SACRAS - Tome I : Prélude

CHAPITRE VII

Mercredi 14 Décembre

Anta tenait absolument à venir me retrouver devant le lycée pour que nous puissions passer le reste de la journée toutes les deux sur Paris. Je ne suis pas née de la dernière pluie, bien sûr, mais j'espérais quand même la retrouver avant Kevin et pour l'entraîner loin avant qu'ils ne sortent de cours. Malheureusement, c'était sans compter sur Klara qui m'a coincée dans les escaliers pour me parler du devoir de Lettres, et le temps que je m'en dépêtre, il était déjà trop tard :

— Elsa ! Regarde sur qui je viens de tomber ! dit-elle comme si je n'avais pas remarqué les garçons à côté d'elle.

Je souris poliment, sachant très bien que les jeux sont déjà faits.

— On s'est dit qu'on pourrait aller boire un coup tous ensemble ? ajoute Kevin avec un sourire immense.

Je suis piégée.

Jeudi 15 Décembre

Anta vient me réveiller dix minutes avant mon alarme. Elle est de très bonne humeur et elle a visiblement très envie de discuter :

— Ils sont trop tops ces mecs, je les adore. Et Kevin, il est trop beau, trop gentil, trop drôle !

J'articule tant bien que mal, encore complètement engourdie de sommeil :

— Tu lui as donné ton numéro cette fois ?

— Non toujours pas ! clame-t-elle en souriant fièrement, sans comprendre que cette réponse n'est pas du tout celle que j'attendais. On a prévu de se revoir dès aujourd'hui, je viens déjeuner avec vous !

Super, il ne manquait plus que ça.

Anta irradie de bonheur, ça me fait vraiment plaisir de la voir comme ça. Les garçons sont tous super avec elle, et Kevin a l'air déjà complètement accro. Je dois bien avouer que ces moments tous ensemble, si loin de toutes les tensions, de tous les drames qui nous entourent, me font du bien à moi aussi. Je suis heureuse auprès d'eux et ce serait stupide de les éloigner juste pour un rêve. Après tout, dans la réalité, il n'y a rien entre Sofyan et moi, je m'entends bien avec lui comme je m'entends bien avec Hugo, Alban et Kevin.

Je revois ses fossettes qui se dessinent dans un éclat de rire et mon ventre se noue.

Vendredi 16 Décembre

Je suis perturbée ce matin par une sensation étrange; à la fois douloureuse et tellement agréable. Le réveil n'a pas encore sonné, mais je suis incapable de me rendormir. Des vagues de chaleur me monte aux joues et mon cœur s'accélère pendant que des images d'hier après-midi me reviennent ; je nous revoie sur les Champs Elysées, entrain de déambuler entre les chalets de bois, égayés par le vin chaud et l'euphorie de Noël.

Mon réveil retentit et je me lève comme un automate. J'exécute machinalement ma routine matinale en me souvenant de la patinoire ; l'immense voûte en verre de l'hôtel de ville au dessus de nos têtes; Anta et Kevin qui se tiennent par la main, Hugo et Alban qui font les pitres pour amuser de jolies touristes chinoises, et puis Sofyan. Je me rappelle de la puissance rassurante de ses mains sur mon avant-bras. Je réentends sa voix virile qui me disait de faire attention et puis son rire quand je trébuchais. Je surprends mon sourire nigaud dans le reflet du miroir. C'est une catastrophe, il faut absolument que je me reprenne.

Dans la voiture, la désagréable impression d'être épiée me sort de mes pensées. Je détourne mon regard de la fenêtre et je croise celui de Carole, toujours empli de cette même colère. Ma mine réjouie ne doit pas lui plaire, mais il se trouve que je m'en fiche. Je ne peux m'empêcher de jeter quand même un coup d'œil à Alexandre. Il nous observe et semble retenir son souffle comme s'il s'attendait à une explosion nucléaire ; mais Carole ne dit rien, maintenant que le dédain est sa meilleure réponse, quant à moi, j'ai d'autres choses à penser.