Cela faisait maintenant plusieurs heures au moins qu'Aïllette avait attendu le retour de ceux qu'elle avait jusqu'à présent appelé ses parents. Plusieurs heures qu'elle avait mangé ce dernier petit bout de pain. Plusieurs heures enfin que, frappée par son père, chassée par le devin et par les hurlements de sa mère, elle avait dû quitter cette maison qu'elle considérait comme la sienne.
Aïllette pleurait de toutes les larmes de son corps. Elle grelottait car elle n'avait sur elle qu'un fichu de laine et une robe de gros drap. Elle était terrorisée. Elle pensait qu'elle allait mourir. Et il est vrai que les légendes qui la faisaient tant frissonner étant enfant avaient raison sur un point: les gens mourraient souvent, très souvent même, lorsqu'ils se perdaient dans ces forêts de montagnes escarpées, aux rochers glacés et suintants de pluie. Nombreux étaient les corps de voyageurs abandonnés par la vie qu'elle et sa famille avaient retrouvés, inhumés et dépouillés, en guise de maigre salaire pour leur peine.
Aussi Aïllette ne se fit-elle aucune illusion. Le froid la tuerait plus sûrement que le légendaire esprit de la mort.
Elle se sentait résignée, glacée. Épuisée aussi.Elle se laissa tomber à genoux sur le sol gelé comme un rocher et attendit sa fin. Le froid se communiqua lentement à elle, centimètre après centimètre. C'était comme une présence qui naissait en elle. Comme le terrible secret de la mort que lui offrirait ce sol inhospitalier. Le froid, c'était l'oubli de ses peines, la magique délivrance de sa vie. Le pardon même pour son horrible action. Elle réprima un sanglot: c'était sa faute! Elle n'avait pas le droit de défigurer ainsi son frère! Nul doute qu'elle payait là ses mauvaises actions et ses bêtises d'enfant! Elle sentit lentement la perte de ses possibilités de mouvement. Elle se consola en se disant qu'elle devenait elle même une pierre, grise comme son fichu, bleuie comme ses lèvres.
Elle sentit son cœur ralentir. Elle l'écouta avec amour, car son cœur fidèle avait toujours été de son côté et ne l'avait jamais trahie. Elle sentir son cœur faiblir. Elle sentit son cœur trébucher, claudiquer.
Puis mourir.
Elle ressentit comme un délicieux soulagement. Un soupir s'échappa de ses lèvres. On aurait presque pu le deviner hésitant de quitter ce corps chaud pour une montagne aussi glacée. Puis une bourrasque violente de vent emporta ce soupir ailleurs.
Et ce fut fini.
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Céleste d'Opalescence
FantasíaDans le monde d'Opalescence, des humains ont gardé le don de pouvoir communiquer avec la nature. Céleste est l'aînée d'une famille prestigieusement connue pour sa maîtrise du chant des plantes. Mais tout bascule un soir de pleine lune...