La route vers le chalet est plus longue que prévu. La circulation est dense. Ce vendredi soir, tout New York semble en effervescence. Cette fois, Matthew est venu sans son chauffeur, et nous faisons la route à deux. Nous longeons la Franklin D. Roosevelt Drive jusqu'au pont George-Washington et récupérons l'interstate 95. À partir de là, le trafic est beaucoup plus fluide.
Nous parlons de tout et de rien, mais je sens une certaine nervosité chez Matthew. Il passe son temps à changer de station de radio et se gratte souvent la nuque, sans compter les coups d'œil répétés dans le rétroviseur, comme s'il craignait d'être suivi.
Il est 20 heures passées quand nous nous garons devant un magnifique chalet tout en bois, perdu dans une immensité de pins très hauts. De là où nous nous trouvons, j'aperçois une terrasse suspendue et, en contre-plongée, un lac baigné par le clair de lune. L'endroit est somptueux.
Matthew, galant, se charge de ma valise, qu'il dépose dans l'entrée, et me demande de patienter le temps qu'il aille chercher « quelque chose ». Il part précipitamment et j'en profite pour visiter. La bâtisse, de plain-pied, se compose d'un immense séjour ouvert sur une cuisine en bois et en verre. De nombreuses bibliothèques habillent les murs. Je scrute les rayons, à la recherche d'une lecture éventuelle pour le week-end. La terrasse est construite sur un terrain légèrement en pente et donne la sensation de surplomber le lac. Des marches descendent vers un petit ponton qui s'avance sur l'eau. De retour, Matthew m'invite à déballer mes affaires dans la première chambre, avant de se diriger vers celle du fond, histoire, j'imagine, de troquer son costume contre une tenue plus confortable. Je décide de l'imiter, passe un pull en laine crème et un legging noir. Rebecca désapprouverait sans réserve cette tenue, mais je n'ai pas envie de jouer un jeu avec Matthew.
Malgré le froid, nous passons la fin de la soirée sur la terrasse, avec un bon chocolat chaud. Matthew m'a enveloppée dans une énorme couverture en polaire, et nous admirons le ciel, constellé d'étoiles.
– Tu avais raison, dis-je en gardant mes mains autour de mon mug pour me réchauffer. La vue est magnifique.
– J'aime venir ici. Regarder la nuit, écouter les bruits de la nature. On est à la fois loin de tout et proche de ce qui compte.
J'avale une gorgée de chocolat, laissant mon regard errer sur le reflet de la lune à la surface du lac.
– Tu as prévu quelque chose pour demain ? demandé-je, curieuse de connaître le programme.
– Tout dépend de toi. (Je lui souris, l'invitant à poursuivre.) Nous pourrions aller nous promener au bord du lac ou faire une petite rando autour du chalet. Je ne pense pas que tu tiennes spécialement à te baigner dans l'eau glacée...
Minuit sonne à la montre de Matthew, et nous finissons par rentrer. Je gagne la cuisine pour y laver mon mug, et c'est l'instant que choisissent mes jambes pour se dérober sous moi. Je n'entends même pas la tasse se briser ; mes oreilles sifflent, une douleur vive me vrille le crâne. C'est quand je rouvre les yeux, quelques secondes plus tard, que je découvre les fragments de porcelaine éparpillés autour de moi.
Matthew se tient là, figé comme une statue. Pourquoi ne vient-il pas me porter secours ? Je me relève.
– Tout va bien, Matthew ?
Il fixe ma main, entaillée par un morceau de porcelaine. La blessure n'est pas profonde, mais la manche de mon pull est déjà imbibée de sang. Matthew est livide. Une lueur sombre passe dans son regard.
Je le trouve distant, depuis notre départ de New York, et voilà qu'il semble paralysé à la vue de mon sang... Serait-il moins maître de ses pulsions que son frère ? Il baisse les yeux, comme s'il ne voulait pas croiser mon regard. Je me penche pour ramasser les débris.
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Le Pacte d'Emma
VampireElle est mourante, lui seul peut la sauver, mais à quel prix ? Je pensais qu'en me lançant dans ce pacte je risquais seulement ma vie, mais c'est ma raison qui est en train de s'envoler.Je l'ai embrassé, mais ce n'est pas ce qui est le plus déraiso...