La louve et la lune

Chapitre 21

Bureau désaffecté, Villa d'Eros
le 14 Janvier à 3h56

Un énième coup de pied dans la mâchoire lui fait cracher du sang à nouveau. Je suis à deux doigts de la lui exploser.

Depuis une vingtaine de minutes je le frappe sans m'arrêter. Je ne lui ai pas posé une seule question. Je me défoule. J'évacue toute la rage accumulée contre lui et son espèce entière.

J'ai prévenu Eros que ça ne serait pas beau à voir. Je lui ai dit. Non, je lui ai ordonné de quitter la pièce. Il a protesté. J'ai haussé les épaules. Il m'a laissé faire comme bon me semblait.

Roméo trépigne d'impatience. Il va devoir attendre. Je dois lui soutirer les informations dont j'ai besoin et ensuite je lui laisserais faire ce qu'il veut de la sangsue.

Je le redresse brutalement, d'une main oppressant sa jugulaire je le maintiens férocement contre le mur du fond. Je penche ma tête sur le côté. L'observe en silence. Il ne baisse pas les yeux. Il ancre son regard au mien. Je perçois toute la haine, l'aversion qu'il éprouve à mon égard. C'est jouissif. Mes lèvres s'étirent en un rictus pernicieux.

"Si tu veux que j'arrête de m'acharner sur toi, parle. Tu sais qui je suis. Tu sais ce que j'attends de toi."

Il ne répond pas. Je m'y attendais.

Je le lâche brusquement. Il s'écrase au sol, son corps faible n'est qu'un tas d'os prêt à succomber sous mes derniers coups.

Je m'accroupis face à lui.

Il peut m'entendre lui parler par télépathie. Peut être que je peux avoir accès à ses pensées.

Je ferme les yeux, me concentre. Je fais le vide dans ma tête. Je ne perçois plus Roméo, ni Eros. Je me focalise non pas sur son enveloppe corporelle mais sur son aura. Je la ressens. Elle est invisible mais bien présente. Puissante, oppressante et mortelle. J'aimerais la saisir de mes mains et la détruire, la ruer de coups jusqu'à ce qu'elle se brise en milles morceaux. Elle vibre en phase avec la lenteur des battements de son cœur.

Une connexion spirituelle est possible entre mon bêta et moi grâce à un puissant lien qui nous unit. Je dois trouver le lien entre la sangsue et moi et alors j'aurais accès à ses plus noirs secrets.

Je n'ai jamais ouïe dire qu'un lycanthrope pouvait avoir la capacité de communiquer avec notre plus grand ennemi par la pensée. Je dois être la seule. Cela ne m'étonne guère. Je suis déjà bien différente des autres loups, alors une particularité de plus ou de moins... Cela ne change pas grand chose. Je suis contrainte par la lune de céder ma place à une bête monstrueuse dès lors que cette déesse est haute et pleine dans le ciel. Peut être que c'est elle qui m'accorde le pouvoir d'échanger par télépathie avec les vampires. Elle me condamne à une vie de souffrance mais m'offre une domination sur le peuple que je suis vouée à haïr. Malédiction et don. La lune est divinité maîtresse de nos deux espèces. Elle nous unit. Elle nous lit.

Je souris. C'est évident. Le lien entre l'être immonde que j'ai face à moi et moi-même, c'est ça. C'est cet astre. La lune.

Un nœud invisible nous enchaîne l'un à l'autre. Je le sens, je prends conscience de son existence. Je m'empare de celui-ci.

J'ouvre les yeux brusquement. Le vampire lève la tête vers moi et recule de plusieurs pas. Il est apeuré. Effrayé. Horrifié. Épouvanté. Son regard trahit touted les émotions qu'il ressent. Il ne peut se cacher de moi. Il panique, gesticule dans tous les sens et pousse des hurlements. Tout le monde s'agite autour de moi. J'entends les autres loups de la pièce, ils me parlent, se posent des questions, sont abasourdis par le comportement du vampire. Mais je ne les écoute pas. Je sens Roméo s'approcher de moi. Il s'apprête à poser une main sur moi quand je me tourne vers lui. À son tour, il recule de plusieurs pas, terrifié. Mes yeux se reflètent dans les siens. Mes pupilles se sont tellement rétrécies, qu'elles laissent uniquement place à deux iris bleus incandescents. Ils n'ont jamais étés ainsi. Du cobalt, du klein, de l'indigo, du persan, du turquoise. Jamais autant de bleus différents n'ont illuminé mon regard. Ils s'entremêlent, créant de nouvelles nuances. Des poussières de nacre ornent également cette palette de couleurs. Je reste un instant fixer mon bêta puis me détourne.