- CHAPITRE 10 -

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Je me précipite à notre table, le cœur battant. Je cherche Matthew du regard mais ne le trouve pas. Nathan me fixe, interloqué.

– Tout va bien ?

– Est-ce que tu pourras dire à Matthew que je suis désolée mais que je ne me sens pas bien ? Je rentre chez moi.

– Tu pars sans m'avoir accordé une danse ? Ça me brise le cœur.

– Une autre fois, promis. Tu veux bien le prévenir pour moi ?

– Sûr. Mais tu ne veux pas l'attendre ? Il devrait pouvoir te ramener.

– Ça ira, je t'assure. Je ne veux pas qu'il rentre plus tôt à cause de moi.

– Alors laisse-moi te raccompagner, insiste Nathan en se levant.

– Non ! m'écrié-je par-dessus la musique. Vraiment, ne t'en fais pas pour moi, ça va aller.

Il me prend dans ses bras, souffle à mon oreille :

– Tu me dois une danse, princesse. Allez, rentre bien.

À peine ai-je franchi les portes à tambour que j'aperçois Andrew, près d'une Audi noire. Il m'a vue. Il m'ouvre la portière côté passager. Puis s'installe au volant et démarre.

– Vous n'avez pas de chauffeur ?

– Tu as perdu le goût des choses simples ?

– C'est juste que vous avez beaucoup bu...

– Dans ce cas, attache-toi.

Le trajet est silencieux. Andrew n'est pas du genre à respecter les limitations de vitesse. Je m'agrippe fermement à ma ceinture. Où allons-nous ? Je tente de me repérer.

– Détends-toi. Je ne vais pas t'emmener dans un bois pour te dépecer.

Sa capacité à lire en moi me surprend toujours. Je ne lui réponds pas, je m'efforce de respirer avec calme.

Nous arrivons à hauteur de Central Park. Upper East Side. Andrew s'arrête devant un grand immeuble résidentiel. Il remet les clés de la voiture à un jeune homme venu à sa rencontre et, une main dans mon dos, m'invite à avancer.

Une fois dans l'ascenseur, je m'appuie contre la paroi, fixe mon reflet au plafond. J'essaie de me rasséréner. De toute façon, le médecin a été clair : je n'ai plus rien à perdre.

Un bip – les portes s'ouvrent.

– Bienvenue chez moi, annonce Andrew.

L'ascenseur s'ouvre sur un mini-hall, qui donne dans l'appartement. Andrew défait sa veste de costume et la pose sur le dossier d'une chaise, soigneusement pliée. Je reste plantée au milieu du salon, stupéfaite. C'est si grand, si impressionnant !

– Je te sers quelque chose ? demande-t-il en désignant les canapés.

– Ça ira, je vous remercie.

– Sûre ? J'ai remarqué que tu avais souvent la gorge sèche en ma présence. Il est plus agréable de discuter avec quelque chose à boire, non ?

Ignorant sa remarque, je balaie le salon du regard. Je devine une terrasse, derrière la baie vitrée. Je n'ai pas vérifié si nous étions montés au dernier étage, mais je le suppose.

Andrew s'absente et revient avec un verre de jus de fruit, qu'il me tend avant de s'asseoir sur l'accoudoir du fauteuil en face du mien. Lui tient un verre de whisky, dont il avale une gorgée en me détaillant, amusé.

– Tu es toujours aussi silencieuse ? 

Je le fixe, ne sachant quoi répondre. En vérité, je n'ai jamais été très loquace. Quand on est souvent seul, on s'habitue au silence.

– Parle-moi de ton marché, continue-t-il en sirotant son alcool. Il m'a mis l'eau à la bouche.

Comment formuler la chose ? Je me sentais bien plus à l'aise à l'idée de proposer ce pacte quand j'y réfléchissais chez moi. Ici, seule avec lui dans cet appartement, le contexte est tout autre. Je tâche de me reprendre. Allez, respire, Emma, et lance-toi. Que te reste-t-il à perdre ?

– Je pensais que tu... enfin que vous pourriez épargner les gens de New York en vous abreuvant de... de mon sang...

– Oh ! s'exclame-t-il, semblant en cet instant sincèrement surpris. (Il laisse passer un moment de silence avant de reprendre.) Intéressant. Mais je doute que tu me proposes cet échange dans un élan de bonté et de bienveillance, alors dis-moi : que souhaites-tu en échange ?

Ses yeux sont d'un bleu presque noir, à présent, et je n'ose le regarder en face. Je prends une inspiration profonde.

Andrew se lève et s'approche de moi. Délicatement, il dégage une mèche de mes cheveux. Je suis subjuguée. La douceur de ses traits, de ses gestes... Comment l'associer à l'image d'un prédateur assoiffé de sang ? Sur le canapé, je me tortille nerveusement, et il prend mon visage entre ses mains.

– N'aie pas peur. Dis-le.

En deux mots, il a réussi à m'apaiser, comme cette nuit, dans la ruelle.

– Je voudrais... murmuré-je enfin. Je voudrais que vous me transformiez.

Soudain, Andrew semble désemparé. Il ne s'attendait visiblement pas à cela. Je lis dans ses yeux que le marché ne tient plus qu'à un fil ; le prix de mon consentement est trop élevé. Je déglutis, respire un grand coup, écarte d'une main mes cheveux, de manière à le laisser contempler plus à son aise mon cou nu et palpitant. Je le vois se pourlécher les lèvres.

– Tu es très téméraire, souffle-t-il avant de remettre mes cheveux en place, comme pour calmer son désir. 

– Mon marché... ne vous intéresse pas ? Pourtant, vous seriez aussi gagnant que moi.

Andrew me détaille, puis un sourire se dessine sur son visage.

– Si je te transforme, je ne pourrai plus m'abreuver à ta source.

– Je ne vous demande pas de me transformer tout de suite. Vous pourrez vous nourrir tant que vous le voudrez avant.

– Pourquoi ? demande-t-il, avec un air très sérieux.

– Pourquoi quoi ?

– Pourquoi s'offrir à cette damnation quand on est aussi jeune que tu l'es ?

– Mes raisons ne concernent que moi.

– Dans ce cas, annonce Andrew en se levant, je suis forcé de décliner.

Mon estomac se noue. Les larmes me montent aux yeux, mais je refuse de lui montrer ma faiblesse. Peu à peu, la peine se transforme en colère. Je serre les poings.

– Je pourrais proposer ce marché à Matthew, dis-je sèchement en me levant à mon tour.

Le calme qui habitait Andrew se dissipe brutalement. Visiblement, j'ai dit le mot de trop. Il se rapproche de moi, attrape mon visage, et je sens dans son emprise la puissance de son désir. Il retrousse ses lèvres en un rictus mauvais et ses canines s'allongent.

– Mon frère ne te transformera jamais. Il ne se nourrit même pas sur les humains, conclut-il avant de me mordre avec ferveur.


Le Pacte d'EmmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant