Chapitre 6

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OLIVER


Nous sommes assis face à face dans le réfectoire peu fréquenté à cette heure tardive pour un déjeuner, nos plateaux vides repoussés sur le côté de la table nous séparant.

-« Liz, regarde-moi, lançais-je afin d'attirer son attention. Pourquoi m'as-tu « caressé » comme ça dans le couloir tout à l'heure ?

-Je ne sais pas... Ce n'était pas une-une... envie. Mais plutôt comme un besoin ? suggère-t-elle, des larmes se formant au coin de ses yeux.

-De me toucher ?

-Toi ou quelqu'un d'autre... C'était comme si... si je n'avais pas été en contact avec une personne, je-j'aurais pu être en... en danger ? Je suis perdue... finit-elle en se prenant la tête entre les mains.

-Hé, doucement, ça va aller », la rassurais-je en prenant ses mains tremblantes dans les miennes, tout en essayant de me consoler également.

Nous nous levons de nos sièges respectifs et quittons à une allure lente la grande cantine.

-« Ce que je veux comprendre Liz, reprenais-je, c'est pourquoi m'as-tu dit qu'on ne pouvait pas régler ça à l'infirmerie ?

-Attends, de quoi parles-tu ?

-De toi, dis-je fermement. De toi hurlant dans le couloir que tu ne voulais pas y aller.

-Je n'ai pas dit ça.

-Oh, s'il te plaît. Ce n'est plus drôle, répondis-je sérieusement en me tournant dans son sens opposé afin de me frayer un chemin entre les élèves.

-Je ne suis pas folle Oliver, dit-elle sur le même ton que moi mais plus bas en raison du grand couloir où se promènent quelques élèves aux oreilles baladeuses. Ce... ce n'était pas moi... Je...

-Tu quoi ?

- Non, rien... se ravise-t-elle.

-Merde Liz ! Dis-moi la vérité ! » éclatais-je en faisant brutalement volte-face vers elle.

Liz n'est plus là. Mais l'étrangère d'il y a quelques heures ne l'a pas pour autant remplacé. Elle se tient droite, le corps plaqué contre le mur et paralysé, les poings serrés, le visage serein comme endormi, les yeux clos.

Liz semble se trouver à ce moment-même dans un autre monde...


LIZ


J'avais basculé dans un autre monde.

Autour de moi, l'environnement était redevenu sombre et hostile... Les étranges « veines » étaient réapparues au moment où mes yeux s'étaient fermés de façon irrépressible. Immensément longues et inquiétantes avec ce même liquide visqueux dégoulinant lentement de chaque élément de ce couloir de lycée inconnu sous cette couche de ténèbres.

Cet effrayant monde parallèle est le même que ce matin. A une exception. Le silence. Le seul bruit produit est ma respiration saccadée. Toute présence humaine a disparu autour de moi. Oliver et les autres élèves se sont volatilisés.

J'avais ressenti ; dans le monde que des milliards de personnes connaissent, celui où elles naissent, elles vivent puis elles meurent ; une onde surnaturelle me traverser et prendre possession de mon être tout entier. Puis, je m'étais réveillé une seconde plus tard. Dans un monde désert, étrange, effrayant et menaçant...

-« Oliver ! Oliver ! criais-je, la gorge serrée par les sanglots se formant dans celle-ci. OLIVER ! »

Un bruit sourd et monstrueux par son volume parvient subitement à mes oreilles. Son amplitude fait vibrer tout l'obscure établissement, mon corps y compris. Il semble provenir du réfectoire vidé de présence humaine dans lequel je me trouvais il y a quelques instants. Ce son atroce se dirige petit à petit vers la porte de sortie de la grande pièce, endroit-même où je me situe actuellement. Cette « chose » provoquant cet énorme vacarme continue son avancée vers moi, comme si elle n'avait pas besoin de chercher mais au contraire savait où se trouver sa proie. Moi.

Elle s'approche et se rapproche... Jusqu'à s'arrêter à l'encadrement de la double porte de la cantine. Je me précipite vers le mur le plus proche de moi et essaye de me tapir dans les tiges noires le traversant. Je serre de toutes mes forces celles-ci sur lesquelles je suis adossée afin de me rassurer.

Sans savoir ce qui me pourchassait, j'en avais une peur insurmontable. Ma respiration bruyante, mon cœur battant follement, les grosses gouttes de transpiration dégoulinant de mon front, les larmes coulant sur mes joues, les spasmes me secouant le corps n'était qu'une partie des preuves de mon effroi.

