- Chapitre 6 -

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 Une dernière fois, je fixe mon reflet dans le miroir. On sonne – il est 21 heures pile. On dirait bien que Matthew est du genre ponctuel. Je me sens nerveuse au moment d'ouvrir la porte, mais son sourire bienveillant m'apaise presque instantanément. 

– Tu es ravissante.

Je le remercie et referme derrière moi avant de le suivre jusqu'à une berline noire. Un chauffeur nous attend.

Pendant la majeure partie du trajet, nous restons silencieux. Je suis intimidée et, comme je ne trouve rien d'intelligent à dire, je me contente de regarder au-dehors. Matthew tente de détendre l'atmosphère à plusieurs reprises, en plaisantant ou en me complimentant.

– On va où ? finis-je par demander.

– Le Démoniaque. Tu connais ?

J'acquiesce en silence, mais mon cerveau s'emballe. Les souvenirs affluent et je m'efforce de garder une contenance. M. Anderson sera-t-il de nouveau là ? Ce club serait-il son endroit préféré pour... pour ôter la vie à ces jeunes femmes ? Ou bien change-t-il constamment de lieu ? J'essaie de sourire à Matthew.

À l'approche du club, la voiture commence à ralentir, et je reconnais les lieux – la fameuse ruelle. Les poils de mes avant-bras se hérissent.

 Comme la semaine dernière, une longue file d'attente s'étire devant l'entrée. La plupart des jeunes femmes sont légèrement vêtues. Les malheureuses ! Je grelotte déjà à l'idée de quitter le véhicule – et j'ai opté pour une tenue plutôt chaude.

– On va passer par-derrière, lâche Matthew tandis que la voiture dépasse l'entrée principale.

La berline s'arrête, et le conducteur sort pour nous ouvrir la portière. Matthew pose une main sur mon dos, me guide vers une porte, près de laquelle est posté un homme vêtu de noir. Un videur, j'imagine, qui se raidit en reconnaissant Matthew et nous laisse entrer sans un mot.

Nous nous trouvons dans une zone privée du Démoniaque, qu'un rideau imposant isole du reste du club. La musique y est moins forte, et des lanternes noires, accrochées aux murs de pierre brute, diffusent une lumière bleutée. Des couples et des groupes d'amis, confortablement installés dans des fauteuils capitonnés, discutent en sirotant des cocktails. Matthew m'invite à m'asseoir.

– Tu as envie de boire quelque chose ? demande-t-il en prenant place en face de moi.

– Je veux bien. Un blood song, si possible.

– Excellent choix.

Il lève la main, et un grand type noir s'approche. Il est mince, tête rasée, maquillé. Son crâne est orné de tatouages.

– Un blood song, s'il vous plaît. Et un A négatif.

L'homme incline la tête et repart comme il est venu. Matthew pose ses mains jointes sur la table et me regarde avec bienveillance.

– Parle-moi de toi : j'ai envie de te connaître.

– Qu'est-ce que tu veux savoir ?

– Tout ce que tu voudras bien me dire.

Il me fixe avec un véritable intérêt. J'hésite un instant, ne sachant trop par quoi commencer. Je ne suis jamais à l'aise quand il s'agit de parler de moi. 

– Je suis née en Pennsylvanie... à Pittsburgh... mais j'ai toujours vécu à Butler, une petite ville, à une trentaine de minutes. J'ai vingt et un ans, et il y a bientôt six ans, j'ai été diagno...

Je m'arrête net. J'étais sur le point de dire à cet homme ce que je me suis juré de ne révéler à personne. C'est étrange, parce que ça m'est venu naturellement, comme si Becky, au fond, était tout ce qui me caractérisait. J'ai la désagréable impression que ma tête est coincée dans un étau. Je me déteste, et je déteste Becky plus encore. Comment une maladie peut-elle prendre une place aussi importante chez quelqu'un ? Je ne suis pas Becky : je suis Emma. Je respire un grand coup.

Le Pacte d'EmmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant