectacle de chaque jour. Et pourtant, ce soir encore, il parvint à émouvoir la jeune fille.
Sa mère se tenait auprès de l'âtre. Dans ses bras, son plus jeune frère, Augur était dans les bras de sa mère, recevant sa tétée. Des reflets d'or et de bleu couraient sur les courbes potelées de son tout petit visage, dessinant quelques formes fantasmagoriques.Aïllette lui trouva un air étrangement calme, comme absent.
« Tiens-le moi, ma fille. Et tâche de le ménager. Il a l'air très fatigué. J'ai peur qu'il nous couve quelque chose. »
Sa mère s'éloigna pour aller demander un fond de bouillon chez la voisine.
Augur semblait très pâle en effet. Il ne bougeait plus beaucoup. Aïllette le déposa sur la table et approcha quelques-une des fleurs qu'elle avait cueillies en face de son visage. Augur ferma les yeux. « La fièvre commençait à battre... » songea Aïllette. « Son front est en sueur... ». Elle songea qu'il aurait été bon de lui passer un linge propre autour du visage. Aïllette avait déjà observé ce geste bon nombre de fois chez sa mère. Comme elle cherchait dans le coffre, elle entendit soudain son frère se débattre et pousser des gémissements de douleur très rapides. En un instant elle revint avec son linge, mais elle ne put essuyer le visage de son frère : il battait des pieds, pleurait franchement à présent et poussait par moments des sifflements de respiration franchement inquiétants. Cette fois Aïllette sentir son cœur s'emballer. Qu'arrivait-il à son pauvre frère, tout à coup ? Son regard tomba sur le bouquet de fleurs des champs qu'elle avait cueilli. Mais elle n'eut pas le temps de pousser sa réflexion plus loin : son frère semblait ne même plus réussir à pleurer.
« chuuuut, chuuuut.... Caaalme.... Voilà » hasarda Aïllette en promenant ses mains autour des vêtements de son petit frère, comme elle le pouvait, comme pour ramener inutilement les pans de sa toute petite tunique. Mais ses mains la trahissaient tout à fait. Elle tremblait comme un étang d'octobre...
Le combat contre la fièvre prenait des allures de lutte. Son pauvre frère n'était pas de taille pour lutter contre cet ennemi qui semblait le mordre de l'intérieur, l'étouffer et l'écraser. Aïllette sentit que la situation la dépassait complètement. « Mère ? » hasarda-t-elle une première fois. « Mère ? ». Une deuxième. Puis ce fut la panique. Elle ne tint plus, abandonna son frère qui de toute façon ruait presque comme le diable et se précipita hors de la chaumine. Où pouvait bien ere sa mère ? Pourquoi ne venait-elle pas ? Savait-elle pour Augur ? Le savait-elle condamnée ?
Aïllette n'osait plus se retourner maintenant qu'une autre voix semblait sortir du corps de son tout petit frère, une voix poussant des cris surnaturels...
Sa mère revenait à la hâte, un broc à la main. Ses traits étaient sévères et couvaient la colère. Elle devait avoir entendu ses appels. « Qu'est-ce qui se passe encore ? Je ne peux pas te laisser cinq minutes, non ? »
- c'est Augur... j'ai seulement posé une fleur contre son nez et puis... enfin... c'est horrible mère, il faut que vous voyiez cela ».
Elles entrèrent dans la pièce, qui avait pris des allures de scène de lutte. Augur était tombé de la table, face contre le sol en terre battue et du sang avait coulé, abondamment. Plusieurs pièces de vaisselle étaient tombées et quelques-une s'étaient brisées.
« Par nos dieux ! » sacra la mère d'Aïllette. « Qu'est-ce que tu as fait ici ».
La fille n'eut pas le temps de répondre que déjà la mère tenait son frère dans les bras. Elle ne le regarda qu'une seconde, le repoussa sur le sol en poussant un hurlement d'horreur.
Pétrifiée, Aïllette laissa tomber ses yeux sur le visage que venait de regarder sa mère. Elle crut qu'elle ne pourrait plus jamais trouver le sommeil de toute sa vie.
À ses pieds, le visage de son frère la regardait, dans un ultime hurlement fixe et silencieux, comme encore habité par la haine. Et tout le sang répandu sur le sol semblait avoir coulé de sa bouche.
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Céleste d'Opalescence
FantasíaDans le monde d'Opalescence, des humains ont gardé le don de pouvoir communiquer avec la nature. Céleste est l'aînée d'une famille prestigieusement connue pour sa maîtrise du chant des plantes. Mais tout bascule un soir de pleine lune...