Chapitre 3.

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1.

Depuis que l'alarme de son réveil avait retentit ce matin, le capitaine Ueda se sentait envahi d'un étrange sentiment. Il ne pouvait pas dire s'il avait mal dormi ou s'il avait un mauvais pressentiment quant à la journée à venir. Certaines des situations qu'il avait rencontrées depuis ce matin avaient une impression de "déjà vu".

Quand sa radio grésilla, il prit son micro et appuya sur le bouton.

- Oui Bullet ?

- Euh... Comment vous saviez que c'était moi mon capitaine ?

Il ne répondit pas à la question mais plutôt ce à quoi il pensait.

- Vous voulez qu'on s'arrête pour casser la croûte, c'est ça ?

- Bien... Oui... Affirmatif.

Bon sang que l'atmosphère était lourde. Tout le monde était tendu, personne ne se parlait vraiment. Après le village de Girishk, ils prirent à gauche après le pont, sur une sorte de parking improvisé. Le LAV-25 en fit le tour le premier avant de s'y arrêter. Le reste du convoi lui emboîta le pas. Chacun sortit de son véhicule muni de son M4A1 et de sa ration après qu'Ueda ait rapidement effectué un tour d'horizon. Lui qui était habituellement si méticuleux, ne s'était pas attardé cette fois ci, il n'avait même pas porté les jumelles à ses yeux.

- On reprend la route dans 30 minutes !

Avait-il crié. À quoi bon, c'était comme si ses hommes le savaient déjà. Ils avaient presque tous mangé chacun dans un coin, il n'y avait eu aucun échange même les nouvelles recrues qui d'habitude harcelaient les vétérans, s'étaient tus. Vivement que cette journée se termine et qu'ils se retrouvent dans leur baraquement.

La route avait repris tranquillement, traversant quelques villages où les vieux méfiants les observaient et les enfants couraient à leur côté demandant des friandises. Plus que 125 kilomètres à parcourir et il pourra aller se reposer ainsi que ses hommes. Le paysage était pourtant féerique et si cette journée n'avait pas si bizarrement commencée, il aurait pu en profiter. Un désert de rocaille à perte de vue, quelques basses collines de-ci, de-là et dans le lointain, de majestueuses montagnes qui s'élevaient vers un ciel bleu azur. S'il ne se savait pas en guerre, Ueda aurait volontiers arpenté ce pays de long en large, muni d'un simple appareil photo. Pendant plus de la moitié du trajet, il avait sincèrement essayé de se vider l'esprit mais seulement, de quoi fallait-il qu'il le vide vraiment ? Comment peut-on échapper à une simple impression, un sentiment ?

Soudain, il se cramponna à son siège, juste une fraction de seconde avant même que le convoi ne se mette à freiner brutalement. Tous les véhicules avaient pilé net indépendamment les uns des autres. Ce n'était pas d'une cause à effet. Ce n'était pas parce que le LAV.25 s'était arrêté, qu'ils en avaient fait autant. Tous sortirent de leur véhicule respectif. Le capitaine ne demanda pas aux chauffeurs pourquoi ils s'étaient tous arrêtés, il le savait, il le sentait. Quelque chose aurait dû se produire. Mais quoi ? Instinctivement, tous se retournèrent lentement en direction de la petite colline sur leur gauche et attendirent sans même pointer leur arme.

Sans pouvoir expliquer pourquoi, Hamid fut dans l'incapacité de déclencher le détonateur au passage du blindé américain et pourtant, au même moment, le convoi s'était arrêté net. Il savait que les soldats américains n'avaient pas pu apercevoir sa bombe placée dans le nid de poule et encore moins les voir eux. Massoud avait vu le convoi s'arrêter sans que la bombe n'explose. Il s'était alors tourné vers Hamid mais ne lui avait tout compte fait rien dit. Il n'aurait su dire pourquoi mais au fond de lui, il savait. Ce qui était en train d'arriver devait se passer. Les américains étaient maintenant tournés vers eux et ne bougeaient plus comme s'ils attendaient. Massoud se leva en premier de leur cachette suivi de ses amis.

Ueda et ses hommes virent quatre afghans se lever prudemment de la colline où ils s'étaient cachés. Bizarrement au fond d'eux, ils savaient qu'ils étaient là et n'étaient absolument pas surpris de leur apparition. Aucun homme ne recula la culasse de son arme, aucun cri d'alerte, aucune tentative de se mettre à couvert. Ils restèrent là, chaque groupe campé sur sa position à se regarder en chien de faïence.

Tout à coup, les deux groupes levèrent la tête au même moment comme s'ils s'attendaient à quelque chose venant du ciel seulement, rien ne se produisit. Ils se regardèrent mutuellement se demandant qu'est-ce qui était en train de se passer. Personne n'aurait pu l'expliquer. Le capitaine fit le premier pas en direction des afghans et tous suivirent le mouvement. Massoud et ses hommes se dirigeaient vers les soldats pendant qu'eux se rapprochaient. Les deux groupes se rencontrèrent à mi-chemin et s'arrêtèrent à quelques mètres les uns des autres seulement. En silence, ils s'observaient et comme sous l'effet d'un électrochoc, une foule de souvenirs, d'images envahirent leurs esprits. Ueda s'adressa au chef afghan.

- Ma...Massoud ?

Sans pouvoir expliquer comment, il connaissait cet homme ainsi que d'autres d'ailleurs.

- Capitaine Jason Ueda !

Massoud articula le grade et le nom de l'américain en souriant. Il savait qu'il connaissait cet homme et bien même. Sans savoir pourquoi, le soldat américain n'avait aucun secret pour lui. Il lui tendit la main et souriait à pleine dents tant il était content de le voir... En vie.

Ueda saisit la main franchement et la serra chaleureusement, souriant lui aussi.

- Je suis vraiment heureux de te voir Massoud.

À priori, ils n'étaient pas les seuls à se connaître. Plusieurs prénoms furent prononcés et plusieurs mains serrées. Tous avaient appris à se connaître... Quelque part ailleurs.

Sur la terre comme aux cieux.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant