Les fenêtres ouvertes, cheveux au vent et mèches rebelles collées au visage, je file à tout allure, le pied écrasé sur la pédale d'accélération. La jeep, suivant la forme de la route, serpente au cœur de l'immense forêt de conifères qui abrite plusieurs meutes de loups.
Je n'ai qu'une chose en tête, m'éloigner le plus vite possible de ce paysage familier, mettre le plus de distance entre moi et ceux que j'aime.
La journée est bien avancée, le soleil commence tout juste sa douce descente. Dans quelques heures il laissera place a une immense lune, bien ronde. Mais pour le moment, il brille dans le ciel, il commence à faire fondre la neige délicatement posée sur les branches des pins et sapins. La route elle, est complètement dégagée.
Cette région, habituée à recevoir la neige, ne voit néanmoins ses paysages recouverts de blanc pendant bien longtemps. Le climat est doux et humide du fait de la proximité de l'océan. D'ici quelques semaines il n'y aura plus aucune trace de ce manteau immaculé.
J'arrive à un croisement. J'arrête la voiture au stop. Une nationale vient couper la route sur laquelle je suis. De nombreuse voitures y circulent en tout temps. Lorsque je le peux enfin, je m'engage sur la route, en tournant sur la gauche. Je prends la direction de la côte, comme à mon habitude.
Après trente bonnes minutes passées à doubler les voitures, par la gauche ou par la droite, sur la Nationale, je prends une sortie sur ma droite. C'est alors que j'emprunte de petites routes très peu fréquentées. Je dépasse plusieurs petits villages, enfin si on peut les nommer ainsi, il s'agit plutôt de regroupements de quelques habitations.
J'arrive sur une longue route qui longe une falaise très escarpée qui surplombe une mer houleuse. Pendant plus d'une heure je longe la côte, il n'y a plus aucun signe de vie. Je commence à ralentir, la mer à ma gauche, quelques arbres sur ma droite, je vais me garer entre eux.
Je coupe le contact, les mains agrippées au volant, j'entreprends de faire les exercices de respiration qui arrivent parfois à me calmer. Après quelques minutes, j'attrape mon sac à dos et sors de la jeep. Je ferme la voiture puis fourre les clés dans ma poche arrière.
Je sens mon cœur battre à tout allure dans ma cage thoracique, mon sang bouillir dans mes veines, mon cerveau tambouriner de plus en plus fort contre mon crane. Encore plus angoissée et tourmentée par ces signes qui manifestent l'état sauvage dans lequel je vais être ce soir, j'entreprends ma longue marche.
J'emprunte une chemin très rocailleux qui serpente le long de la côte. La mer, déchaînée aujourd'hui vient s'abattre contre les parois de la falaise et sur les gros rochers noirs présents sur la plage. Mes poils se dressent sur mes bras, je suis parcourue d'un immense frisson. Je presse le pas.
Je me mets à courir, après de très longues minutes à avoir longé la mer, je continue sur la dune de sable noir, m'éloignant de plus en plus de ces flots enragés. Cette étendue de sable s'étend sur plusieurs kilomètres à perte de vue. Je mets une vingtaine de minutes à les parcourir. Essoufflée, je ralentis légèrement, le souffle chevrotant, je relève la tête. Les brindilles, les buissons d'oyat, se courbent sous la puissance dévastatrice du vent. À quelques mètres devant moi, aux pieds de petits arbustes à baies, la dune dessine une légère montée que j'entreprends de gravir. Me déplacer dans le sable à une telle vitesse est une opération délicate. Le souffle court, les cheveux collés sur la nuque, je continue ma course. Après avoir escaladé cette longue montée, je fais de nouveau face à la mer. Mais celle-ci est beaucoup plus basse que précédemment, au bord de la falaise, je surplombe cette étendue grise de plus de vingts mètres.
Pendant quelques secondes je reste à contempler le vide. Je relève finalement légèrement la tête et mon regard vient se poser sur un gigantesque morceau de roches et de terre, incliné en plein milieu de l'eau. Il s'agit d'un bout de la falaise, qui quelques années auparavant, s'est décrochée et trône à présent au milieu de la mer à plusieurs mètres de son lieu d'origine.
Je recule de quelques pas, prends de l'élan et, sans hésitation, cours vers l'immense bloc, et arrivée à l'extrémité de la falaise, pousse de toutes mes forces sur mes jambes. Dans un saut de géant, je franchis l'espace séparant les deux bouts de terre, et atterris sur le fragment de falaise décroché de son support. La mer fouette les pieds de l'immensité rocailleuse. Sans répit, elle s'abat encore et encore sur ce monticule noir.
Je commence ma descente, avec une certaine agilité, je réussis à descendre presque tout en bas. Les flots violents engloutissent la falaise, tout juste trois mètres sous moi. Je longe de quelques mètres sur ma droite le mur de roche noire puis m'arrête. Légèrement plus bas, il y a une entrée de grotte à peine suffisamment grande pour que je m'y faufile. Je souris et m'y engouffre.
Mon corps, sous la pression de la lune bientôt là, est pris de tremblements et n'appelle qu'à une chose. Me transformer. Mes yeux d'humaine laissent place aux yeux de la bête. Désormais, je ne suis plus aucunement gênée par l'obscurité, je m'enfonce dans la petite grotte. Je me stoppe quelques mètres plus loin. Je ne peux plus avancer, devant moi, un gouffre d'au moins cinq mètres dans lequel pénètre la mer grâce à une ouverture dans la roche. Toujours déchaînée, elle vient cogner contre les parois. La grotte lui offre un écho assourdissant.
Je pose mon sac sur ma gauche et m'assois, je n'ai plus qu'à patienter.
¤ ¤ ¤
Territoire de Liam,
le 6 Décembre à 16h39
La louve noire vient à nouveau de quitter le village comme tous les jours précédents une pleine lune.
Roméo est triste, il sait que son alpha souffre, il le ressent au plus profond de lui, dans chaque battement de cœur, dans chaque inspiration. Son être entier est en furie, il accepte de plus en plus difficilement la malédiction dont elle est affligée. Car oui il s'agit bien d'une malédiction.
Il n'a plus qu'à attendre le lendemain pour la voir réapparaître. Lorsqu'elle revient elle a toujours le même regard, fatigué, las. Mais elle arbore toujours un petit sourire en coin, signe qu'elle va "bien".
"Roméo"
L'intéressé tourne la tête vers Liam qui a mit fin à ses rêveries.
"Si ça te conviens j'aimerais que tu t'occupes des frontières avec moi cette après-midi. Tom et Arthur prendront le relais cette nuit."
L'alpha fait toujours attention à ne pas donner d'ordre au bêta de sa sœur. Il sait que ça ne plaît à aucun des deux. Roméo lui en est reconnaissant même s'il sait qu'il n'a pas vraiment le choix.
"Ouai pas de souci. Ça me changera les idées."
Liam sourit puis se transforme, suivit de près par l'autre.
Les deux loups s'élancent vers la forêt. Alors qu'ils courent vers le lac, ils entendent subitement des loups pénétrer sur leur territoire deux kilomètres à l'ouest d'eux. Des loups dont Liam ne reconnait pas l'odeur. Ils se ruent en direction du bruit.
Après une petite minute de course, ils surgissent dans une immense clairière éclairée par les rayons du soleil. Deux loups les attendent. L'un brun et l'autre gris. Un immense loup gris argenté au regard intensément vert.
Les reconnaissant, Roméo grogne et se met en position d'attaque, imité par l'alpha.
Les deux loups face à eux ne bougent pas d'un poil. Le loup brun lance un regard meurtrier vers le bêta qui fait rouler ses épaules et grogne encore plus fort.
Ne s'intéressant guère à lui, le loup gris, les yeux plantés dans ceux de Liam, lui délibère ces quelques mots:
"Je m'appelle Eros. Fils de Robert et alpha. Je suis ici en toute amitié
- Rob m'a parlé de toi. Je suis Liam. Que veux-tu ?
- Je veux juste parler. Nous avons besoin d'aide, et ça devient pressant.
- Très bien. Suivez nous."
Ni Roméo ni le loup brun n'a pu avoir accès à cet échange, le bêta est alors plus que surprit de les voir tous deux partir en direction du village.
Sans plus de cérémonie, les quatre loups filent à vive allure à travers la vaste forêt.
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La louve et la lune
WerewolfMes parents m'ont nommé Silva, un rapport avec la lune et la louve originelle je crois. Pourtant depuis ma tendre enfance, j'ai entretenu une relation chaotique avec la déesse lune, elle est responsable de mes malheurs. Morts et violence sont les m...