BROKEN [ TBS ]

Broken Three

La première semaine de cours s'était plutôt bien passée. Du moins, à peu près bien. J'ai de bons camarades de classe, je pense que je peux déjà les considérer comme mes amis. Mais il y a cet idiot de Thomas. Il n'arrête pas avec ses mauvais regards, il passe son temps à me fuir, et ça m'énerve. Je ne lui ai rien fait, et il ne m'adresse même pas la parole.

Ce qui arrange encore moins, ce sont les profs qui nous placent dans un certain ordre. Comme je suis arrivée en cours d'année et pour ne pas chambouler l'ordre alphabétique des places, je me retrouve toujours assise à côté de la place vide de Sangster. Je dois donc me le coltiner parfois, plus froid que jamais.

-          Aujourd'hui, nous allons tester vos capacités de portraitiste avec votre voisin, avait annoncé notre prof d'arts-plastiques.

Je la maudissais clairement de me faire cela. Quelle idée de nous placer dans un cours d'art ? J'avais jamais connu ça en dix-sept ans de carrière. Elle ne voulait tout simplement pas que l'on soit déconcentré durant son apprentissage, alors le placement était une option parfaite. Et moi, je subissais. Surtout que dans l'alphabet, Loning c'était très loin de Sangster. Mais non, bah non, il a fallut que je débarque pendant l'année.

J'entends un bruyant soupire provenant de la bouche de Thomas, et je me retiens de faire de même. Je quitte donc ma table et fais comme tout le monde : je vais chercher un chevalet. Je l'installe en face de mon partenaire, qui tirait clairement la tronche.

-          Arrête un peu de faire cette tête, Thomas. Fais moi un beauuu sourire, dis-je en restant impassible.

Il semble surpris et, faisant un effort, change son air dépité pour un air neutre. Je le remercie d'une voix presque inaudible, et me mets rapidement au travail après avoir écouté les indications du prof. J'avais la chance d'être douée en dessin, et de me débrouiller en portrait. Mais Thomas était assez déstabilisant. Il me fixait comme s'il était en train de fouiller au fin fond de mon âme. Ses yeux sombres, encrés dans les miens, ne me lâchaient plus, et je me demandais quand est-ce qu'il allait finir par cligner des yeux.

Enfin, je ne devais pas me laisser déconcentrer par ça. Je me ressaisis rapidement et me mets à l'observer attentivement. Je commence par son visage, assez fin. Il a une petite bouille de bébé un peu. Mais un bébé pas très content parce qu'il a ce tic d'avoir toujours les sourcils froncés. Il a une bonne masse capillaire, blond foncé, qui a l'air épaisse. J'en viens ensuite aux yeux, des yeux marrons. Ils sont petits, sombres, et ses petites poches en dessous me prouve qu'il ne dort pas très bien le petit. Je continue avec son nez droit, puis ses fines lèvres. Et je descend, je dessine son cou, sa nuque, la base de ses épaules, et Dieu sait que je commence à avoir du mal à dessiner.

Je remarque qu'il possède un visage particulier, mais tout est harmonieux. Enfin, par particulier et harmonieux, je veux dire beau. Thomas est genre vraiment beau. Je ne m'en étais pas rendue compte avant, puisque ce fuyard ne me laissait aucunement le temps de l'observer. Et puis ce petit cou masculin, et ses épaules aussi, ça me donnait envie de le toucher et putain qu'est-ce que j'raconte ? Jessie, ok, il est mignon tout ça, mais calme-toi tu vas loin dans ton délire.

-          T'as fini ?

Je sursaute, la voix de Sangtser vient de me sortir de mes fantasmes. Ça faisait combien de temps que je le matais sans rien faire ? J'ai dû passer pour une débile. Je ne dessinais plus depuis un moment, sans même que je m'en rende compte. 

-          Euh... Ouais, répondis-je après une seconde de ressaisissement.

Il se lève donc de son tabouret d'une façon nonchalante, et viens me rejoindre pour observer mon travail. Quand il se penche sur mon dessin, je vois à son visage qu'il est surpris.

-          Woaw, c'est vraiment réussi ! Je me reconnais bien. Tu es... Euh... T'es douée.

Je ne sais pas comment réagir. Il m'a fait un compliment, mais il a quand même hésité avant de me le dire. Enfin, c'était quand même la première fois qu'il me disait un truc cool. Intérieurement, j'étais assez contente.

-          Merci, dis-je d'une voix basse.

-          Tu crois que je pourrais le garder ? Si t'en fais rien bien sûr. Je l'aime bien. 

Monsieur se dévoile et daigne enfin me parler normalement ?

-          Oui, tu peux, une fois que le prof l'aura évalué, répondis-je. A ton tour maintenant.

Il fut gêné, mais pris tout de même mon chevalet pour le placer devant lui après que j'eu déposé mon dessin sur la table. Il s'installa, tout comme moi, et me fixa pendant de longues secondes en gardant le crayon en l'air.

-          Je ne suis pas aussi doué que toi, avoua-t-il en grimaçant.

-          C'est pas grave, je ne me moquerai pas. On n'a pas tous les mêmes talents.

Il hoche la tête, semblant rassuré, et se met au travail. Je le vois scruter chaque parcelle de mon visage, et j'en profite pour observer les siens. Encore une fois, je le trouvais beau. Comment ce faisait-il qu'il ne soit pas populaire dans le lycée ? Je veux dire, un gars pareil, qui ne serait pas tenté ? Je devais avouer qu'il savait se faire discret, car je n'avais pas remarqué ces traits mignons avant de le détailler.

-          Fini, souffla-t-il au bout de quelques longues minutes.

Je me lève rapidement, sortant de mes pensées, pour me diriger vers le chevalet. Je lui avais promis de ne pas rire, c'est vrai, mais un gloussement s'échappa de ma gorge.

-          T'avais dis que tu te moquerais pas ! s'indigna-t-il, les joues rouge.

-          Désolé, mais ma tête ressemble à une aubergine ! m'exclamai-je à travers mon fou rire.

Il fait mine d'observer son dessin, mais ne peut retenir un sourire, laissant même échapper un rire.

-          C'est vrai qu'on dirait une aubergine. J'ai fais que suivre les contours de ton visage, répondit-il en haussant les épaules.

Je m'arrête de rire et le regarde, outrée. Il venait de me taquiner, là ? Et je le vis se mordre la lèvre inférieure pour se retenir de rire. Trop mignon. Il avait l'air si enfantin quand il n'était pas en colère. C'était comme observer un autre Thomas. Mais la prof interrompit ce petit moment pour nous demander d'accrocher nos projets. Et Thomas se renferma aussitôt.

                Tous les deux, nous observons maintenant les dessins de nos camarades. Et je me penchais vers mon partenaire pendant que j'observais le tout.

-          Apparemment, je suis pas la seule à avoir une tête d'aubergine.

Cette fois, il lâche un rire franc, et me dévoila une rangée de dents blanches. Vraiment grave mignon Sangster. Je n'avais pas vu tel sourire depuis longtemps. C'était le genre de sourire qu'on pouvait admirer pendant des heures.

*

       

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