- Chapitre 16 -

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Une odeur de café me chatouille les narines, et mes yeux se mettent à papillonner. L'alarme de mon téléphone n'a pas encore sonné, et ma chambre est plongée dans la pénombre. Je roule sur moi-même pour vérifier l'heure sur mon réveil, qui se reflète sur le plafond en chiffres rouges.

5 : 52

Il me reste encore une vingtaine de minutes avant la sonnerie, mais je préfère me lever. J'entre dans le salon. Mon frère est sur le sofa, en train de regarder la télé, avec le son réglé au minimum. Il ne travaille pas ce matin, il en revient. Il m'aperçoit, s'étire en bâillant, puis se lève pour m'accueillir.

– Salut. J'attendais que tu te réveilles.

Il me prend dans ses bras et embrasse le sommet de mon crâne.

– Tu es rentré il y a longtemps ?

– Non, il y a une vingtaine de minutes.

– Tu devrais aller te coucher. Tu fais peine à voir, le taquiné-je affectueusement. 

– Très délicat de ta part, répond-il en souriant. Merci.

Ses yeux sont rouges, ses cernes creusés, c'est la première fois qu'il fait autant de nuits d'affilée. Je le soupçonne d'avoir demandé à faire des heures sup en horaires décalés pour gonfler son salaire.

– Tu travailles encore beaucoup de nuits, cette semaine ?

Je fais chauffer de l'eau pour mon thé, et mon frère, assis sur un tabouret, m'observe en sirotant son café. Ses cheveux sont en bataille. Ils ont bien poussé. Je ne me souviens pas l'avoir vu aller chez le coiffeur depuis notre arrivée à New York, mais je trouve que ça lui va bien, ça me rappelle ses années lycée...

– Non, je ne reprends que demain, horaires normaux jusqu'à la fin de la semaine.

– Tu as l'air fatigué, pense à te reposer.

– T'inquiète.

Le son de la télévision nous parvient assourdi. Incroyable promotion sur un autocuiseur révolutionnaire. L'eau commence à frémir dans la casserole. Je ne suis pas du genre bavard le matin, et mon frère le sait.

– J'ai réussi à t'obtenir un rendez-vous chez ce psy que le docteur Curtis t'a recommandé. C'est ce soir, après ton boulot, finit-il par lâcher après ce qui a dû lui sembler être le bon délai de tranquillité dont j'avais besoin.

Il avale une gorgée de café et guette ma réaction.

Je ne suis pas très fan des séances chez le psy. Lorsqu'on m'a diagnostiqué Becky, j'ai passé une année complète avec le Dr Carter à Butler. Il devait s'assurer que je ne développerais pas d'idées suicidaires après cette annonce. Mais la perspective de raconter ma vie à un inconnu ne me séduit pas. Je préfère utiliser cet argent pour sortir, profiter de l'instant présent... Tout le contraire de ce que me conseillait ma mère : « Ce n'est pas en occultant les choses que tu les feras disparaître. La meilleure solution, c'est d'en parler et d'apprendre à vivre avec. Je sais que tu en es capable, ma chérie. »

La vérité, c'est qu'après presque six ans passés en compagnie de Becky, je n'en suis toujours pas capable. Au lieu d'apprendre à vivre avec, j'ai bâti une forteresse pour me protéger du mieux que je pouvais de ce que Becky pourrait me faire. Mais je sais que c'est important pour Jonathan. Il a tant sacrifié pour me suivre ici, à New York. J'acquiesce d'un hochement de tête, et je lis du soulagement dans son regard.

Je me tourne vers un placard pour attraper ma boîte à thé, mais j'ai mal estimé la distance, et ma main se referme sur du vide. Je tourne la tête vers Jonathan, en espérant qu'il n'a rien vu. Nouvelle tentative. Lorsque mes doigts se referment sur l'objet, je m'empresse de le poser sur le plan de travail, craignant qu'une faiblesse musculaire vienne entraver mon action.

Le Pacte d'EmmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant