J'ai passé trois jours en enfance et j'avoue que ça m'a fait flipper de revoir les carcasses de tracteur dans le jardin, me doucher de nouveau dans la douche italienne faite avec des pierres de la vieille étable qui a croulée durant une tempête manquant de tuer mon grand-père. Mais surtout dormir dans ma chambre qui sentait le renfermé avec des draps poussiéreux et une étagère de livres entassés. J'en ai même frissonné. Ce séjour est déjà trop long pour moi. Trois jours c'est beaucoup trop. Pourtant, j'ai essayé de faire des efforts. Maman est chiante mais ça me fait de la peine de la voir comme ça : morte à cinquante-huit ans. Je suis sortie dans ce village froid et silencieux et j'ai retrouvé mon arrêt de bus, l'usine désaffecté, le bois inerte, en fait tout ce que j'ai essayé d'oublier pendant deux ans. Deux ans. Ça fait tellement peu de temps que je suis partie...et j'ai l'impression que j'ai pratiquement ignoré mon passé. Et je me porte bizarrement mieux ainsi.
- Un parfum ?
Ma mère me regarde horrifiée.
- Un parfum ? répète-t'elle.
- Bah oui, un parfum ! m'exclame-je devant son air abruti.
- Mais ce n'est pas sérieux. C'est des cadeaux qu'on offre parce que nous nous avons pas voulu réfléchir à chercher après un vrai présent digne.
Elle a pas tort. Mais je n'ai jamais cherché un cadeau "digne" pour personne. Maman est une des seules personnes qui reçoit un cadeau de ma part.
- Trop tard, je l'ai payé. Offre-le à quelqu'un d'autre si tu préfères, souffle-je en regardant par la fenêtre.
Ça fait trois jours que je suis là et ce matin de Noël est vraiment le plus pourri. J'ai l'impression de retomber en adolescence. Moi et ma mère toujours l'une sur l'autre. Cette vie était suffocante. Je sais même plus comment j'arrivais à survive.
- Maman, je crois que je vais repartir.
- Déjà ? Mais ton frère n'est même pas encore arrivé ! crie-t'elle.
Elle y croit encore.
- Appelle une amie pour passer du temps avec toi mais moi je peux plus. J'en ai marre. Je m'ennuie. Je revois plein de trucs que j'avais plus envie de faire face.
- Et c'est reparti, râle-t'elle en croisant ses bras sur sa poitrine.
Je la déteste quand elle est comme ça. Elle peut pas une fois être une mère ? Me demander ce qui cloche vraiment ou me dire "t'as raison", juste essayé de faire comme si elle comprenait.
- Je vais faire ma valise.