CHAPITRE II

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Ma crise d'angoisse se calme dès que j'aperçois l'intérieur du Lycée. Il est stupéfiant. Le bâtiment en pierre, de la même structure que l'ancienne abbaye, entoure de ses voûtes une cour intérieure verdoyante traversée par une allée de pierres blanches. De chaque côté, des tapis de pelouses rectangulaires bordées d'arbustes et de minuscules buissons mettent en valeur les sculptures en vert-de-gris qui jaillissent de fleurs multicolores. D'un seul coup, je sens que mes angoisses se sont évaporées ; je suis simplement folle de joie, excitée comme une gamine de cinq ans devant un magasin de bonbons ; depuis le temps que je rêvais d'entrer dans cette école!

Nous déambulons dans ce nouveau monde, éblouies par les rayons du soleil que laissent passer les hautes arcades en pierre du rez-de-chaussée, lorsque je vois, face à moi, la tour Clovis ; l'un des rares clochers abbatiaux encore debout à Paris ; le plus prestigieux vestige de l'abbaye Sainte Geneviève ; le tombeau du premier roi des francs ! Je trouve cette idée saisissante : un tel monarque enterré là, sous nos pieds. Cette tour me captive, je me sens attirée, dévorée par la curiosité, par l'envie de toucher ses murs séculaires. Un éclair noir assombrit alors mes pensées ; encore ce pressentiment inexplicable, désagréable.

— Tu m'écoutes ?

Carole ne cache pas son agacement. C'est vrai que j'avais perdu le fil de la discussion, mais il faut dire que la conversation tourne un peu en rond. De toute façon, nous allons bientôt être fixées sur Noémie.

De grandes statues immaculées nous présentent les marches en marbre gris qui se faufilent entre des rambardes en métal forgé torsadé pour nous emmener à l'étage des classes préparatoires. Je n'arrive pas à croire que je vais avoir la chance de venir ici chaque jour !

Nous traversons un long couloir aux murs recouverts de bois gravé, il n'y a que des classes préparatoires à cet étage, et pendant que Carole cherche du regard la présence de son ennemie jurée, j'observe, captivée, toutes ces personnes de mon âge qui s'agglutinent autour de moi.

Il y a des jeunes de toutes les nationalités, beaucoup semblent déjà se connaître, ce qui n'est pas pour me rassurer. La plupart des filles sont déjà en groupe, occupées à rire et à jauger le sexe opposé. Leur préférence se porte clairement sur un groupe de garçons adossés à côté de la deuxième porte. Ils sont grands, sportifs, bien habillés, mais je n'arrive pas à voir leur visage jusqu'à ce que celui qui me tourne le dos se décale sur la droite. Je découvre alors le sourire éblouissant de ce garçon à la peau mate juste en face de moi. Je ne peux pas quitter des yeux les fossettes qui se forment au creux de ses joues avant de me rendre compte que ses yeux noirs luisants me fixent avec amusement. Je sens mes joues me brûler à m'en faire mal, je ne sais plus quoi faire, je voudrais partir en courant, au lieu de ça je reste plantée là à gesticuler maladroitement. Je ne pouvais pas faire pire ; heureusement Carole finit par me sortir de là :

— Elsa.

Ses doigts serrent mon bras de toute sa haine.

Frédéric est à quelques mètres de nous, en pleine discussion avec une grande brune dont les éclats de rire résonnent jusqu'ici. Pas de doute, il s'agit bien de Noémie. Je me raidis à mon tour quand je découvre Alexandre, à côté d'eux et de trois autres filles toutes plus jolies les unes que les autres.

Nous nous asseyons à une table à l'avant de la classe, sous une grande fenêtre. Alex et Fred s'installent un peu plus loin, juste à coté de la table de Noémie et sa copine. Carole fulmine mais ne montre rien.

Elle a tout calculé pour que nous soyons remarquées, et ça ne rate pas ; dès la première pause, plusieurs groupes de garçons viennent nous aborder mais Carole est bien trop obnubilée par les rapprochements entre Fred et Noémie pour leur prêter réellement attention. Moi, je préfère ne pas observer l'exaspérant manège de nos amis et me concentrer plutôt sur tous ces nouveaux visages qui nous entourent. Je vois alors les quatre garçons de tout à l'heure assis au fond de la classe, encerclés de filles qui les dévorent du regard, et je dois bien avouer que toute cette effervescence me plaît beaucoup.

SACRAS - Tome I : PréludeWhere stories live. Discover now