- Et dans vos salades, vous en avez sans viandes ?
- Je suppose, répond-je. Vous savez, les aliments que les salades contiennent sont marqués sur le menu.
- Oui mais vous savez quand même ce qu'il y a dans vos salades.
Je secoue la tête et déclare :
- Continuez à choisir votre plat, je pense que vous n'avez pas assez bien regarder la carte.
La cliente ronchonne quelques mots et je m'éloigne de sa table en me retenant de soupirer. Il est vingt-deux heure et le bar ne fait que se remplir. Je ne sais pas d'où vient ce mouvement de foule mais je n'en peux plus de ces clients trop prise de tête qui se demande s'il y a des conservateurs dans leurs légumes ou pas, si c'est mieux pour le cholestérol de manger un hamburger ou une crêpe salé. Le pire c'est qu'ils pensent tous que j'y connais quelque chose, que je suis moitié serveuse et diététicienne.
- On échange ? demande-je à Pietro qui essuie les verres derrière le comptoir.
Il hausse les épaules et prend mon carnet et mon bic des mains. Je rejoins l'arrière du bar et attrape une serviette, en même temps d'essuyer la vaisselle, j'aperçois une feuille de cours. C'est sans doute une feuille de Marie qu'elle essaie d'étudier en même temps que de gérer une dizaine de couverts.
En lisant quelques lignes je me rend compte que j'ai tellement de retard par rapport à tous ces gens de mon âge qui sont maintenant à l'université ou en haute école. La seule chose que j'ai appris ces dernières années c'est tous les noms des plats sur le menu et rien que ça. Parfois je me sens très bête voir inculte. Tout le monde sait qu'il étudie pour obtenir un métier, un vrai métier qui demande beaucoup d'effort pour y arriver et qui t'assure généralement une place privilégiée dans la société. Les hautes études...pendant six ans j'ai étudié pour ce chemin ci. Au début, comme tous les ados, j'hésitais sur quelques métiers mais avec une filière presque identique : le classique. Je voulais être journaliste, professeur de français et même écrivain alors que je n'avais aucun talent dans ce domaine. J'étais simplement nulle en math et je pouvais m'imaginer étudier en transition technique ou professionnel. C'est inconcevable. Et je me retrouve à essuyer des verres dans un bar. J'avais jamais pensé à garder ce job que j'estimais seulement pour un travail d'étudiant.
Alors, ouais, y a des moments je m'en veux vachement d'avoir tout foutu en l'air, d'avoir gâché six ans de ma vie à ça : un boulot de merde et qui rapporte rien, un appartement vide, un avenir dont je peux même pas imaginer un peu le déroulement tellement mon présent me paraît déjà trop flou. Et puis cet ennui constant qui me lâche jamais et que je crois combler au travail.
Mais maintenant je ne me vois pas faire autre chose que ce que je fais maintenant. Ça m'est presque impossible de penser à faire des études. Tout est déjà installer dans ma vie que je me dis que c'est un chemin sans tournant, tout droit.
- Tu me fais deux verres de coca et un café s'il te plaît, m'interromps Marie devant moi.
Je hoche la tête.