CHAPITRE XV

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Lundi 5 Mars

Ce grand chêne dehors, je le reconnais. Je suis chez moi, et jamais le parfum de mes draps ne m'a autant réconfortée. Mais la joie est de courte durée. La douleur revient s'enfoncer brutalement dans mon cœur comme la plus aiguisée des lames. Je voudrais hurler pour la laisser s'échapper mais rien ne pourrait apaiser le supplice de cette réalité.

Je ne me souviens plus du trajet retour, ni de la façon dont je suis arrivée dans mon lit. Je n'ai pas envie d'y penser. Plus je retrouve mes esprits, plus la souffrance me ronge, violente, impitoyable. Le visage de Sofyan resurgit. Je le revois, tendre et amoureux, et puis froid, cruel. Il faut que je me rendorme, que ces images cessent, que tout cela ne soit qu'un mauvais rêve et que, demain, il vienne s'asseoir à côté de moi et poser sa main sur la mienne, comme toujours.


Mardi 6 Mars

Je me prépare sans aucune conviction, comme une poupée de chiffon manipulée par l'habitude, une stupide marionnette. J'ai l'impression d'être un fantôme qui reprend sa routine, inexorablement. La vie me semble irréelle, faussement normale, mensongèrement banale.

Carole et Alexandre m'attendent dans la voiture, souriant gentiment. Je ne sais pas ce que mes parents ont raconté pour qu'ils changent si soudainement mais je n'ai pas l'esprit à m'y intéresser. Je suis bien trop terrifiée pour penser à autre chose qu'à ce que je vais devoir endurer aujourd'hui.

Tout ne me ramène qu'à notre histoire ; le banc sur lequel nous nous asseyions ensemble, les voûtes sous lesquelles il a pris ma main pour la première fois, les escaliers où nous nous sommes embrassés chaque jour. La joie, la fierté que je ressentais auprès de lui, tout me revient comme une interminable torture et je ne peux pas m'empêcher de le chercher des yeux dans chaque recoin de cette école. Je suis soudain tirée de mes pensées par des hurlements, lointains et familiers. Personne ne réagit autour de moi. C'est dans ma tête. Cette voix, ce cri de douleur qui m'arrache le cœur, les souvenirs resurgissent. Je revois l'herbe à laquelle je m'agrippais en sortant de ce trou, je me rappelle de la sensation de la terre fraîche qui s'enfonçait sous mes ongles, je me souviens d'un grondement terrifiant, aussi puissant que l'était ma rage, et du bruit assourdissant du métal qui s'écroule, avant le silence. Je manque de m'écrouler par terre et me rattrape comme je peux au mur. Qu'ai-je fait ?


Vendredi 9 Mars

Je ne fais que survivre dans un état léthargique. Je n'arrive plus à trouver un sens à ma vie. Plus rien ne m'intéresse, ni les cours, ni la lecture, ni même Achille ou Hercule. Il n'y a que ces hurlements... Je ressens l'énergie incontrôlable qui est sortie de mes doigts après que cette vague de rage m'a envahie, pour les empêcher de continuer, les empêcher de remonter ; la satisfaction quand je les ai entendus comprendre ce qui était en train de se passer, la libération de ce silence rassurant qui est venu emporter la violence du choc, le vide.

Lorsque enfin je suis seule dans ma chambre, je m'allonge sur le lit et j'attends en implorant que le sommeil veuille bien me libérer un instant.


Samedi 10 Mars

Au milieu des flammes, son corps recouvert de lave métallique ne semble pas se consumer. Ses yeux aussi sombres que l'enfer laisse briller cette lueur de tendresse à laquelle je m'accroche. Il a l'air d'un monstre, mais il n'est pas un monstre. Je le sais.

Le feu finit par faiblir, jusqu'à le délivrer complètement. Il se tient là, devant moi, et je suis partagée entre une joie irrépressible et une peur insupportable. La fossette au coin de son œil illumine son regard, il attrape mon visage de ses deux mains et, la force de son emprise me terrifie, jusqu'à ce qu'il glisse doucement ses lèvres entre les miennes. Cette sensation, mon sang qui s'échauffe, mon cœur prêt à exploser, comment avais-je pu oublier ?

SACRAS - Tome I : PréludeWhere stories live. Discover now