Chapitre 18

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Villa D'Eros,

le 13 Janvier à 5h54

Une tasse de thé au citron, brûlant entre les doigts et les yeux encore collés de sommeil, je pousse un long bâillement à m'en faire décrocher la mâchoire. Cette nuit j'ai mal dormi. Et encore, mal est un doux euphémisme. Les quelques minutes où j'ai réussi à rejoindre le pays des songes, je n'ai cessé de penser aux paroles de Bertha, à Eros et ses yeux verts transcendants, aux loups solitaires qui déciment et pillent nos meutes.

Tout tourne dans ma tête à une vitesse allucinante, je n'ai pas une seconde de répit. D'ici peu je vais très certainement perdre pied.

Assise sur quelques coussins étalés au pied d'une très haute et étroite fenêtre, je souffle sur ma boisson et la fait couler dans ma gorge, réchauffant ainsi tout mon être.

Il doit être tout au plus six heures du matin, personne n'est réveillé à la villa, enfin pas à ma connaissance. Le soleil ne va pas tarder à pointer le bout de son nez derrière la muraille de sapins qui entoure le domaine.

Les nuages présents dans le ciel laissent tomber quelques fines particules de neige qui fondent aussitôt qu'elles rencontrent le sol. Moi qui déteste le froid et l'hiver je suis servie... Si ce n'était pas pour mon frère, je ne serais pas revenue, je serais restée sur ma plage privée au Costa Rica à lézarder sous les cocotiers.

Ma tasse terminée, je retourne en cuisine, la pièce est vide. Aucune trace de Bertha. J'avais l'espoir de la croiser en me levant. Mais il est vrai qu'il est bien tôt et qu'elle aussi doit se reposer. Je lave ma tasse et la mets à sécher sur le bord de l'évier. J'ouvre le frigo et en sort une brique de jus d'orange ainsi que du beurre. Je sors deux verres d'un placard et les remplis. Je tartine quelques morceaux de pain. Roméo ne devrait pas tarder à se lever.

Je m'appuis contre le plan de travail et sirote ma boisson en l'attendant.

Au bout d'une dizaine de minutes je perçois du bruit à l'étage. Je n'en peux plus de l'attendre, j'ai besoin de me dépenser, de courir, de me battre. Mais surtout j'ai besoin qu'il apprenne et vite. Plus vite. Car une bataille qui nous concerne tous les deux arrive à grands pas.

Ce que je n'ai dit à personne c'est que pendant ces deux jours passés à vivre ma vie de louve, je suis tombée sur quelqu'un. Enfin sur quelque chose. Un vampire. Et pas n'importe lequel. Son odeur m'empoisonne l'esprit depuis deux ans. Depuis sa mort à elle. Rose. Il fait partie du groupe de vampires responsable de sa disparition. Je ne sais pas ce qu'il fait dans le coin. Peut être qu'il me surveille, ou peut être était-ce une simple coïncidence. Mais je ne crois pas à cette seconde hypothèse. La dernière fois que je l'ai vu, nous étions en Floride, bien loin de ce cadre de forêt et de neige.

Je l'ai traqué. Je l'ai presque eu, mais il m'a filé entre les doigts à la dernière seconde. Je n'oublierais jamais le rictus qui s'est étalé sur son visage lorsqu'il a sauté de cette falaise et a disparu entre les hauts pins du territoire d'une meute voisine.

Ce qui m'étonne c'est que personne ne l'ai senti ni ne l'ai traqué. Le vampire est notre grand ennemi. Après tout, il est passé à la lisière du territoire d'Eros et ces êtres là empestent. On les sent à plusieurs kilomètres à la ronde. Alors pourquoi personne ne l'a pourchassé ? Je réprime une grimace de dégoût et quitte la cuisine.

"Mange et rejoins moi dehors quand tu as fini."

Je passe la porte de la villa et atterris sur mes quatre larges pattes. Je pars à toute vitesse en direction de la forêt. Je foule tout juste le sol, je prends de la vitesse. L'air frais du matin vient me caresser et jouer avec mon poil dru. Cette fraîcheur s'insinue dans ma gorge, mes poumons et me brûle à son passage. J'adore ça. Je perçois tout. Le frottement du vent sur l'écorce des arbres, les courses des belettes, les bonds des biches, la respiration des marmottes et des moufettes qui hibernent encore. Je suis en totale symbiose avec la nature. Mes pattes remuent et mélangent la terre. Je continue ma course folle jusqu'à arriver à un immense monticule de terre recouvert d'une fine couche d'herbe et sur lequel s'entrecroisent quelques jeunes arbres. Je reprends mon souffle au fur et à mesure que mon cœur ralentit.