Cette « chose » pénètre dans le grand couloir à quelques mètres de moi.

A quoi ressemble-t-elle ? Elle n'est pas descriptive. C'est une sombre concentration de toutes les choses les plus effrayantes du monde. C'est une puissante boule d'énergie noire cherchant à provoquer et instaurer la terreur autour d'elle. Je sens ses ondes négatives se répandre autour de moi et me chatouiller la peau.

Elle continue son chemin, avançant perfidement vers le sens opposé de ma position. Je réprime un soupir de soulagement, un poids libère mon cœur.

Bien décidée à fuir cette ténébreuse créature, je lâche les « veines » intactes, malgré la pression que mes mains ont exercé sur elles. Elles retombent sur le sol. Elle claque sur le linoleum. Elles résonnent dans mon cerveau et dans celui, si elle en possède un, de la chose. Celle-ci se retourne aussitôt, ayant été alertée par le bruit. Si elle pouvait sourire, le sien serait démoniaque car elle s'approche désormais de moi à une vitesse démentielle.

Au même moment, les tiges m'ayant servi de camouflage se retournent contre moi. Elles m'enserrent les doigts et les mains ainsi que les pieds, et me plaquent de force contre le mur. Je deviens dans l'incapacité de bouger un seul membre de mon corps.

Cette « chose » indescriptible devant moi grandit, s'élargit et occupe désormais presque tout l'espace du grand couloir. Plus elle devient monstrueuse par sa taille et son contenu, plus je ressens le besoin insensé mais que mon cerveau explique avec une facilité insensée et déconcertante de m'excuser devant elle.

-« Je suis... désolée ! gémissais-je en sanglots, paralysée et impuissante face à cette forme horrifiante continuant de me menacer. Je suis désolée ! ... Désolé... » répétais-je épuisée alors que la force de cette boule d'énergie, avec qui je me battais, se multiplier.

Étouffée par les grognements de cette chose, je parviens à entendre cette voix familière. Inespérée.

Elle m'appelle. Désespérée.

Celle d'Oliver.

Elle me supplie de me réveiller. Mais c'est impossible, ce que je vis est réel. Je sens les « racines » se resserrer et me lacérer la peau. Mon corps tout entier est broyé sous leur pression. Seuls mes épaules, mon cou et ma tête sont « libres ». L'étau entre ces maléfiques tiges et moi s'étrécit, elles pourraient pénétrer sous mon épiderme si elles le voulaient. Tandis qu'au même moment, la distance me séparant de la bête face à moi se raccourcit elle-aussi.

Revigorée par la voix lointaine mais bien présente de mon meilleur ami, je décide de combattre cette chose.

-« Va t-en tout de suite. Va-t'en de là. Va t-en ! Va t-en ! VA T-EN ! DEGAGE ! » hurlais-je les larmes roulant les unes après les autres sur mes joues.

Pendant que les « racines » gagnent du terrain en s'attaquant à ma tête, la bête, elle, se rapproche. Je peux sentir ses murmures dans mes oreilles, son souffle glacial sur mon visage mouillé de pleurs, ses yeux rouges-orangés malveillants m'observer, son énergie diabolique m'effleurer. Terrorisée, je répète encore une fois cette phrase espérant que ce cauchemar réel prenne fin...

Malgré mes efforts, il s'empire. Deux bras se forment à chacune des extrémités du monstre. Ils pourraient être comparés à des tentacules mais eux, sont une copie des tiges présentes dans le couloir. Celles qui me ligotent. En plus longues, plus noires plus étranges, plus impressionnantes, plus menaçantes, plus effrayantes...

Elles s'avancent vers mon visage avant d'en caresser sournoisement les contours. Puis, ces « veines » contrôlées par la chose me torturant déposent leur liquide visqueux sur mes lèvres et viennent chatouiller mes pommettes et les coins de mes yeux en larmes. Elles y pénètrent. Elles s'y faufilent par chaque recoin. Elles écartent mes paupières afin d'y entrer plus nombreuses. Toutes plus malveillantes les unes que les autres, elles s'y engouffrent par dizaines. Mes yeux sont condamnés à rester grand-ouverts de manière à ce qu'elles déposent toutes, une partie d'elles dans ceux-ci.

Leurs venins. Dans mes yeux.

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