Il ne devrait plus tarder.

Cinq minutes plus tard, je l'entends se transformer et galoper vers moi. Il arrive. Je l'aperçois et m'assois aussitôt en haut du tas de terre, lui faisant face. Il me rejoint et vient caler son museau dans le creux de mon cou. Je frotte ma tête contre lui puis le repousse gentiment.

"Aujourd'hui et les jours qui suivent tu vas devoir t'entraîner encore plus fort, progresser plus vite."

Roméo tourne sa tête vers moi et vient trouver mon regard, il ne comprend pas.

"Je t'ai dit qu'un jour tu pourrais la venger. Je t'ai dit que je te laisserais venir avec moi quand tu serais prêt. J'ai besoin que tu le sois rapidement.

" Qu'est-ce qu'il s'est passé ? "

" J'en ai retrouvé un. "

¤ ¤ ¤

Au cœur de la forêt,

le 13 Janvier à 11h13

Cela fait plusieurs heures qu'ils s'entraînent, attirant les plus curieux à observer la scène. Silva ne cesse ne pousser son bêta dans ses retranchements. Il apprend vite et corrige les erreurs de ses attaques, mais la louve noire est bien meilleure. Pas une seule fois je ne l'ai vu réussir à l'atteindre. C'est une vaillante guerrière et très bonne professeure.

Mes nuits sont d'autant plus agitées depuis qu'elle est arrivée. Et comme à chaque fois, j'évite du mieux que je peux de m'endormir. Des images m'assaillent dès que je ferme les yeux. Je me suis donc levé très tôt ce matin, comme je fais toujours. Je suis allé me dégourdir les jambes sous ma forme humaine et c'est quand je suis revenue à la villa, tout transpirant et essoufflé que je l'ai entendue se réveiller.

Mon cœur s'est emballé, immédiatement j'ai eu envie de la rejoindre, rien que pour la voir, pour humer sa douce odeur enivrante. Mais mes jambes n'ont pas voulues bouger et heureusement, qu'est ce que j'aurais pu lui dire... "Salut Silva j'avais juste envie de te voir parce que tu m'obsède irrémédiablement." Mouai... Non. J'ai repris mes esprits et j'ai décampé aussi vite. Je suis revenu quelques heures plus tard et c'est là que je l'ai vu, entourée d'une assemblée de spectateurs. Elle était la, imposante, majestueuse, féroce, dominatrice.

Et je ne peux défaire mon regard d'elle. Elle m'a complètement ensorcelée. Je suis à sa merci. Et le pire c'est qu'elle ne se rend même pas compte de l'emprise qu'elle a sur moi.

La brune contre une énième attaque du bêta, lui assénant un puissant coup de patte en plein sur le museau. Elle se jette sur sa gorge et le mort avec vigueur, un peu plus de force dans la mâchoire et elle fait gicler son sang. Elle le fait se soumettre complètement puis le lâche. Je l'entends le féliciter pour ses progrès. Nous, les alphas, avons accès à tous les échanges entre loups, c'est un formidable don de la lune.

L'entraînement est terminé. Quelques loups retournent à leur occupation, tandis que d'autres foncent sur elle est l'assaillent d'une multitude de questions.

Je croise son regard. Elle a levé la tête vers moi. Ses yeux bleus me transcendent. Ils absorbent mon âme toute entière et la font prisonnière. Nous restons ainsi, à nous fixer. Elle ne semble pas vouloir se détourner de moi. Une puissante euphorie prend vie en mon fort intérieur et le réchauffe, elle m'irradie entièrement.

Son bêta l'interpelle, elle rompt notre connexion. Je grogne. Tous se tournent vers moi. Elle aussi. Je vois une lueur amusée dans son regard. Elle congédie son bêta et les quelques loups restants quittent les lieux. Elle s'approche de moi, lentement, elle affole mon cœur qui se met à cogner fort dans ma poitrine. Elle s'arrête à quelques pas de moi et s'assoit face à moi, elle penche la tête sur le côté. Ses yeux curieux parcourent mon corps puis viennent retrouver les miens. On pourrait presque croire qu'elle sourit. Qu'elle me sourit à moi. Je supprime la distance qui nous sépare et me plante devant elle. Sans que je m'y attende, elle vient frotter sa tête dans mon cou. Une décharge électrique me parcours de la pointe de mes oreilles à mes griffes acérées. Je lui rends son affection. Et sans prévenir elle me mordille la peau, me pousse d'un coup d'épaule puis part en courant, s'enfonçant davantage dans la forêt. Surpris, je la vois tourner la tête vers moi, aussitôt je me lance derrière elle, répondant à son invitation silencieuse.

La louve et la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant